Du sang coulait sur le bras d'Eve.
— Lorna ?
Celle-ci sursauta et tira un peu plus fort sur les cheveux
d'Eve.
— Dean ? Tu n'es pas à l'hôtel en train de massacrer
Roger?
— Non, je suis là.
— C'est dommage... J'ai jeté le paintball quand j'ai vu que
vous appeliez la police. Je ne sais pas trop comment
fonctionnent toutes ces histoires d'empreintes digitales...
— J'imagine que tes empreintes ne figurent dans aucun
fichier, répliqua-t-il en l'observant attentivement.
— Non, bien sûr.
— Quand il y a un suspect, on prend ses empreintes et on
vérifie si elles figurent dans un fichier de police ou si elles
correspondent à celles qu'on a relevées sur l'arme du crime,
par exemple.
— Oh. Je suppose qu'il faudra que je me débarrasse aussi
de l'échelle, alors. Je n'y avais pas pensé. Je ne suis pas
comme ça, tu comprends. Je ne pense pas comme une
criminelle. En dehors du père de Roger, je n'ai jamais fait de
mal à personne.
— Le père de Roger?
— Grover avait abandonné cette épave dans le caniveau,
devant la maison. Ça faisait très mauvais effet.
Je ne pouvais pas laisser traîner sous les yeux des voisins
cette preuve du passé sordide des deux petites filles dont
j'étais responsable. Je suis certaine que tu comprends.
Dean s'appuya nonchalamment au chambranle de la porte,
prêt à sauter sur Lorna à la première occasion.
— Qu'en as-tu fait ?
— Je l'ai rentré dans la maison, évidemment. Je l'ai fait
dessaouler et je lui ai promis de l'emmener voir ta maman.
J'avais réussi à convaincre cet imbécile qu'elle n'était pas
morte, en définitive.
— Et tu l'as tué ?
— Il s'est tué lui-même en menant une vie dissolue !
— Comment est-il mort, Lorna ?
— Tout s'est déroulé à merveille !
La main qui tenait le couteau se posa sur l'épaule d'Eve et
Lorna gloussa, comme si elle était très fière de son exploit.
— J'ai attendu qu'il fasse nuit et que les filles soient
endormies. Je lui ai donné une bouteille de whisky pour qu'il
se tienne tranquille et je l'ai conduit jusqu'à un lac, en dehors
de la ville.
— Il s'est encore saoulé ?
— C'était un alcoolique. À dire vrai, il était bien plus
cohérent quand il avait bu qu'à jeun. Il était complètement
ivre et je lui ai dit que ta maman se cachait et qu'elle
l'attendait. J'avais l'intention de l'abandonner là, mais nous
étions au bord du lac quand il est tombé et il n'a pas refait
surface. Je ne sais pas s'il s'est cogné la tête ou s'il a perdu
connaissance, ajouta-t-elle avec un haussement d'épaules.
— Tu l'as poussé dans l'eau ?
— Oui. Pour autant que je sache, il y est toujours.
Elle tira soudain les cheveux d'Eve dont la tête bascula en
arrière.
— Pourquoi n'as-tu pas quitté la ville ? Tout aurait été
beaucoup plus simple.
Eve déglutit, et ce petit bruit lui serra le cœur.
Réfléchis, Dean. Il fallait qu'il se calme.
Roger et Gregor avaient certainement prévenu la police
qui risquait d'arriver toutes sirènes hurlantes. Comment
réagirait Lorna ?
Dean s'écarta lentement de la porte.
— Je crois qu'Eve est blessée...
— Une petite coupure de rien du tout. Elle a essayé de me
prendre le couteau des mains.
— Je suis désolée, Dean, murmura Eve. Elle m'a eue par
surprise.
Dean secoua la tête. Si Eve se taisait, Lorna ne penserait
peut-être plus à elle, ni au temps qui passait.
— Cette histoire d'argent est sans importance, tu sais,
Lorna.
— Ah ! Tu es au courant ! dit-elle en levant les yeux vers
lui.
— Roger m'en a parlé.
— Quel ingrat ! cracha-t-elle en secouant la tête. Il m'a
beaucoup déçue.
— C'est sans importance, Lorna. Tu mérites cet argent.
— Tout à fait, approuva-t-elle.
— Moi aussi, j'ai beaucoup d'argent. Plus que Roger,
même, mentit-il. Vous prendre en charge ne me pose aucun
problème. Y compris toi, Lorna.
— Tu ferais cela pour moi ?
— Je te suis tellement redevable ! Tu as pris soin de Cam
et Jacki pendant toutes ces années, tu t'es sacrifiée, Lorna. Il
suffit que tu me donnes ce couteau...
— Impossible ! Je sais que tu ne t'occuperas pas de moi.
Tes parents ne l'ont jamais fait. Ils aimaient Grover, mais
moi, ils me trouvaient pénible. Je les ai entendus le dire. Ils
me trouvaient pénible et collet monté. J'étais une indésirable,
à leurs yeux.
— C'est toi qu'ils avaient désignée pour prendre soin de
leurs enfants, Lorna. Cela prouve bien qu'ils te respectaient
et qu'ils avaient confiance en toi.
— Ah, ah, ah ! s'esclaffa-t-elle avant de le dévisager d'un
regard qui reflétait clairement sa folie. Tu plaisantés ? Ils
m'ont chargée de ce fardeau parce que personne d'autre n'en
aurait voulu !
— Lorna... dit-il en avançant d'un pas prudent. Le couteau
s'éleva. Lorna ne riait plus.
— Si tu avances encore, je la tue. Eve
battit des cils, terrifiée.
— C'est pour elle que tu es venu ici. Si elle disparaît, tu
partiras aussi et tout redeviendra comme avant.
— Je l'emmènerai, promit Dean. Nous partirons ensemble.
— Tu me prends pour une idiote ? rétorqua Lorna en
retroussant les lèvres.
— Non.
Dean perçut soudain un mouvement derrière elle. Simon.
Son cœur se mit à battre plus vite. Eve allait s'en sortir.
Pour que Lorna ne se doute de rien, il concentra son regard
sur les deux femmes.
— Tout va bien, Eve.
— Je sais.
Lorna rit, mais son rire avait perdu de son assurance.
— Elle est blessée, Dean. Elle saigne !
Son nez se plissa.
— Je sens l'odeur de son sang ! Je ne m'en étais pas rendu
compte. Comment peux-tu te complaire dans une boucherie
perpétuelle, Dean ?
— Je n'ai jamais poignardé personne, Lorna.
— Non, mais tu fais saigner tes adversaires. Tu leur
donnes des coups de poing, des coups de pied, tu...
— Avoir un couteau n'est pas une garantie pour prendre le
dessus. On peut faire s'écrouler un homme d'un simple coup
de coude dans le foie. Tu te souviens que je t'avais expliqué
ça l'autre soir, Eve ? demanda-t-il en baissant les yeux vers
elle.
— Oui, répondit-elle en envoyant un violent coup de
coude en arrière - qui atteignit Lorna en plein dans le foie.
Celle-ci écarquilla les yeux, ouvrit la bouche et lâcha les
cheveux d'Eve tandis que Simon la délestait de son couteau.
Muette dans sa douleur, Lorna s'écroula par terre.
En un clin d'œil, Dean souleva Eve dans ses bras et la
serra sur son cœur.
— Dean ? dit-elle en se pelotonnant contre lui.
— Chuuut. Tout va bien.
Il s'approcha de l'évier et s'arrangea pour bander son bras
blessé d'une seule main.
— Merci. Je t'aime, Dean, ajouta-t-elle, la tête calée sous
son menton.
— Moi aussi, je t'aime, murmura-t-il, la gorge nouée par
l'émotion.
Deux mois plus tard, Dean frappa chez Eve. Il se sentait
un peu ridicule avec son pantalon kaki et son polo noir.
D'autant plus ridicule qu'il avait à nouveau le visage couvert
de bleus et qu'il tenait un bouquet de fleurs sauvages à la
main.
Il avait finalement accepté le projet de reportage que lui
avait soumis Simon, et pendant son absence, toutes les
complications s'étaient aplanies.
Le jour de l'arrestation de Lorna, Simon lui avait expliqué
qu'il était allé le rejoindre à l'hôtel pour lui transmettre les
résultats de l'enquête sur Roger qu'il avait enfin reçus. Là,
Cam, Jacki, Gregor et Roger lui avaient expliqué la situation,
et il s'était dépêché d'arriver chez Eve avant la police.
Après avoir été interrogée par la police, qui n'avait pas
réussi à lui tirer un seul mot, Lorna avait été placée dans une
institution spécialisée. Elle était complètement aphasique et
semblait avoir définitivement basculé dans la folie. Les
psychiatres doutaient qu'elle soit capable d'assister à son
procès.
Poussé par Eve, Dean avait donc accepté de suivre Simon
pour reprendre l'entraînement sous l'œil des caméras, et le
jour de son combat à Atlanta, il avait eu la surprise de
découvrir Jacki parmi le public, au premier rang !
Impatient, il frappa à nouveau à la porte.
— Minute papillon ! répondit la voix d'Eve.
Une seconde plus tard, elle ouvrait la porte. Son visage
s'illumina lorsqu'elle le découvrit, mais aussitôt après, son
sourire disparut.
— Dean ! Je ne savais pas que tu étais de retour ! Il lui
tendit le bouquet.
— Il me semble que je te devais bien ça.
— Des fleurs ?
— Tu m'as bien dit que tu aimais les fleurs sauvages,
non?
— Elles sont magnifiques.
— Je te dois aussi plusieurs sorties et je te promets que tu
y auras droit.
— Vraiment ?
Dean entendit des voix chuchoter derrière elle et se
prépara à une grosse déception.
— Tu n'es pas seule ?
— Non. Ma famille est là. Au grand complet !
Les voix se rapprochèrent et Dean vit surgir Crystal, Ted
et Mark, tout sourire, qui s'empressèrent de l'attirer à
l'intérieur
Eve ne put faire autrement que de reculer pour les laisser
passer et annonça en levant son bouquet qu'elle allait mettre
les fleurs dans l'eau.
Ted lui serra vigoureusement la main, et les commentaires
au sujet du reportage et de son dernier match fusèrent
immédiatement. Dean sentit son appréhension s'envoler et
répondit à toutes leurs questions. C'était bon de retrouver la
famille d'Eve.
Quand elle revint dans la pièce, Dean tendit les bras vers
elle pour l'attirer contre lui.
— Je suis désolé, Crystal, déclara-t-il en se tournant vers
elle.
— Désolé? Pourquoi donc? S’étonna-t-elle.
— De ne pas être passé par ton agence pour acheter une
maison à Harmony.
— Tu as acheté une maison ici ? s'exclama-t-elle.
— Oui, tout près d'ici, en fait.
— Une ruine à retaper ? demanda Eve.
— Non, c'est une maison pratiquement neuve. À peu près
deux fois comme la tienne avec un grand jardin. J'en suis très
content, ajouta-t-il en déposant un baiser sur ses lèvres. J'ai
décidé de m'installer ici.
— Tu l'as déjà meublée ? questionna Crystal.
Dean secoua la tête.
— Si Eve accepte de m'épouser, ce sera à elle de choisir
où elle veut vivre, et si nous emménageons chez moi, elle
aura certainement envie de choisir les meubles.
Eve en demeura muette de surprise.
— Si tu te maries avec Eve, intervint Mark, pourquoi as-
tu acheté une autre maison ?
— Pour qu'Eve sache qu'elle a le choix, répliqua-t-il en
effleurant ses lèvres du bout des doigts. Et que moi aussi,
j'avais le choix.
— Tu m'as choisie, moi ? s'enquit Eve avec un sourire
tremblotant.
— Oui. Et j'espère que c'est moi que tu choisiras. Ted
toussota.
— Il est peut-être temps que nous vous laissions...
— Vous ne me dérangez pas, lui assura Dean. Tu
sais que Jacki a décidé de quitter Harmony ? demanda-
t-il à Eve.
Elle secoua la tête.
— Elle va emménager avec Gregor. Gregor m'a juré qu'ils
se marieront dès que Jacki acceptera sa demande, mais Jacki
craint d'empiéter sur sa carrière. Je fais confiance à Gregor
pour la convaincre que ce n'est pas le cas !
— Cam et Roger ont l'intention de rester ici, lui dit Eve.
Mais ils feront un très long voyage de noces, une fois que
tout sera réglé en ce qui concerne Lorna.
— Bon, je crois qu'il est temps que nous partions, déclara
Crystal avec autorité.
Mark et Ted avaient un million de questions à poser, mais
Crystal était une femme efficace et, en moins de deux
minutes, Dean et Eve se retrouvèrent seuls.
— Tu as encore fait fuir ma famille, s'amusa Eve en
s'adossant à la porte d'entrée.
Dean lui prit la main et l'entraîna jusqu'au canapé.
— J'aime bien ta famille.
— Ils t'aiment bien aussi.
Dean s'assit à côté d'elle et recouvrit sa bouche d'un long
baiser qui laissa Eve haletante. Il aurait volontiers prolongé
l'instant, mais ils devaient encore parler.
— Je ne voudrais pas froisser mon pantalon, dit-il en
s'écartant d'elle.
Eve passa la langue sur ses lèvres.
— J'avais remarqué tes efforts vestimentaires.
— C'est vrai ? Alors, comment tu me trouves ?
Faisant mine de réfléchir, elle fit courir ses doigts sur ses
épaules.
— Je t'ai dit un jour que tu étais toujours beau, quelle que
soit ta façon de t'habiller. Tu n'as pas besoin de changer de
style pour me plaire.
— Tu es sûre ? Parce que je peux changer si c'est
important. Enfin, si c'est vraiment très important, je veux
dire.
— C'est absolument sans importance, affirma-t-elle avec
un grand sourire.
— Ouf ! soupira Dean. Heureusement, parce que je n'ai
acheté qu'un seul pantalon !
Eve voulut l'embrasser, mais Dean pencha le buste en
arrière.
— Mais j'ai autre chose à te montrer...
— Quoi donc ?
— Ce n'est pas une bague, si c'est à ça que tu penses. Tu
as très bon goût et je me suis dit qu'il valait mieux te laisser
la choisir.
— On va aller choisir une bague ensemble? demandât-elle
avec un petit sourire mutin.
— Absolument.
Dean cala son dos contre le dossier du canapé et remonta
la manche de son polo pour lui faire admirer son tatouage.
Eve entrouvrit les lèvres.
Dean avait fait ajouter une marguerite aux roses qui
ornaient son biceps. Une marguerite qui donnait l'impression
de pousser en plein soleil.
— Tu m'avais dit que tu voulais des marguerites pour ton
mariage, alors je me suis dit...
Eve se jeta dans ses bras.
— Tu m'as tellement manqué !
Dean la serra contre lui, mais il n'avait pas terminé.
— Je veux que tu saches que c'est pour toi que je suis
revenu, Eve. J'aime mes sœurs et je tiens à ce qu'elles fassent
partie de ma vie. Il se trouve que tu fais partie de leur vie et
que tu habites ici, mais je voudrais t'épouser même si ce
n'était pas le cas. Je voudrais t'épouser même si je n'avais
jamais retrouvé mes sœurs. Et même si...
Eve posa un doigt sur ses lèvres.
— Contente-toi de dire que tu m'aimes.
— Je t'aime.
— Moi aussi, je t'aime, et c'est la seule chose qui compte.
Dean se détendit.
— Qu'est-ce que tu dirais si j'ouvrais un gymnase ici ?
— À Harmony ?
— Oui. Pour rester près de toi. Elle le dévisagea.
— Mais... et les combats?
— J'arrêterai. Au moins pendant un temps.
— C'est dommage. Tu es vraiment doué pour ça.
— Oui, mais je suis aussi doué pour te faire l'amour,
répondit-il en plaquant les mains sur ses fesses.
— Oh, Dean ! s'exclama-t-elle avant de l'embrasser
follement. Je ne veux pas que tu abandonnes les combats à
cause de moi.
— Ne crois jamais ça, d'accord ? Je change d'orientation
parce que ça fait un moment que j'y pense. J'aime trop le
sport pour le laisser complètement tomber, et si on me faisait
une proposition vraiment alléchante, je reviendrais peut-être
sur ma décision. Ça fait partie des possibles. Mais pour le
moment, j'ai envie d'enseigner. Je suis sûr que je ferais un
entraîneur du tonnerre... Dieu sait que Gregor en a besoin,
conclut-il en soupirant. Eve éclata de rire.
— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? demanda-t-il.
— Rien, répliqua-t-elle en passant les bras autour de son
cou. Je me disais juste que ce sera intéressant d'avoir le
Ravageur à Harmony.
— J'espère bien. Parce que je n'ai pas l'intention de
repartir tant que tu seras ici.