13

Plus tard, quand Dean arriva chez sa sœur, la massive

silhouette de Gregor se découpait déjà sur la terrasse. Il avait

dû se précipiter à l'adresse que lui avait donnée Dean dans

l'espoir de revoir Jacki. Gregor avait beaucoup de succès

auprès des femmes, mais c'était certainement la première fois

de sa vie qu'il était obligé de faire des efforts pour obtenir les

faveurs de l'une d'elles.

Lui demander de l'aider permettrait à Dean d'assister à ce

spectacle depuis les premières loges. Il avait dans l'idée que

sa petite sœur ne se laisserait pas facilement séduire, et

Gregor avait intérêt à manœuvrer en douceur.

Pour l'instant, seules Cam et Eve lui tenaient compagnie.

Jacki l'évitait-elle délibérément, ou bien ignorait-elle encore

sa présence ? Comme il s'approchait, Dean constata que

Gregor déployait tout le charme dont il était capable pour le

bénéfice de ces demoiselles. Son comportement n'avait rien à

voir avec le marquage de territoire presque barbare qu'il avait

adopté en présence de Jacki. Puisqu'elles étaient proches de

celle qu'il convoitait, Gregor essayait de leur plaire.

Sans grand succès.

Tout en s'efforçant comme à son habitude de rester polie,

Cam le dévisageait d'un air presque horrifié en clignant des

yeux. Son regard revenait sans cesse sur ses oreilles en chou-

fleur et sur les impressionnants tatouages de son torse. Même

dépourvu de tatouages, son torse nu aurait eu de quoi

intimider plus d'une femme.

Dean fut sur le point de faire une remarque à Gregor sur

son absence de chemise, mais son attention fut attirée par

Eve. Elle avait troqué son adorable robe à fleurs contre un

short plus adorable encore, assorti d'un bustier découvrant

une bande de peau nue au niveau de la taille. La seule vision

du bijou qui ornait son nombril lui tira un long frisson dé

désir.

Contrairement à Cam, Eve ne semblait pas affectée outre

mesure par l'apparence de Gregor.

Dean laissa bruyamment tomber par terre la brassée

d'outils qu'il transportait. Gregor pivota vers lui et abandonna

instantanément son numéro de charme pour se plaindre.

— Dean ! Ta petite sœur me fuit !

— Je la comprends. Où est-elle? s'enquit-il en se tournant

vers Cam.

— Elle, euh... elle s'est portée volontaire pour aller faire

des courses à l'épicerie.

— Pour le déjeuner, expliqua Eve. On va faire griller des

hamburgers et des hot dogs. J'espère que tu as faim, ajouta-t-

elle d'une voix langoureuse en s'appro-chant de lui.

— J'ai toujours faim.

— Tu crois qu'elle en a pour longtemps ? questionna

Gregor en tripotant une de ses boucles d'oreilles.

— Elle ne devrait pas tarder, lui assura Cam. Je reviens, je

vais chercher du thé glacé pour tout le monde, prétexta-t-elle

pour s'échapper.

— Je vais t'aider, déclara Gregor en posant délicatement sa

grosse paluche au creux de son dos. Comme ça, tu pourras

me parler de Jacki.

Refuser son aide eût été impoli, et Cam se résigna à se

laisser accompagner.

— Tes amis ont-ils tous autant de... personnalité?

demanda Eve avec un grand sourire une fois qu'ils

eurent disparu.

— Gregor est plus un aspirant au titre de champion qu'un

ami à proprement parler, mais il est sympa. Un peu trop zélé,

parfois.

— Avec ta sœur, par exemple ?

— Elle lui a tapé dans l'œil, répondit-il en souriant. Tu les

aurais vus, hier soir ! Gregor était à deux doigts de lui réciter

des vers ! Malheureusement pour lui, Jacki est persuadée

qu'il l'a utilisée pour m'approcher.

— Mais tu sais que ce n'est pas le cas, c'est ça ?

— Gregor ne fonctionne pas comme ça. En revanche, je

me demande ce qui incite Jacki à douter de ses intentions.

Tu n'aurais pas une petite idée?

— Non. Pour autant que je sache, elle a toujours eu

beaucoup de petits copains. Tu as entendu ce qu'en dit mon

frère : Jacki attire les gens à elle. Elle a beaucoup de

charisme.

— Peut-être...

Dean en doutait. Il avait décelé trop d'éclairs d'insécurité

derrière cette façade sociable.

— Tu sais, reprit Eve, la première fois que tu as vu Jacki,

tu as involontairement mis le doigt sur ses points faibles.

— Sa taille et sa maigreur?

— Et ce qui va avec. Ou plutôt ce qui fait cruellement

défaut, justement.

— Ah.

C'était donc ça. Ah, les femmes ! Pourquoi persistaient-

elles à croire que les hommes attachaient autant

d'importance à la taille de leurs seins ?

— Ça la Complexe à ce point-là ?

— Ça complexerait n'importe quelle femme.

— Je ne vois pas pourquoi. Les hommes ne sont pas aussi

futiles que vous semblez le croire. Faire l'amour entièrement

nu avec la lumière allumée. Rire. Oublier toutes ses

inhibitions, voilà ce qu'on veut ! lui confia-t-il avec un clin

d'œil.

Eve rougit. C'était exactement ce que Dean avait obtenu

d'elle. Il lui souleva le menton et déposa un baiser sur ses

lèvres.

— Si Jacki laisse sa chance à Gregor, je suis certain qu'il

saura lui prouver que la taille de ses seins n'a aucune

importance. Tu as encore des rendez-vous cet après-midi ?

s'enquit-il, incapable de résister à la tentation d'embrasser sa

gorge.

— Non, c'est pour ça que je suis venue te regarder

transpirer. Tu es sûr de pouvoir travailler en plein soleil ?

C'était bien la première fois qu'une femme s'inquiétait

pour lui. Désarçonné, il éprouva subitement l'envie de la

serrer dans ses bras, mais préféra s'abstenir.

— Tu devrais désormais avoir une petite idée de

mon endurance à la chaleur, Eve...

Elle ne rit pas. Elle effleura le bleu qui marquait sa joue

du bout des doigts et écarta ses cheveux de son front pour

observer ses points de suture.

Il laissa échapper un petit rire forcé et se dégagea pour

enlever sa chemise.

— Si tu as envie de me caresser, je peux t'indiquer des

parties de mon corps beaucoup plus sensibles.

— Si je commence à te toucher, je ne pourrai plus

m'arrêter.

— Garde ça en réserve pour ce soir, alors.

Il l'embrassa un peu plus longuement, puis s'écarta pour

examiner les outils dont il avait besoin. Comme ils allaient

retirer toutes les vieilles tuiles, il avait fait livrer une benne

qu'on avait disposée dans l'allée. Plus tard dans la soirée, le

magasin de matériaux livrerait les nouvelles tuiles

directement au niveau du toit.

Eve l'avait suivi et il devina qu'elle brûlait d'envie de lui

dire quelque chose. Si elle avait l'intention de se défiler ce

soir parce qu'elle était vexée qu'il ait gagné leur pari...

— Ma mère m'a dit que tu ne veux pas vendre la maison ?

— C'est vrai, répondit-il, soulagé.

— Alors... qu'est-ce que tu comptes faire?

— Discuter avec Cam, pour commencer. Je ne voudrais

pas qu'elle se fasse des illusions. Tu ne lui en as pas parlé ?

— Je me suis dit que c'était à toi de le faire. Et puis, ça

vous permettra de faire un peu mieux connaissance.

— Pas faux, répliqua-t-il en inventoriant les outils pour

s'assurer qu'il n'oubliait rien.

— Quand as-tu l'intention de lui en parler?

— Tu n'arrêtes pas de m'inciter à tisser des liens avec

elle, mais ce n'est pas comme ça que les choses se passeront,

Eve, alors tu ferais mieux d'oublier.

— J'en suis bien consciente, répondit-elle d'un ton si

aimable que Dean n'en crut pas un mot.

— Je me demande ce qu'elle fabrique, à ce propos,

déclara-t-il en tournant la tête vers la porte-fenêtre par

laquelle elle avait disparu en compagnie de Gregor.

Cam surgit à cet instant précis, regarda autour d'elle et

agita la main lorsqu'elle les eut repérés.

— J'ai dû refaire du thé ! Ce sera bientôt prêt !

Elle avait annoncé cela d'un ton si guilleret que la

suspicion de Dean fut éveillée.

— Tout va bien, Cam ? Gregor ne te tape pas trop sur les

nerfs ?

— Pas du tout, assura-t-elle avec un grand sourire. Il me

raconte ta carrière ! Il va m'avoir un T-shirt officiel avec ta

photo et des photos dédicacées des autres combattants. Il est

adorable ! lança-t-elle avant de disparaître à nouveau dans la

maison.

— Je me demande ce qu'il peut bien lui raconter,

marmonna Dean.

Un cri suraigu retentit. Jacki se précipitait vers lui.

— Qu'est-ce qui se passe encore ? marmonna-t-il.

— Tu l'as achetée !

Un sac de courses sur chaque bras, Jacki franchit

rapidement la distance qui les séparait. Un épi de mais

tomba d'un des sacs, mais elle ne s'arrêta pas pour le

ramasser.

— C'est génial, Dean ! Elle est encore plus belle que

sur la photo ! Je l'adore !

Dean secoua la tête, stupéfait. Sa voiture n'avait rien

d'extraordinaire à côté des bolides que s'offra i e n t les autres

combattants du SBC. Gregor avait d’ailleurs garé sa

Mustang décapotable juste derrière la Sebring.

Mais Jacki n'avait peut-être pas réalisé qu'elle

appartenait à Gregor.

Quoique...

Plantée devant lui tout sourire, le soleil faisant miroiter

ses innombrables boucles d'oreilles, sa petite sœur avait la

tête hérissée de piquants blonds enduits de gel, et le

maquillage de ses yeux était si théâtral qu'ils avaient l'air

immenses. Son minuscule bustier révélait entièrement son

ventre, et le tatouage de sa hanche dépassait presque

intégralement de son short taille basse. Elle ressemblait plus

à une adolescente qu'à une jeune femme de vingt et un ans.

— Je croyais que tu passais tes journées à dormir.

Jacki roula les yeux et tourna la tête vers la maison.

— C'est ce que j'aurais fait si Goliath ne s'était pas

pointé à l'aube ! Il paraît que c'est toi qui l'as invité, ajouta-

t-elle d'un ton accusateur.

— Pour m'aider à réparer le toit.

— C'est ce qu'il a dit. Mais franchement, Dean, pourquoi

lui as-tu demandé ça, à lui ?

— Parce qu'il est costaud, répondit-il en lui décochant

une pichenette sous le menton. C'est lourd, les tuiles, figure-

toi. Il y en a deux couches superposées et, vu la taille du

toit, ça doit facilement peser trois tonnes, ce que tu vois là-

haut. Tu ne voudrais quand même pas que je me coltine ça

tout seul ?

— Non. Tu as déjà l'air assez mal en point comme ça,

répliqua-t-elle en balayant son torse du regard.

— Je suis en pleine forme.

— En pleine forme, hein ? répéta-t-elle en levant les

yeux au ciel. Je ne sais pas si tu es au courant, Dean, mais

les gros balèzes mettent aussi longtemps que les autres à

cicatriser.

Sa petite sœur était-elle en train de lui faire la morale ?

— Je ne te...

— Te fatigue pas, je plaisante. Mais tu auras quand même

bien besoin de Gregor, enchaîna-t-elle en plissant le nez. Il

faudra bien que je le supporte, soupira-t-elle.

— Supporte-le. Tourmente-le, dit-il en lui soulevant le

menton pour la regarder droit dans les yeux. Découvre-le. Il

sera dans le coin pendant quelques jours, profites-en !

Une lueur qui ressemblait à de la gratitude passa dans son

regard avant qu'elle baisse la tête.

— Quand on parle du loup... lança Eve.

Dean vit Gregor qui avançait vers eux.

Toujours torse nu.

Un « détail » que Jacki ne manqua pas de remarquer. Elle

remit ses sacs d'épicerie aux bons soins de Dean et se

redressa de toute sa hauteur pour aller à sa rencontre. Gregor

souriait de toutes ses dents, visiblement ravi de revoir Jacki.

Il la dévorait ouvertement des yeux, s'attardant sur son

ventre nu, étudiant son tatouage, glissant le long de ses

jambes.

Jacki croisa les bras. Gregor ouvrit la bouche.

— Ne commence pas ! lui dit-elle.

Gregor pâlit.

— Ne commence pas quoi ? s'enquit-il prudemment.

— À m'appeler princesse, ma belle, ma douce et tout

le tralala.

Gregor haussa les sourcils pour signifier qu'il était choqué

par son accueil.

— Si tu veux vraiment faire connaissance avec moi,

d'accord ! annonça-t-elle.

— Je préfère ça, répondit-il, soulagé.

— Mais, ajouta-t-elle en durcissant le ton, je te préviens

que je ne te laisserai pas m'utiliser pour obtenir un combat

avec Dean.

— Tu ne peux pas oublier ton frère cinq minutes ? Il n'a

rien à voir avec ça.

— Ah oui ? répliqua Jacki en insufflant autant de

sarcasme qu'elle le pouvait à ces deux mots.

Lentement, délibérément, Gregor se redressa et s'approcha

de façon à n'être entendu que d'elle seule. Il fit

bien, car lorsque Jacki regarda autour d'elle, elle s'aper-çut

que Cam, Eve et Dean ne perdaient pas une miette du

spectacle.

— C'est toi qui m'intéresses, espèce d'idiote !

Jacki mit ses poings sur ses hanches.

— Y a-t-il une seule femme au monde qui ne t'intéresse

pas ?

— Oui, chuchota-t-il. Deux d'entre elles font tout ce

qu'elles peuvent pour écouter ce que je te dis en ce moment

même.

Jacki attrapa Gregor par le poignet.

— Viens par là, ordonna-t-elle en l'entraînant à l'autre

bout de la piscine.

Gregor ne se le fit pas dire deux fois.

— Maintenant, déclara-t-elle quand elle s'estima hors de

portée d'oreilles, je te ferais remarquer que je n'apprécie pas

qu'on me traite d'idiote.

— Arrête de te comporter comme si tu l'étais, si tu ne

veux pas que ça t'arrive.

— Je ne me comportais pas comme une idiote, à l'instant.

— Mes fesses ! Je te répète que c'est toi qui m'intéresses et

que ça n'a rien à voir avec le Ravageur, riposta-t-il. Si tu en

doutes, tu n'as qu'à baisser les yeux et tu verras que je bande

déjà à moitié de t'en-tendre me parler sur ce ton. Ou alors

c'est parce que tu m'as pris par le poignet. Ou les deux.

Jacki écarquilla les yeux et s'appliqua de toutes ses forces

à ne surtout pas les baisser.

— Maîtrise-toi, par pitié, souffla-t-elle. Ma sœur nous

regarde !

— Je ne peux pas m'en empêcher. C'est toi qui me fais cet

effet-là, susurra-t-il.

Jacki baissa furtivement les yeux et s'en voulut aussitôt.

Elle laissa échapper un gémissement et cacha son visage

derrière ses mains.

— Il ne te faut pas grand-chose, en effet.

— C'est toi qui me fais ça ! Tu ne crois quand même pas

que le premier jupon venu me met dans un état

pareil ? s'insurgea-t-il. Si c'était le cas, je ne pourrais jamais

monter sur le ring, vu le nombre de femmes qui ne rêvent

que de ça dans le public.

Exactement la vision qu'imaginait Jacki. Des hordes de

femelles en chaleur se crêpant le chignon pour obtenir les

faveurs de Gregor.

— Si je me mettais dans cet état chaque fois que je vois

une jolie fille, je ne...

Ça suffit!

— D'accord, acquiesça-t-il, ravi de l'avoir mise en colère.

Mais comprends-moi bien, fillette...

— Je ne suis pas une fillette !

— Si, répondit-il en prenant son visage entre ses mains

pour caresser ses joues avec ses pouces, jusqu'à ce qu'elle

soit obligée de basculer la tête en arrière pour affronter son

regard.

Entre ses mains, Jacki se sentait effectivement minuscule.

Une sensation qui n'avait rien de désagréable, mais la

réaction charnelle qu'elle déclencha la fit soudain respirer

plus fort et plus vite.

— Tu es petite, fragile et brûlante, murmura-t-il.

J'ai hâte de te voir nue.

Gregor avait l'art de se montrer convaincant.

— Mais comprends-moi bien, ma belle, poursuivit-il avant

de hausser légèrement le ton quand elle voulut protester. Je

ne suis pas un menteur, et je n'apprécie pas qu'on dise que je

le suis. Tu veux que j'arrête de t'appeler par des petits noms

gentils, d'accord. Je ne te ferai pas de promesses car je me

connais, mais pour toi, je suis prêt à faire des efforts.

Il avait dit cela comme si c'était un grand sacrifice de sa

part.

— Quel honneur ! Je te remercie.

— À condition que tu cesses de m'accuser de trucs que je

n'ai pas faits. Comme de m'être servi de toi.

— Le petit numéro que tu m'as servi hier n'avait donc rien

à voir avec Dean ?

— Rien de rien. Fais-moi confiance, je trouverai bien le

moyen de décrocher un combat contre lui. Il ne pourra pas se

défiler éternellement. Si un raccourci se présente, je

n'hésiterai pas à le prendre, mais je ne i n'abaisserai jamais à

draguer une fille qui ne me plaît I >as pour y arriver.

— Ça veut dire que je te plais ?

Le regard qu'il lui coula la fit rougir.

— Si tu ne me plaisais pas, qu'est-ce que je ferais ici ?

Même dans ce trou paumé, je suis sûr qu'il y a des tas de

filles qui ne demandent qu'à s'envoyer en l'air avec moi.

Jacki leva les yeux au ciel, même si elle savait que c'était

vrai. Elle avait vu de ses propres yeux la façon dont les

femmes le regardaient au bar du Cadavre.

— Si ces fichus voyeurs n'étaient pas là à nous espionner,

je te montrerais l'effet que tu me fais. Je suis bien

proportionné de partout, si tu vois ce que je veux dire...

Jacki comprenait cinq sur cinq.

— Je crois qu'il va falloir que je pique une tête dans ta

piscine, si je veux retrouver ma dignité.

— Je pense pouvoir t'aider, répondit calmement Jacki.

— Ah ouais ? répliqua-t-il, intéressé.

— Ouais, dit-elle en plaquant délicatement les mains sur

son torse puissant... avant de le pousser de toutes ses forces.

Gregor émit un juron retentissant, mais ne put rien faire

pour éviter la suite. Ses bras et ses jambes battirent l'air un

instant, puis son corps massif troua la surface de l'eau dans

un formidable plouf.

Eve, Dean et Cam éclatèrent de rire.

Lorsque Gregor émergea, il écarta les cheveux de son

visage et cligna plusieurs fois des yeux. Réprimant un

gloussement, Jacki s'agenouilla au bord de la piscine.

— Ça va mieux ? susurra-t-elle suavement.

— Payer ses dettes est douloureux, ma jolie, rétorqua-t-il

en souriant. Et je me fais toujours rembourser.

Elle sourit.

Roger leva les yeux. Dean se tenait effectivement sur le

toit, torse nu, en sueur, couvert d'ecchymoses de toutes les

couleurs de l'arc-en-ciel sans que ça paraisse le ralentir le

moins du monde.

— Tu aurais dû me parler de lui avant.

Si Dean et Eve entamaient une relation sérieuse Dean

pouvait décider de rester à Harmony, ce qui risquait de

compromettre tous les projets de Roger.

— Je croyais que Cam t'en aurait parlé. Pour des fiancés,

vous n'êtes pas très intimes, rétorqua-t-elle perfidement.

Roger ne se laissa pas démonter par cette remarque.

— Nous ne sommes pas encore officiellement fiancés,

Lorna.

Dean, qu'il observait d'un œil sombre, souleva une pile de

tuiles qui devait bien peser cinquante kilos et la transporta

avec une aisance stupéfiante jusqu'au bord du toit pour la

lâcher dans une grande benne placée en dessous.

— Quand le serez-vous ?

Roger avait toujours tiré beaucoup de fierté de sa force et

de sa forme physique. Après la brutale interruption de sa

carrière de footballeur, il avait veillé à conserver une

silhouette athlétique. Il n'avait noyé sa déception ni dans

l'alcool ni dans l'apitoiement sur soi, et s'était révélé un

excellent homme d'affaires.

Face à la notoriété de Dean, cependant, contempler ses

victoires chèrement remportées était aussi excitant que de

regarder des poissons évoluer dans un aquarium. Et pour ce

qui était de la puissance physique... il n'y avait tout

simplement pas de comparaison possible. Roger n'aurait pu

assurer sa défense contre le frère de Cam qu'une arme à la

main.

— Roger ?

— J'y travaille, répliqua-t-il sèchement.

— Tu ferais bien d'accentuer tes efforts, riposta-t-elle sur

le même mode.

Une seconde plus tard, une ombre massive se déplaça le

long du toit et un autre homme apparut dans leur

I lump de vision. Un bandana noué sur son front retenait ses

cheveux mi-longs en arrière, et son jean taille liasse révélait

des abdominaux en tablette de chocolat. Les muscles de son

torse et de ses épaules roulant nous sa peau, il laissa tomber

une pile de tuiles dans lu benne. Roger le contempla, bouche

bée.

- Et cette erreur génétique, c'est quoi ?

- Quoi? Où ça? demanda Lorna en plissant les veux vers

le toit. Ma foi, je n'en ai pas la moindre idée !

Elle alla pêcher ses lunettes dans son sac, regarda .1

nouveau et les fanons de son cou tremblotèrent.

— Doux Jésus ! s'exclama-t-elle d'un ton horrifié.

— Tu ne sais pas qui c'est ?

—-Il est carrément... obscène, jugea-t-elle, pâle comme un

linge, sans détacher pour autant les yeux île la silhouette de

Gregor.

— Un autre combattant, probablement, estima Roger. Un

champion, d'après sa carrure.

— Je suis mortifiée. Couverte de honte, déclara Lorna,

portant la main à sa poitrine et pivotant vers Roger. D'après

son aspect peu recommandable, il ne peut s'agir que d'un ami

de Dean. À quoi pense-t-il, d'amener ici ce criminel ?

— Tu ne sais pas si c'est un criminel.

— Il en a l'air !

Roger réfléchit. L'homme était un colosse couvert de

tatouages à l'air mauvais, et ses mâchoires donnaient

l'impression qu'il n'aurait aucun mal à broyer les vieilles

tuiles. Le cas échéant, il viendrait renforcer la défense de

Dean.

— Mon Dieu, Roger ! Que vont penser les voisins s'ils

aperçoivent cette chose en train de gesticuler sur mon toit ?

s'enquit-elle d'une voix mourante. Tu dois intervenir. Tu es le

fiancé de Cam. Tu dois faire cesser cela immédiatement !

Roger scruta Lorna en s'efforçant de dissimuler la haine

qu'elle lui inspirait. C'était sa seule alliée au sein de la famille

Conor, et il avait encore besoin de cette vieille sorcière. Un

jour pourtant, le plus tôt possible, elle ne lui serait plus

d'aucune utilité. Si Lorna n'avait pas été uniquement

préoccupée d'elle-même, la paupière palpitante de Roger lui

aurait révélé son irritation.

— Eh bien ? s'impatienta-t-elle en imprimant un pli

dédaigneux à sa lèvre supérieure qui accentua ses rides. As-

tu l'intention d'intervenir, oui ou non?

— Oui, répondit-il en observant les deux hommes qui

arpentaient la toiture comme si la maison leur appartenait. Je

m'en occuperai, promit-il d'une voix très douce en se

tournant vers Lorna.

Un éclair d'inquiétude passa dans les yeux de celle-ci,

mais ils s etrécirent méchamment l'instant d'après.

— Bon. Je pense que pour commencer, tu devrais...

Roger ouvrit sa portière. Hors de question qu'elle lui

dicte ses actes. Il laisserait la vieille peau se demander ce

qu'il allait faire. Il ne tenait pas à ce qu'elle vienne fouiner

dans ses motivations personnelles.

Il alla ouvrir la portière de son côté et endura le supplice

d'avoir à lui donner le bras pour se diriger vers l'arrière de la

maison. Il décela de nombreux signes révélant une intrusion

masculine dans la maisonnée des Conor. Un lecteur de CD

crachait une épouvantable musique hard rock, à laquelle

faisait écho un martèlement de bottes ponctué de jurons. Une

odeur de viande grillée flottait dans l'air.

Jacki, occupée à disposer assiettes en carton et couverts en

plastique sur une table de jardin recouverte d'une nappe de

couleurs vives, levait régulièrement les yeux vers le toit, puis

soupirait ou fronçait les sourcils.

Ou bien se passait la langue sur les lèvres.

Roger la déshabilla lentement du regard. Physiquement, ce

n'était pas du tout son genre de femme. Trop grande, trop

osseuse, et il n'appréciait guère ses tenues débraillées et son

maquillage outrancier. Mais c'était une Conor, et pour cette

seule raison, sa curiosité lui dictait d'apprendre tout ce qu'il

pourrait sur elle.

À l'ombre d'un grand chêne, Eve était étendue sur une

chaise longue. Avec ses paupières closes et son corps

parfaitement détendu, on aurait pu la croire endormie ; mais

Roger remarqua que son visage se crispait par instants, son

front se plissait et elle pinçait les lèvres.

Douleur? Fatigue?

Peu lui importait, au fond.

Sauf qu'Eve affichait ouvertement le mépris qu'il lui

inspirait et que son opinion comptait énormément pour Cam.

Ce qui obligeait Roger à en tenir compte aussi.

Où était Cam, à ce propos ? Debout devant le barbecue,

ses hanches souples se balançaient au rythme de la musique,

comme si ça lui plaisait vraiment. Était-ce possible ? Roger

était pourtant certain qu'elle préférait la musique country. Il

faudrait qu'il pense à le lui demander. Il voulait tout savoir

d'elle. Ses dégoûts et ses préférences. Ses craintes et ses

frayeurs.

Cam. Si douce et si naïve. Il la regarda retourner la viande

avec la même application qu'elle mettait à tout ce qu'elle

faisait et qui lui plaisait tant.

Un jour prochain, il serait le récipiendaire de toutes ses

attentions - entre les draps d'un lit. Tous deux seraient nus,

brûlants, le corps emperlé de sueur...

Roger se mit à respirer plus fort. Cam l'obsédait de plus en

plus chaque jour. Il rêvait de la posséder. Sur la liste des

choses qu'il voulait, elle figurait en première position.

Quiconque osait s'interposer entre eux le mettait en furie.

Il jeta un coup d'œil aux hommes perchés sur le toit... et

découvrit Dean en train de l'observer. Il ne parvint pas à

déchiffrer l'expression de son visage, mais devina qu'elle ne

reflétait pas la moindre aménité. Il soutint cependant son

regard jusqu'à ce que Lorna surgisse à côté de lui.

— Qui a eu cette idée ridicule d'organiser un pique-nique

? rugit-elle.

Toutes les têtes se tournèrent vers eux.

Eve se redressa sur sa chaise longue.

Jacki interrompit ses efforts pour dresser la table.

Cam se retourna et lui sourit.

— Roger ! Depuis quand es-tu là ?

Son sourire innocent ne manquait jamais de faire naître

toutes sortes demotions en lui. Il 1 émouvait. Le

chamboulait. Lui donnait l'impression de recevoir une

gratification sexuelle.

Le soleil faisait jouer des reflets blonds dans ses cheveux

châtains, aussi fins que ceux d'un bébé, et la chaleur du

barbecue avait rougi sa peau délicate.

— Nous venons d'arriver.

Elle portait une petite blouse sans manches vert pâle et un

bermuda ocre, mais Roger l'avait assez souvent vue en

maillot de bain pour deviner les courbes adorables que

dissimulait cette tenue sage. Le souvenir de sa taille souple et

de ses longues jambes fuselées brûlait dans sa mémoire. Il

rêvait du jour où la courbe de ses seins épouserait divinement

le creux de ses mains.

Un violent désir le submergea. Pour toutes sortes de

raisons, Cam représentait à ses yeux un rêve inaccessible.

Mais il savait que c'était une illusion et s'emploierait à la

faire sienne. Par tous les moyens.

Soucieux d'effacer l'hostilité de Lorna, il s'approcha d'elle

et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Cam ne le repoussa

pas, mais ne manifesta pas non plus un enthousiasme

débordant.

Pourquoi persistait-elle à le tenir à distance ? Malgré

l'intrusion inopportune de son frère, Roger était son sauveur.

Le moment venu, elle ne pourrait pas faire autrement que de

s'en remettre à lui.

Entièrement.

Alors, il obtiendrait ce qui lui revenait de droit.

— J'exige une réponse ! glapit Lorna.

Roger masqua difficilement sa frustration. Lorna Ross

n'avait vraiment aucun sens des nuances, aucune discrétion.

Cam plaça une main en visière au-dessus de ses yeux.

— J'ai décidé de faire des grillades, tante Lorna. Il fait un

temps splendide, et je suis sûre que Dean et Gregor ne

manqueront pas d'appétit.

— Gregor ? répéta Lorna en baissant la voix - pas assez

toutefois pour éviter d'être entendue de tous. Qui est ce

Gregor, justement, avec ces tatouages hideux? Le connais-tu

seulement? Comment sais-tu qu'il n'est pas recherché par la

police ?

— Parce que c'est un ami de Dean, tante Lorna, répondit

Cam en réprimant difficilement un sourire.

— Et cette recommandation t'a suffi pour révéler notre

adresse à cet individu? riposta Lorna d'un ton dédaigneux.

Cam vacilla sous le choc de l'insulte. Roger voulut

intervenir, mais elle ne lui en laissa pas le temps.

— Cette recommandation me suffirait pour lui proposer

d'emménager chez nous, s'il le désirait! rétorqua-t-elle.

Lorna avala une grande goulée d'air et s'apprêtait à se

lancer dans une tirade virulente, quand l'immense éclat de

rire de Dean retentit depuis le toit.

Tout le monde tourna les yeux vers lui.

— C'est très généreux de ta part, Cam ! Mais ce n'est

pas la peine de donner des aigreurs d'estomac à Lorna.

Gregor ne s'installera pas ici.

De plus en plus outrée, Lorna attendit que quelqu'un

s'avise de prendre sa défense, mais chacun était bien trop

occupé à ricaner ou à se gondoler franchement. Roger lui-

même dut faire un violent effort pour ne pas éclater de rire.

— Tu n'as pas l'intention de rester à Harmony,

Gregor? s'enquit Dean.

Gregor essuya la sueur de son visage d'un revers de bras.

Ses biceps aussi gros que des melons saillaient à chacun de

ses mouvements. Il laissa retomber les bras le long de son

corps.

— Seulement si Jacki me le demande.

— Tu vois, tante Lorna, déclara celle-ci en rougissant. Tu

n'as rien à craindre, il n'a pas l'intention de rester. Pas

longtemps, en tout cas.

Tremblante de colère, Lorna balaya l'assemblée d'un

regard haineux.

— Arrêtez ! hurla-t-elle. Et toi ! ajouta-t-elle en se

tournant vers Cam. Tu crois peut-être que ça ne surfit pas de

jeter l'argent par les fenêtres sous prétexte de réparations

inutiles ?

— De réparations urgentes, corrigea Cam.

— Balivernes ! Tu ferais mieux de signer la mise en vente

de ce gouffre qui engloutira le peu qui te reste, au lieu

d'organiser des pique-niques ! Ne compte pas sur moi pour

m'associer à ce comportement irresponsable !

Quêtant son soutien, elle pivota vers Roger, qui se vit

acculé.

— Je n'en ai pas pour longtemps, assura-t-il à Cam sans

changer d'expression.

— Merci, Roger, répliqua-t-elle. Je te mettrai un

hamburger de côté.

Dean et Gregor se remirent à l'ouvrage comme si cet

intermède ne les concernait pas.

Lorna planta ses faux ongles dans le bras de Roger et

l'entraîna vers la maison. Une fois hors de portée du regard

des autres, Roger se dégagea brusquement de l'étreinte de

Lorna, qui le contempla bouche bée, et la violence de son

regard suffit à la faire reculer contre l'évier.

— Mais qu'est-ce qui te prend, Roger?

Il ressentait une telle colère qu'il eut envie de l'étrangler.

— Au lieu de laisser ton caractère dicter tes réactions, tu

ne crois pas que tu pourrais essayer de réfléchir de temps en

temps ?

Elle cligna plusieurs fois des yeux sans comprendre.

— Pour l'amour du ciel, Lorna ! Comment veux-tu que je

gère cette situation si tu m'en écartes ?

Lorna n'admettait jamais ses erreurs.

— Tu ne gérais rien du tout. Tu restais planté là, comme

un imbécile !

— Parce que tu t'imagines que tes vitupérations ont été

efficaces ? Depuis le temps, tu devrais connaître ta nièce un

peu mieux que ça !

— Je la connais très bien, figure-toi. C'est une petite

capricieuse imbue d'elle-même.

— Tu m'en diras tant...

— Néanmoins, poursuivit-elle sans prêter attention à son

sarcasme, je ne l'ai pas élevée pour qu'elle s'acoquine avec

des individus tels que Dean ou ce Gregor.

— Cam prend toujours la défense de ceux qui lui sont

chers, et son frère a beaucoup d'importance à ses yeux.

— Elle ne le connaît même pas !

— Elle sait que tu l'as tenue à distance de lui. Tu ferais

bien de t'en souvenir au lieu de le dénigrer en permanence.

Mais Lorna n'avait pas envie d'entendre ce discours.

Pressant son luxueux sac à main contre sa poitrine, elle se

rembrunit et de nouvelles rides apparurent sur son visage.

— Cet imbécile va tout faire rater !

Non, songea Roger. Il ne laisserait personne menacer ses

projets.

— Tu divagues.

Il sortit son portefeuille et plaça plusieurs billets de vingt

dollars dans la main de Lorna.

— Va faire un tour chez ton esthéticienne. Fais-toi faire

un masque ou un massage, ça te changera les idées.

Elle compta soigneusement les billets.

— Je pourrais appeler une amie, dit-elle en plantant son

regard dans celui de Roger. L'inviter à déjeuner, peut-être...

Il n'est pas question que je m'étouffe avec ces grillades.

Avec un sourire crispé, Roger tira un billet de quarante de

son portefeuille.

— Excellente idée, approuva-t-il en le lui fourrant dans la

main.

Se débarrasser de Lorna n'avait pas de prix.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? grinça-t-elle.

Roger ne faisait pas assez confiance à Lorna pour lui dire

la vérité. Si elle avait su d'où il venait et les raisons qui le

poussaient à récupérer ce qui lui revenait, I non seulement

elle aurait perturbé ses plans, mais il n'y aurait plus eu

moyen de la faire taire.

— Je vais aller retrouver tout le monde dans le jardin,

répondit-il. Je serai ouvert et charmant, de manière à

prendre Ja mesure de la situation. Après quoi, je déciderai

de la meilleure façon de procéder.

— Tu me tiendras au courant ?

— Certainement pas.

Le double menton de Lorna tressauta d'indignation.

— Moins tu en sauras, mieux ça vaudra. Je ne veux

surtout pas t'impliquer dans cette histoire.

— Mon Dieu ! Qu'est-ce que tu as derrière la tête ?

demanda-t-elle gravement.

Roger ne fut pas dupe une seconde de son numéro. Lorna

avait dilapidé des montagnes d'argent sans se soucier un

seul instant de ses nièces. Elle les avait utilisées, elles et

leur héritage, pour mener une vie dispendieuse et avait

franchi plus d'une fois les limites de la légalité pour prendre

des décisions financières au bénéfice de ses seuls intérêts.

Si Dean s'avisait de creuser de ce côté-là, elle aurait bien du

mal à justifier ses écarts.

— Peu importe la façon dont je m'y prends si ça

résout nos problèmes, tu ne crois pas ? se contenta-t-il

de répliquer.

Comme il l'avait escompté, Lorna n'insista pas.

— Oui, tu as raison.

— Dans ce cas, nous sommes d'accord. Il vaut mieux que

j'y retourne, sinon Cam va se demander ce que je fais.

— Tu es un véritable ami, Roger, déclara Lorna en

essuyant une larme de crocodile.

Si elle le serrait dans ses bras, il allait vomir. Reculant

prudemment, il hocha la tête.

— Profite de ta journée, Lorna. Tu l'as bien mérité.

Elle redressa fièrement la tête et s'éloigna, les billets

de banque serrés dans son poing.

— Oh, ça oui ! répondit-elle. Je l'ai bien mérité.

Soulagé de la voir disparaître, Roger se planta devant la

porte pour observer le jardin. Il ne pouvait pas voir les

hommes qui étaient sur le toit, mais il les entendait marcher.

Eve se reposait à l'ombre, ce qui ne lui ressemblait guère,

mais ses ébats nocturnes l'avaient peut-être fatiguée.

Parviendrait-elle à séduire Dean au point de l'inciter à

s'établir à Harmony ? Roger l'en croyait capable. Ce qui

signifiait qu'il devrait composer avec Dean.

Eve ressemblait si peu à Cam qu'il se demandait souvent

sur quoi reposait leur amitié. Le simple fait de penser à Cam

le fit frissonner et il tourna la tête vers elle.

Après avoir chassé un bourdon qui l'importunait, Cam prit

un grand plateau et retira la viande du barbecue à l'aide d'une

pince. Cette vision éveilla en lui plusieurs appétits. Il y avait

longtemps qu'il n'avait pas mangé de grillades en plein air.

Des grillades préparées par Cam.

Roger s'apprêtait à franchir le seuil, quand il s'avisa de la

présence de Jacki. Elle se tenait à l'écart, près de la maison, à

un endroit où les autres ne pouvaient pas la voir. Elle ajustait

son bustier, s efforçant de rapprocher ses petits seins pour

créer l'illusion d'un décolleté généreux.

Un effort définitivement voué à l'échec.

Jacki elle-même parvint visiblement à cette conclusion.

Elle laissa retomber les bras le long de son corps en

soupirant, puis recula d'un pas et leva les yeux vers le toit.

Vers Gregor? Sans doute.

Roger la vit pincer les lèvres avec colère avant de se

diriger, tête basse, vers la maison.

— Salut, Jacki ! dit-il en franchissant le seuil. Je peux

te parler une seconde ?

Elle redressa brusquement la tête et le dévisagea d'un œil

suspicieux.

— Je croyais que tu étais parti avec tante Lorna, déclara-t-

elle d'un ton accusateur.

— Ta tante compte passer la journée avec une amie,

répondit-il.

— Bon débarras !

— J'aimerais te parler, si tu as un moment.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Te dire un mot, rien de plus.

— Je suis venue chercher les chips et les cornichons,

laissa-t-elle tomber avec morgue.

— Parfait, dit Roger en reculant pour la laisser passer. Je

vais pouvoir te donner un coup de main et te faire une

suggestion en même temps.

Un bruit retentit derrière eux, et Jacki se retourna. Gregor

se tenait là, les épaules et le torse dégoulinants de sueur. Le

soleil avait accentué la pigmentation naturellement foncée de

sa peau et il tenait une bouteille d'eau à la main.

Ses yeux, cependant, luisaient comme ceux d'un aigle

tandis qu'il les scrutait sans chercher à dissimuler sa jalousie

dévorante.

Sous ce regard, Jacki changea soudain d'avis.

— De quelle suggestion s'agit-il ? demanda-t-elle en

s'approchant de Roger, tout sourire.

Jacki jouait à un jeu dangereux en provoquant la colère de

ce géant, songea Roger. Mais c'était Cam qui était dans sa

ligne de mire et il chassa cette pensée. Roger jeta un dernier

coup d'œil au géant et referma la porte de la terrasse sur Cam

pour s'enfermer avec Jacki dans la cuisine.

— Une suggestion qui devrait te plaire, expliqua-t-il en se

tournant vers elle.

Et qui, à terme, lui plairait tout autant.