15

— On descend manger? proposa Dean.

— Si tu estimes qu'on peut faire un break, avec plaisir !

acquiesça Gregor.

Dean embrassa la toiture du regard. Après trois heures de

dur labeur, toutes les tuiles avaient été retirées. Il faudrait

encore s'occuper des parties zinguées et ôter soigneusement

tous les clous accrochés à la charpente, mais ils avaient fait

du bon travail.

— Oui, on a bien mérité une petite pause.

— Dieu merci ! J'ai une faim de loup !

Gregor descendit la moitié de l'échelle et, de là, sauta d'un

bond sur la terrasse. Ses pieds avaient à peine touché le sol

qu'il cherchait déjà Jacki des yeux.

De son côté, Dean localisa Eve au moment où elle entrait

dans la maison. C'était sa troisième incursion à l'intérieur et,

chaque fois qu'elle ressortait, elle semblait un peu plus

éteinte.

Dean n'aimait pas ça.

Quand elle ressortit, il s'était assis à l'ombre d'un arbre

pour boire un verre de thé glacé. Eve était si mal en point

qu'elle ne fit même pas attention à lui, et Dean en fut presque

vexé.

Il reposa son verre et s'empressa de la rejoindre sur la

pelouse. Elle marchait lentement, comme perdue dans ses

pensées. Dean l'arrêta en plaçant sa main sur son front.

Elle leva son beau regard bleu vers lui, visiblement

surprise.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Ça va, Eve ?

— Oui, pourquoi ? répliqua-t-elle en s écartant.

Elle était chaude, mais pas vraiment fiévreuse. Pourtant,

elle ne ressemblait plus du tout à la femme dynamique qu'il

connaissait.

— Tu devrais peut-être rentrer chez toi te reposer.

— Je vais très bien, répondit-elle en fronçant les sourcils.

— Tu ne te sens pas bien.

-— D'après qui ? demanda-t-elle en redressant les épaules.

Quelle susceptibilité !

— D'après moi, rétorqua Dean en posant les poings sur

ses hanches.

— Eh bien, tu te trompes. Je ne suis pas malade et je n'ai

pas l'intention de rentrer chez moi. Pas tout de suite, en tout

cas. Je rentrerai me changer après avoir déjeuné, j'ai un

rendez-vous cet après-midi.

-— Quel genre de rendez-vous ?

Elle eut un brusque mouvement de recul.

—.-Je te rappelle que je suis organisatrice d'événements,

au cas où tu l'aurais oublié, dit-elle en rejetant une mèche de

cheveux en arrière avec plus de force qu'il n'était nécessaire.

Je dois rencontrer un de mes clients.

Dean appréciait de moins en moins son attitude. Il la prit

par le bras.

— Viens voir un peu par ici.

Eve enfonça ses talons dans la terre meuble.

— Où veux-tu m'emmener ? Qu'est-ce que tu fais ?

Mais Dean l'entraîna vers le fond du jardin, du côté

du petit bois.

— Dean ? Eve ? Où allez-vous ? cria Cam. C'est prêt !

— On arrive dans une minute ! assura Dean.

— J'ai faim, moi, grogna Eve qui avait du mal à le

suivre. On se donne en spectacle, à cause de toi !

Dean la plaqua contre un tronc d'arbre et la regarda droit

dans les yeux.

— Qu'est-ce qui se passe, Eve ?

— Mais rien, riposta-t-elle, agacée. De toute façon, pour

ce que tu t'occupes des autres...

Dean soupira. Quel que soit son problème, ce devait être

grave pour qu'elle lui parle aussi sèchement. Il ne la lâcherait

pas tant qu'il ne saurait pas ce qui la l racassait.

— Dis-moi ce qui ne va pas, Eve.

Comme elle se contentait de pincer les lèvres, il prit son

visage dans ses mains et déposa un baiser au bout de son

adorable petit nez.

— Allez, ma belle, la cajola-t-il, parle-moi.

Sa sollicitude eut sans doute raison de sa résistance car il

la vit s'abandonner contre le tronc d'arbre, comme en signe

de défaite. Pendant plusieurs secondes, elle fixa la mousse

vert tendre qui recouvrait la base de l'arbre.

— J'ai de mauvaises nouvelles, Dean. Ça ne va pas

Le plaire.

Dean sentit les griffes glacées de l'appréhension s'enfoncer

dans son estomac. Il serra les dents pour se préparer au pire.

— Je t'écoute, Eve.

Elle soupira, détourna le regard, puis jeta un coup d'oeil

vers lui.

-- Ce serait plus facile si tu arrêtais de me regarder comme

ça.

Dean n'avait absolument pas envie de lui faciliter la tâche.

— Parle, bon sang !

— Disons que tu vas devoir changer tes plans pour la

soirée, répondit Eve en croisant les bras.

Dean sentit ses poumons se vider d'un seul coup. Ses plans

pour la soirée ? C'était ça qui la mettait dans cet état?

— Tu veux dire, te faire l'amour? C'est bien de ça qu'il

s'agit, n'est-ce pas?

— Oui, admit-elle en hochant la tête d'un air misé-i able.

Dame Nature a fait valoir ses droits.

Dame Nature ?

Elle avait ses règles ? C'était ça, son problème ?

Le comique de la situation détendit ses muscles, et la rage

qui l'avait saisi à l'idée d'être repoussé se dissipa

instantanément. Il eut envie de rire et, surtout, de l'embrasser

follement.

Mais Dean n'était pas un imbécile. Il plaqua ses mains sur

le tronc d'arbre, l'emprisonnant entre ses bras. Eve avait l'air

fatiguée, à cran, désireuse de se cacher dans un trou de

souris. Refoulant son hilarité, il adopta une expression

soucieuse.

— Tu es dans ta mauvaise semaine ?

— Oui, souffla-t-elle.

— Et c'est ça qui te tracasse ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? rétorqua-t-elle en le

fusillant du regard.

Oh, oh. Vas-y sur la pointe des pieds, mon garçon, se dit-

il.

— C'est juste que tu n'es pas aussi... enthousiaste

que d'habitude.

Tu es même carrément pète-sec, ajouta-t-il mentalement.

Eve laissa échapper un gémissement.

— Si tu veux tout savoir, je me sens complètement

raplapla, voilà ! J'ai des règles épouvantablement

douloureuses et, à chaque fois, j'en ai au moins pour une

semaine. J'ai le ventre qui gonfle, je me sens vidée, c'est

l'horreur, quoi !

Une semaine ? Dean fut sur le point de laisser échapper un

gémissement, lui aussi.

— Je suis désolé.

— Moi aussi, répondit-elle plus calmement. Je me faisais

une telle joie de cette soirée.

Dean lui releva tendrement le menton.

— Tu sais, Eve, ça ne me dégoûte pas. Et puis, il y a des

tas de façons...

— Oublie ça tout de suite ! décréta-t-elle en tentant

vainement d'échapper à la cage de ses bras. Toi, ça ne te

dégoûte peut-être pas, mais moi si ! Et puis de toute façon, je

ne suis pas d'humeur! Crois-moi, Dean, je ne suis pas à

prendre avec des pincettes dans ces moments-là.

Sur ce dernier point, il la croyait tout à fait. Mais il lut le

premier surpris quand il réalisa que passer chastement la

soirée avec elle ne le dérangeait pas. Restait à la

convaincre...

— Tu as une dette envers moi, Eve.

Quoi ?

— On a fait un pari, ma belle. Tu as perdu. Par

conséquent, je viendrai.

Eve eut l'air si furieuse en entendant cela que Dean recula

pour se placer hors d'atteinte. Mais il tint bon.

— Si tu passes la soirée à ronchonner et à dormir, je m'en

accommoderai. Mais il est hors de question d'annuler.

— Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit. Attends-toi à

une soirée chaste !

— Je ne suis pas sourd. J'ai parfaitement entendu ce que

tu m'as dit. J'attendrai que tu ne sois plus indisposée, mais je

viendrai ce soir.

Quelque chose qui ressemblait à du soulagement passa sur

son visage, puis elle croisa les bras et lui tourna le dos.

— Tant pis pour toi, je t'aurai prévenu.

Dean observa sa silhouette délicate et la raideur de ses

épaules. Même lorsqu'elle le repoussait, Eve lui inspirait une

tendresse qui confinait au plaisir.

C'était très étrange.

— Tu perds ton temps, Eve, souffla-t-il en se penchant

pour déposer un baiser sur sa nuque. Il y a quelque chose que

tu ne sais pas encore...

Elle lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, ses

sourcils haussés quêtant une explication.

— C'est qu'il faut se lever de bonne heure pour me faire

peur.

Leurs regards restèrent soudés un long moment avant

qu'elle lui tourne à nouveau le dos.

Non, décida Dean. Eve ne réussirait pas à lui faire peur -

pas tant qu'il n'aurait pas atteint l'objectif qu'il s'était fixé. Il

n'aurait su dire pourquoi, mais il avait décidé de la séduire.

Pas seulement sexuellement.

Pas comme n'importe quelle femme.

Ce qu'il voulait, c'était Eve.

Tout de suite. Ce soir. Demain. Peut-être même toujours...

Lorsque Dean pénétra dans le hall du Cross Streets Motel,

il aperçut Roger qui consultait l'écran d'un ordinateur

derrière le comptoir d'accueil en faux marbre. Il savait que le

motel lui appartenait, mais c'était la première fois qu'il le

voyait ici, et il eut l'intuition qu'il ne s'agissait pas d'une

coïncidence.

Roger mit un moment à réaliser que quelqu'un se trouvait

dans le hall. Quand il leva les yeux et s'aperçut que Dean le

regardait, il sursauta, mais sa grimace céda rapidement la

place à une expression déterminée. Il contourna le comptoir

et se dirigea vers lui.

— Salut. Je peux te parler une minute ?

Uniquement pour l'irriter, Dean consulta sa montre.

— Une minute, pas plus. Je dois prendre une

douche et me changer avant d'aller retrouver Eve.

Roger pinça les lèvres.

— Je vois. Vous ne vous quittez plus, dirait-on.

— Il te reste quarante secondes.

Un éclair de colère passa dans les yeux de Roger.

— Parfait. Allons dans mon bureau, ce sera plus intime.

— Ici, ça me va, rétorqua Dean.

Ils se tenaient au beau milieu du hall, mais il se souciait

peu de partager quoi que ce soit d'intime avec Roger.

— Très bien, lâcha celui-ci après avoir retenu un instant

son souffle. J'irai droit au but.

— Oui, répondit Dean en croisant les bras. Ce sera plus

simple.

— Je veux savoir ce que tu fabriques à Harmony, combien

de temps tu penses rester et ce que tu as l'intention de faire

avec Cam.

— Je suis ici parce que Cam m'a invité, répliqua Dean

avec un haussement d'épaules. Je ne sais pas encore combien

de temps je vais rester, mais veux aider Cam à se remettre

sur les rails.

— Qu'est-ce que tu entends par là ?

— Elle a des dettes, la maison tombe en ruine... Je n'y ai

pas encore beaucoup réfléchi et je ne sais pas jusqu'où je

m'impliquerai, mais j'ai l'intention de l'aider.

Dean attendit de voir comment réagissait Roger à cette

nouvelle. Visiblement contrarié, il se passa la main dans les

cheveux, ce qui le décoiffa, mais lui donna également l'air

plus humain.

— J'avais l'intention de l'aider... dit-il, apparemment plus

pour lui-même que pour Dean.

— C'est tout ce que tu voulais savoir?

Roger enfonça les mains dans ses poches et se jeta à l'eau.

— Je pensais... étant donné que Cam et moi allons nous

marier...

— Peut-être, corrigea Dean.

Ce simple mot, et les implications qu'il recouvrait,

atteignit visiblement Roger de plein fouet.

— Non, c'est une certitude, protesta-t-il. Il n'y a aucun

doute à ce sujet.

Dean trouva cette réaction intéressante. Roger était-il

sincèrement épris de Cam? Ou bien était-il animé par

d'autres motifs ?

— Où veux-tu en venir, Roger?

— Puisque nous ferons prochainement partie de la même

famille, je me suis dit que tu avais peut-être envie de mieux

me connaître.

Dean laissa échapper un petit rire.

— Non.

Famille ? Non, non, non et non ! Il n'allait pas commencer

à auditionner les prétendants de sa sœur. S'il faisait un jour

quelque chose d'aussi stupide, il mériterait qu'on le balance

sur un ring les yeux bandés avec deux des meilleurs

combattants brésiliens.

— Cam est assez grande pour se choisir un mari toute

seule.

— Mais bon sang, j'essaie seulement...

—r Dean ? Roger ? Qu'est-ce qui se passe ? Dean ferma les

yeux l'espace d'une seconde en reconnaissant cette voix

féminine dans son dos.

— Cam, ma chérie ! s'écria Roger avec une joie feinte.

Je ne t'ai pas entendue arriver.

Dean regarda sa sœur se placer à côté de Roger avec une

familiarité évidente. Peut-être que ces deux-là formaient

effectivement un couple, après tout. Ce qui ne signifiait pas

pour autant que Cam l'épouserait.

Sa sœur portait une jupe noire et un chemisier strict

auquel était épingle un badge à son nom, et ce détail emplit

Dean de fureur. Quel homme emploierait la femme qu'il

aime à des tâches subalternes ?

— Je croyais que tu faisais l'inventaire, déclara Roger

après s'être éclairci la gorge.

— J'ai terminé, répondit-elle en souriant. Comment va

Eve? demanda-t-elle en pivotant vers son frère.

— Très bien. J'allais justement prendre une douche avant

d'aller la rejoindre.

— Qui sait ? dit Roger en prenant Cam par la taille. Ta

meilleure amie parviendra peut-être à convaincre ton frère de

rester parmi nous un peu plus longtemps... Ça te rendrait

heureuse, non ?

— Moi, tant que Dean est heureux, je suis heureuse... Au

fait, ajouta-t-elle en glissant une main dans la poche de sa

jupe, tu as deux messages sur le répondeur de ta chambre,

mais je les ai aussi notés.

Elle lui tendit une fiche.

— Simon Evans. C'est mon entraîneur.

— Il a appelé trois fois.

— Ah, fit-il en fronçant les sourcils. C'est normal, j'avais

éteint mon portable pendant que je travaillais sur le toit. Ça

ne doit pas être bien grave.

— Dean ? s'enquit Cam d'un ton hésitant. Je voulais te

demander... enfin, je voulais être sûre... Tu n'as pas

l'intention de partir sans me prévenir, n'est-ce pas ?

L'inquiétude de sa sœur lui serra le cœur. Le croyait-elle

vraiment capable de faire une chose pareille? De filer à

l'anglaise sans même lui dire au revoir ?

— Loin de moi l'idée de te retenir contre ton gré,

s'empressa-t-elle de préciser, mais comme ton entraîneur t'a

appelé, je me suis dit qu'il voulait peut-être que tu rentres, ce

que je comprendrais très bien.

Ta carrière passe avant tout.

Cam s'imaginait donc qu'il plaçait sa carrière avant la

famille qu'il avait perdue de vue depuis vingt ans ?

— Mais j'ai peur de me réveiller un matin et de découvrir

que tu es parti aussi soudainement que tu es arrivé, conclut-

elle avec un sourire hésitant.

— Cam...

Elle s'approcha de lui, visiblement désespérée.

— Si ça ne t'ennuie pas, j'aimerais que tu me donnes ton

numéro de téléphone et ton adresse. Je te jure que je ne te

dérangerai pas et que je ne viendrai jamais chez toi sans être

invitée, mais...

Submergé par un flot d'émotions, Dean avait la gorge

tellement nouée qu'il fut incapable de prononcer un mot.

Alors il souleva Cam dans ses bras et la serra très fort contre

son cœur.

C'était la première fois de sa vie qu'il serrait sa sœur dans

ses bras, et il trouva cela incroyablement agréable. Il enfouit

son nez dans ses cheveux et respira son odeur, si étrange et si

familière à la fois. Rassurante.

— Je ne disparaîtrai pas, Cam, je te le promets, dit-il d'une

voix étouffée.

— Doucement, Dean... murmura-t-elle.

Il releva la tête et découvrit le visage ravagé de colère de

Roger. Dean lut dans son regard qu'il se retenait

difficilement de lui sauter dessus, et regretta quant à lui de ne

pas avoir une bonne raison de lui flanquer son poing dans la

figure.

— Tu vas l’etouffer, voyons, grinça Roger. Laisse-la

respirer un peu !

Dean, qui avait déjà relâché son étreinte, reposa

délicatement sa sœur par terre.

— Excuse-moi, lui dit-il. J'espère que je ne t'ai pas fait

mal.

— Quelques côtes cassées, rien de grave, plaisanta Cam

avec un sourire qui la fit fugitivement ressembler à Jacki.

Après avoir remis de l'ordre dans ses vêtements, elle prit

le visage de Dean entre ses mains.

— Alors tu me le promets, hein ? Tu ne quitteras pas

Harmony sans m'avertir ?

Sa sœur était une femme démonstrative dotée d'un instinct

maternel hypertrophié. Elle aimait toucher les gens, c'était

pour elle parfaitement naturel. Dean l'imagina en compagnie

de Roger, et cette idée lui déplut énormément.

— Oui, répliqua-t-il en regardant Roger droit dans

les yeux. Je te le promets.

— Merci, souffla-t-elle en le prenant par la taille.

Dean répondit à son étreinte le plus naturellement

du monde.

Quand Dean franchit les portes du motel un peu plus tard,

fraîchement douché et changé, le hall était désert. Roger était

sans doute rentré chez lui et Cam devait être occupée

ailleurs.

Une fois dehors, l'air chaud et humide s'abattit sur lui et le

craquement des semelles de ses chaussures sur l'allée

gravillonnée se répercuta dans la nuit. La lumière des

réverbères situés près de l'entrée de l'établissement

n'atteignait pas le fond du parking, et les voitures qui s'y

trouvaient étaient noyées dans une ombre dense. La Sebring

de Dean, qui avait pour habitude de se garer à distance des

autres véhicules, formait une masse isolée aux contours

estompés, à peine visible contre la toile de fond des haies de

l'épicerie voisine.

Tout en se dirigeant vers sa voiture, Dean composa le

numéro de Simon Evans. Après quatre sonneries, son

entraîneur décrocha.

— Evans, j'écoute.

Dean s'apprêtait à parler quand un léger bruit assorti d'un

mouvement dans l'ombre attira son attention. Cela avait été

si furtif qu'il l'avait peut-être simplement imaginé, mais ses

sens n'en demeurèrent pas moins en alerte et ses yeux

fouillèrent l'obscurité.

Rien.

Evans raccrocha.

Dean recomposa son numéro.

— Salut, c'est Dean, déclara-t-il cette fois.

— Tu avais un problème de connexion ? s'étonna Simon.

— Non, simple distraction. J'ai eu tes messages. Qu'est-ce

qui se passe ?

— Un contrat en or, tout simplement. Fais tes valises et

rapplique en vitesse !

— Non.

Simon hésita.

— Qu'est-ce qui t'arrive? Tu ne veux même pas savoir de

quoi il s'agit ?

— Tu grilles d'envie de me le dire, alors je t'écoute,

répondit Dean en sachant pertinemment que ça ne changerait

rien à sa décision.

— Desmond s'est cassé la main au cours de son dernier

combat. Plusieurs os fracturés, il en a pour un moment.

— Dur pour lui. En quoi ça me concerne ?

— Son combat a fait l'objet de nombreux commentaires,

assez négatifs dans l'ensemble.

— Rien de très surprenant, répliqua Dean en continuant à

regarder autour de lui tandis qu'il approchait de sa voiture.

— Oui, et c'est là que tu interviens. Tu es le chouchou des

médias, Dean. Tes victoires se sont toujours déroulées dans

le respect des règles et ton attitude optimiste les a conquis.

Ton côté toujours propre sur soi.

— Propre sur soi ? s'esclaffa Dean. Qu'est-ce que c'est que

ces âneries ?

— Tu as les cheveux courts, pas de piercing et un seul

tatouage discret. Tu ne fumes pas, tu ne bois pas et, alors que

la moitié de la planète se bourre de sté-roïdes, tu déclares

publiquement être opposé à leur usage.

— Je me suis contenté d'apparaître dans un clip.

— Tu finances des programmes éducatifs et tu fais de

nombreux dons à des organisations caritatives.

— C'est déduit de mes impôts.

— Bref, ta cote est au niveau maximum, enchaîna Simon

sans l'écouter. Et on vient de me soumettre un projet de

reportage sur toi, le genre de truc où l'équipe te suit dans tous

tes déplacements...

— Non.

— L'accent serait mis sur tes plus beaux moments de

gloire.

— Non.

Sentir une caméra braquée sur lui en permanence était

bien la dernière chose qu'il désirait. Simon laissa échapper

un soupir avant de changer son fusil d'épaule.

— Dis donc, tu ne devais pas me contacter dès que tu

serais installé ?

— J'ai eu quelques contretemps.

— Écoute, je vais venir te voir...

— Pourquoi ? coupa-t-il en sortant ses clefs de voiture de

sa poche.

— Je sens qu'il se passe quelque chose, Dean. J'ai

l'impression que tu n'es pas dans ton assiette.

— Je me porte à merveille.

Il ne savait pas où il en était vis-à-vis de deux sœurs qu'il

n'avait pas revues depuis vingt ans, il entendait des bruits

bizarres et voyait des ombres se déplacer dans l'obscurité,

mais il se portait à merveille.

— Tu en as bavé pendant ce dernier combat, Dean.

— J'ai gagné.

— Tu te déplaçais comme un débutant. Tu as laissé filer

des tas d'opportunités de ratatiner ce Russe sans bouger une

oreille.

C'était vrai... mais il avait gagné quand même.

— Gregor est là. Je vais m'entraîner avec lui.

— Non mais ça ne va pas ! rugit Simon. Je t'interdis de

t'entraîner avec Gregor avant mon arrivée, tu m'entends ? Tu

vas le massacrer !

Il inspira un grand coup avant de poursuivre.

— J'ai de quoi noter, annonça-t-il finalement. Donne-moi

ton adresse, je te rejoins dans quelques jours.

— Rends-moi d'abord un service, tu veux bien ?

— Ça dépend. Je préfère savoir à quoi je m'engage.

— Charge quelqu'un d'enquêter sur le passé d'un

dénommé Roger Sims. Il possède plusieurs entreprises à

Harmony, expliqua Dean avant de les citer pour faciliter les

recherches.

— C'est quelqu'un qui en a après toi ?

— Pas vraiment.

Pas encore, ajouta-t-il pour lui-même en scrutant

l'obscurité autour de lui.

— Alors pourquoi t'intéresses-tu à lui ?

— Il sort avec ma sœur.

Simon marqua un silence, puis se réfugia derrière un trait

d'humour.

— Le fumier ! Tu veux que je le fasse buter ?

— Si tu promets de ne pas me mettre sur le gril au sujet de

ma famille dont je ne t'ai jamais parlé, je te demanderais bien

d'apporter un peu de matériel avec toi.

— Quel genre de matériel ?

— Du matériel d'entraînement. Si je dois former Gregor,

autant faire ça bien.