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Lorsque Cam lui ouvrit la porte, Dean comprit immé-

diatement à son petit sourire d'excuse que quelque chose

n'allait pas. Il jeta un coup d'œil derrière elle et aperçut à

côté de Jacki une femme raide et sèche, d'une soixantaine

d'années. Elle le dévisageait ouvertement et son visage crispé

reflétait la désapprobation, doublée d'une certaine

appréhension.

— Lorna ? s'enquit-il en reportant son attention sur Cam.

Son expression tendue lui dit mieux que des mots qu'elle

s'attendait à ce qu'une scène éclate.

— Oui.

— Elle vient avec nous ?

— Quand elle a appris que tu étais ici, enfin, quand je lui

ai dit que Jacki et moi dînions avec toi...

Dean posa une main sur son épaule et l'écarta.

— Aucun problème. C'est parfait.

Il pénétra dans la maison et Cam s'empressa de faire les

présentations.

— Tante Lorna, je te présente Dean. Dean, notre tante

Lorna.

Cam avait volontairement mis l'accent sur le mot «notre».

En ce qui concernait Dean, elle aurait pu s'en passer. Il

n'envisageait même pas de lui serrer la main. Pas après avoir

appris qu'elle s'était appliquée à le gommer de la mémoire de

ses sœurs. Il demeura donc prudemment à distance de la

vieille dame et se contenta de la saluer d'un bref hochement

de tête.

— Lorna. Tu te joindras donc à nous pour dîner?

— Je suis responsable des filles, rétorqua-t-elle en

pointant le menton, et nous ne savons rien de toi. Évi-

demment que je vous accompagne !

— Moi, je sais déjà un tas de choses sur lui, rectifia Cam.

Après notre petite conversation, j'ai fait des recherches sur

Internet. Il est très célèbre !

Dean réprima un grognement.

— N'exagérons rien. Je suis connu d'un petit cercle

d'amateurs, je ne suis absolument pas célèbre.

— Ne sois pas modeste, Dean. On te paie pour pro-

mouvoir un tas de produits et ton fan-club ne désemplit pas.

Le SBC a même fait imprimer un T-shirt à ton effigie !

— Bon, d'accord. C'est vrai.

— Ah ! Tu vois, tante Lorna. Je suis sûre qu'on est en

sécurité avec Dean. Il est célèbre, et c'est une force de la

nature. Ce qui n'empêche pas que nous soyons ravies que tu

viennes avec nous, précisa-t-elle par politesse. Je comprends

que tu aies envie de faire sa connaissance.

— Alors, Jacki, déclara Dean en se tournant vers la plus

jeune de ses sœurs, tu as réussi à te libérer finalement ?

— Cam m'a forcée, répondit-elle en haussant les épaules.

— C'est faux !

Dean rit de constater avec quelle facilité Jacki faisait

marcher sa sœur.

— Détends-toi, Cam, souffla Jacki en lissant ses cheveux

qu'elle avait plaqués sur sa tête, une petite mèche folle

rebiquant de-ci de-là. Dean a compris que je plaisantais.

Avec ses yeux cernés de khôl et sa tenue funky, Jacki

avait l'air encore plus rebelle qu'au réveil. Dean se demanda

si elle avait donné du fil à retordre à sa tante lorsqu'elle était

petite. Il était prêt à parier que oui.

Elle portait un bustier brun cuivré qui se nouait derrière le

cou et un Jean taille ultrabasse avec des trous savamment

disposés au niveau des genoux, de la cuisse cl de la hanche.

Ce dernier permettait d'apercevoir son tatouage, mais Dean

n'en distingua pas clairement le motif.

— Je suis soulagé de constater qu'il ne s'agit pas d'un dîner

habillé.

Il portait lui aussi un jean troué et un T-shirt de Deateful

Dead. Il avait vaguement craint qu'on ne lui lasse reproche

de sa tenue décontractée, mais Cam, toute pimpante dans son

pantalon blanc et son chemisier turquoise, semblait ravie de

faire la différence.

Lorna, en revanche, exprima son dégoût d'un regard

appuyé.

— Habillé, pour moi, c'est ça, déclara Jacki. Mais tante

Lorna préférerait mourir plutôt que de porter un jean. Surtout

un jean aussi confortable que les nôtres !

Depuis sa permanente acajou jusqu'à la pointe de ses faux

ongles, en passant par sa robe couture, ses escarpins à hauts

talons et son attitude distante, Lorna Ross correspondait en

tout point à ce qu'avait escompté Dean. Oncle Grover n'avait

pas exagéré d'un iota.

— Certaines personnes attachent de l'importance à leur

apparence, laissa-t-elle tomber d'un ton glacial.

Elle était si déplaisante que Dean éprouva presque de la

pitié envers ses sœurs. Il n'avait certes pas été élevé dans du

coton avec Grover, mais son oncle était un bon vivant,

quelqu'un qui savait rire et se lâcher de temps en temps.

— Je n'attache aucune importance aux apparences, dit-il à

Jacki, mais je trouve que tu as un style jeune, rigolo et très

sympa.

— Tope là, frère ! s'exclama-t-elle en levant la main pour

l'inviter à taper sa paume. Je t'avais dit qu'il trouverait ça

cool, ajouta-t-elle en se tournant vers Cam.

Dean ne dit rien. Ce simple contact physique avec Jacki

l'avait laissé sans voix. Mais il réalisa soudain que Lorna ne

le quittait pas des yeux, et il se dirigea vers la porte pour se

donner une contenance.

— Tout le monde est prêt ?

— Tu n'as rien contre un resto italien ? demanda Cam.

— J'aime tout.

Ils sortirent de la maison et descendirent l'allée. Le soleil

brillait encore, rendant la journée chaude et humide.

— Tant qu'on ne m'oblige pas à enfiler un costard, je suis

prêt à manger n'importe où. Je suis comme Jacki, je ne

supporte pas d'être endimanché.

Il ouvrit la portière arrière et Lorna s'assit sans desserrer

les lèvres. Jacki la suivit, laissant Cam s'asseoir à l'avant.

Une fois les trois femmes installées, Dean contourna la

voiture et se mit au volant.

— C'est un petit resto très simple, lui assura Cam, mais

leurs pâtes sont à mourir et leurs gressins sont tout

simplement...

— J'espère que tu feras quand même un effort ves-

timentaire pour le mariage de ta sœur, Jacki, l'interrompit la

voix pincée de Lorna.

Cam se retourna.

— Combien de fois faudra-t-il que je te répète que rien

n'est encore conclu entre Roger et moi, tante Lorna ?

— Tu veux dire que tu freines des quatre fers alors que tu

devrais t'empresser d'accepter sa demande.

— Moi, je trouve qu'elle devrait freiner des quatre fers

pendant au moins dix ans, marmonna Jacki en se rencognant

sur son siège.

— Personne ne t'a demandé ton avis, mademoiselle.

— Ce qui me console, c'est que si on m'oblige à me

déguiser en demoiselle d'honneur, Dean sera obligé de se

déguiser en pingouin ! s'esclaffa Jacki.

Dean sentit une main invisible se refermer sur son larynx. À

entendre Jack , sa présence au mariage de Cam allait de soi.

Il faudrait peut-être qu'il en touche un mot à Cam... Ou plutôt

non. Elle pouvait bien se marier avec qui elle voulait, cela ne

le regardait pas. 11 jeta un coup d'œil dans le rétroviseur et

vit que Jacki .attendait sa réaction.

— Ta ceinture.

Elle ne s'était pas attendue à cela.

— Je n'attache jamais ma ceinture de sécurité.

— Tu es dans ma voiture, tu fais ce que je te dis, répliqua-

t-il en songeant que sa sœur n'avait pas fini sa crise

d'adolescence.

— Cette voiture t'appartient ? s'enquit tante Lorna d'un ton

sceptique.

Considérait-elle l'élégante berline au-dessus de ses

moyens, ou bien l'imaginait-elle plutôt au volant d'une

voiture plus sport, plus voyante ? Dean avait pourtant I iris la

peine de lui dire qu'il n'attachait aucune importance aux

apparences.

— C'est une location. D'habitude, je conduis un camion

qui doit être aussi vieux que toi.

Dean la vit blêmir sous l'insulte, mais ne lui laissa pas le

temps de riposter.

— Vu de l'extérieur, il ne paie pas de mine, mais je peux

compter dessus pour m'emmener où je veux. Comme je suis

rarement chez moi, je n'ai pas souvent l'occasion de le sortir.

Du coup, je me retrouve avec des voitures de location ou des

leasings. J'ai un peu fait le tour des garages aujourd'hui et

j'en ai repéré une qui me plaît bien.

Il tourna la clef de contact sans enclencher la première.

— Je ne démarrerai pas tant que tout le monde n'aura pas

bouclé sa ceinture.

Cam pivota vers Lorna avec impatience. Vaincue, celle-ci

obtempéra.

— Je ne sais pas si tu es au courant, mais des gens sont

morts à cause de leur ceinture de sécurité.

— Bien plus ont survécu grâce à elle, répliqua Dean.

Alors, où allons-nous?

Cam lui expliqua brièvement le chemin à suivre, puis le

silence régna dans l'habitacle une vingtaine de secondes.

Jacki le rompit.

— C'est quoi, la voiture que tu as repérée ?

— Un truc pas trop tape-à-1'œil. Une Sebring déca-

potable. Tiens, jette un coup d'œil, si ça t'intéresse, ajouta-t-

il en attrapant une brochure dans la boîte à gants et en la lui

tendant. J'ai un faible pour la rouge.

— Waouh. Sympa, ouais, opina Jacki en regardant les

photos.

— Le leasing à court terme est avantageux.

— Pourquoi à court terme? questionna Cam.

Dean ne savait absolument pas combien de temps il

resterait à Harmony.

— Avec option d'achat.

— Tu as de la chance, dit Jacki en lui rendant la brochure.

Moi, je dépends des autres. Ça craint.

— Pff ! soupira Cam en levant les yeux au ciel. Comme

si ça te dérangeait que les garçons fassent la queue pour

avoir le privilège de te raccompagner.

— Je préférerais quand même avoir ma voiture.

— Pourquoi tu ne t'en achètes pas une ? s'enquit Dean.

— Tout le monde ne roule pas sur l'or, l'informa Lorna.

— Tante Lorna... fit Cam d'un ton de reproche. On ne

peut pas se le permettre pour l'instant, ajouta-t-elle à

l'intention de Dean. Il y a déjà les frais universitaires et tout

le reste.

— Qu'est-ce que tu étudies ? demanda Dean à Jacki.

— La pédagogie.

Dean faillit s'étouffer, mais parvint à se maîtriser.

— Tu veux être prof?

— Institutrice, ouais. Mais au train où vont les choses, je

ne risque pas de décrocher mon diplôme avant longtemps.

— Si tu t'es trompée d'orientation...

— J'ai été reçue du premier coup à tous mes examens.

C'est les frais d'inscription qui posent problème,

l'interrompit Jacki. L'argent qui devait servir à payer mes

études a servi à autre chose.

Dean était en train de se dire que leur situation fiancière

ne le regardait pas, lorsque la voix acide de Lorna retentit.

Contrairement à ce que prétend ta sœur, tu n'es I las le

centre du monde, ma petite Jacki.

— Maintenant que vous avez déballé notre linge

.île devant Dean, fit Cam en pivotant sur son siège,

ça vous dirait qu'on passe une bonne soirée, tous les quatre?

— Je ne rêve que de ça, rétorqua Jacki d'un ton lourd de

sarcasme.

Dean connaissait suffisamment les femmes pour deviner

que Cam était mortifiée et que Jacki était vexée. Il se décida

à poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— Où est-ce que tu travailles, Jacki ?

Jacki rapprocha tellement son visage de la fenêtre que son

nez la toucha presque.

— Je ne travaille pas.

L'idée qu'une jeune fille de vingt et un ans puisse ne pas

travailler n'avait même pas effleuré l'esprit de Dean.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Je veux qu'elle se concentre sur ses études, répondit

Cam à la place de sa sœur. J'ai eu trop de mal à cumuler

travail et études, je préfère lui épargner ça.

— Le travail n'a jamais tué personne, objecta Dean en

surprenant le regard de Jacki dans le rétroviseur. Je travaillais

quand j'étais à l'université. Et ta sœur aussi, il semblerait.

— Oui, mais j'ai abandonné avant d'avoir mon diplôme,

l'informa Cam en croisant nerveusement les mains.

— Je croyais que tu avais étudié dans une université du

coin. Les frais universitaires ne devaient pas être très élevés !

— Il y avait d'autres dépenses...

Dean remarqua que Lorna observait le plus parfait silence.

Surprenant, de la part d'une femme qui ne perdait jamais une

occasion de lancer des piques. Ne pose pas de questions, se

dit-il. Moins tu en sais, mieux ça vaut.

— Je ne comprends pas. Quelles dépenses? demanda-

t-il en dépit de ses bonnes résolutions.

Personne ne lui répondit. Elles n'avaient peut-être pas plus

envie que lui qu'il se mêle de leurs affaires.

— Oublie ma question. Ça ne me regarde pas.

— Exactement, approuva Lorna. Ça ne te regarde pas.

Cam pivota d'un bloc pour fusiller sa tante du regard.

Elles n'échangèrent pas un mot, mais l'attitude de Cam

signifiait clairement qu'elle n'approuvait pas la remarque de

Lorna.

— Tu es mon frère et je n'ai pas de secrets pour toi, Dean,

dit-elle. Mais c'est assez compliqué et je crois qu'il vaut

mieux parler de ça plus tard.

Bref, elle n'avait pas l'intention de lui expliquer quoi que

ce soit.

— Pas de problème.

La fin du trajet se déroula dans un silence pesant.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le restaurant, le soleil avait

disparu derrière de gros nuages noirs et le vent s'était levé.

— On dirait qu'il va pleuvoir, commenta Cam dans un

pathétique effort pour détendre l'atmosphère.

Dean descendit pour leur ouvrir les portières. Une

bourrasque de vent humide les gifla. Les manches du T-shirt

de Dean se gonflèrent, révélant le bord d'un tatouage qui

encerclait son biceps.

— Ah, ah ! fit Jacki en remontant sa manche. Monsieur

aime les tatouages !

— Au singulier. Je n'en ai qu'un, répliqua-t-il en tenant la

portière pour Lorna qui prenait le temps de nouer un foulard

sur sa tête. Et toi ? Tu en as plusieurs ?

— Pas encore, mais j'y pense.

— Ce n'est pas donné, fit-il remarquer.

Jacki sourit et se caressa la hanche.

— Celui-là, c'est un copain qui me l'a offert pour mon

anniversaire.

— Drôle de copain.

— Oh, non ! Ne me dis pas que tu vas jouer au grand

l i v r e ! s'exclama-t-elle en plaçant les poings sur ses

hanches.

— Même pas en rêve! la rassura-t-il. C'était une simple

remarque.

— Nous allons prendre la pluie si vous restez plantés là à

débiter des âneries, les houspilla Lorna en se dirigeant vers

l'entrée du restaurant.

Jacki la suivit, et Dean échangea un regard avec Cam qui

fronça les sourcils.

— Ça n'a pas toujours été facile pour elle, tu sais.

— J'imagine, répondit-il avec un petit sourire hypocrite.

Mais tu préfères sans doute parler de cela plus lard, ajouta-t-

il en lui faisant signe de passer devant lui.

Cam se raidit.

— Écoute, Dean, je te dirai tout ce que tu voudras, mais

pas n'importe où, ni n'importe comment.

— Ce qui signifie... ?

Elle prit une profonde inspiration.

— Donne-moi un peu de temps, s'il te plaît.

Dean se sentit très bête.

— Tout le temps que tu voudras, promit-il en renouvelant

son invite à le précéder.

Cam garda les lèvres pincées jusqu'à ce qu'ils aient

commandé les boissons. Finalement, après avoir balayé les

convives du regard, elle sembla prendre une résolution.

— Bon, je vais tout t'expliquer.

— Ne me dis pas que tu vas déballer tes tripes avant de

manger! s'indigna Jacki.

— C'est elle qui lui a demandé de venir, fit remarquer

Lorna d'un ton venimeux. Contre mon avis. Tout ça pour lui

parler de ce qui ne le regarde pas. Mais elle se fiche pas mal

de ce que nous en pensons, et ce n'est pas maintenant qu'elle

changera d'avis.

— Eh! regimba Jacki en levant les mains. Ne me mêle pas

à tes salades, tu veux bien, Lorna ? Pour moi, elle peut lui

raconter ce qu'elle veut ; je pense juste que ça ne l'intéressera

pas. Mais si elle veut tout déballer, je m'en fiche.

Cam se leva de sa chaise, vivement irritée.

— Taisez-vous, toutes les deux !

Les autres clients du restaurant tournèrent la tête vers leur

table. Jacki et Lorna la dévisagèrent en silence. Au bout de

quelques secondes, Dean fut incapable de réprimer un

immense sourire et leva son verre d'eau pour porter un toast.

— C'est un tel bonheur d'être accueilli dans une famille

aussi unie et chaleureuse ! Merci.

Cam se rassit, prit sa tête entre ses mains et poussa un

long soupir.

— Excuse-moi, Dean, dit Jacki, je ne voulais pas...

— Jacqueline Conor, je t'interdis de présenter des excuses

à cet individu, siffla Lorna. Tu ne lui dois rien. Rien.

Cam plaqua les mains sur la table et se tourna vers sa

tante.

— C'est là que tu te trompes, tante Lorna. Et tu le sais

aussi bien que moi.

— Je t'interdis...

— Trop tard.

Cam se redressa et pivota vers Dean comme si elle

s'apprêtait à affronter la guillotine.

— Je n'avais pas l'intention de t'en parler ce soir, mais rien

ne vaut le présent et le moment ne changera rien aux faits.

Nous allons devoir vendre la maison, déclara-t-elle en le

regardant bien en face.

Dean, fatigué par toute cette comédie, plissa les yeux.

— Et alors ?

— Et alors, c'est en partie la tienne.

Un frisson de terreur parcourut sa colonne vertébrale.

OÙ veux-tu en venir?

Jacki éclata de rire.

— C'est génial !

Dean tourna la tête vers elle, et elle rit encore plus fort.

— Excuse-moi de te dire ça, Cam, mais ton geste ne le

touche absolument pas. Il se sent carrément insulté !

— Oublie ça, Cam. J'ai déjà ma maison. Plusieurs, en fait.

Je n'ai absolument pas besoin de la vôtre.

— C'est vrai? s'enquit Jacki, impressionnée. Où ça?

Avant qu'il ait eu le temps de répondre, Lorna souffla

bruyamment par les narines. Cam lui jeta un regard noir, puis

s'adressa à Dean.

— La question n'est pas de savoir si tu en as besoin ou

non. La maison t'appartient autant qu'à nous, et un tiers de sa

valeur te revient. Le problème, c'est que le partage ne sera

pas équitable.

Dean n'attendait rien de ses sœurs, mais l'homme d'affaires

qu'il était eut envie de comprendre.

— Comment cela ?

Cam s eclaircit la gorge.

— Le fruit de la vente couvrira tout juste les dettes. Nous

ne pourrons pas te donner ta part.

— Je n'aurais pas voulu un dollar de cette maison de toute

façon.

— C'est ce que j'ai cru comprendre, en effet. Mais je

trouvais malhonnête d'envisager de la vendre sans te

contacter auparavant. Légalement et moralement, c'est aussi

ton héritage.

Dean voulut parler, mais elle l'en empêcha.

— Quoi qu'il en soit, je comprends à présent que tu ne

veux rien, dit-elle en lui posant la main sur le bras.

J'accepte... pour l'instant. Mais il y a l'aspect sentimental. Tu

souhaites peut-être conserver des souvenirs. J'ai donc décidé,

et Jacki est d'accord avec moi...

— Comme si tu m'avais laissé le choix ! s'esclaffa Jacki.

— ... que tu pourras prendre tout ce que tu voudras.

Dean ferma les yeux. C'était de pire en pire. À travers ses

paupières closes, il sentit le regard de Lorna le transpercer de

son mépris. Le dégoût qu'il lui inspirait était aussi puissant

que la cape de justicière dont s'enveloppait Cam. Il n'avait

pas l'intention d'accepter quoi que ce soit venant de cette

maison, mais il n'était pas assez méchant pour l'assener aussi

froidement à Cam.

— Il ne reste pas grand-chose, de toute façon, fit

remarquer Jacki. Quelques bijoux de maman. La collection

de pièces de monnaie de papa. Le mobilier de leur chambre.

Et des babioles. Tout ce qui avait de la valeur a déjà été

vendu.

— La façon dont vous abordez un sujet aussi personnel

devant lui est obscène, grinça Lorna en tapant du plat de la

main sur sa serviette.

Dean comprenait parfaitement la réaction de Lorna. Cam

et Jacki ne devaient même pas connaître le montant de la

somme qu'avait reçue leur tante pour s'occuper d'elles, mais

il savait, lui, qu'elle était suffisamment élevée pour payer

leurs études à toutes les deux. Où était passé cet argent ?

Lorna avait-elle tout dépensé ? Et si oui, à quoi?

— Les affaires peuvent attendre. Vous êtes prêtes à passer

la commande ? Je meurs de faim, déclara-t-il en faisant signe

au garçon. Qu'est-ce que tu prends, Lorna?