Plus tard, quand Dean arriva chez sa sœur, la massive
silhouette de Gregor se découpait déjà sur la terrasse. Il avait
dû se précipiter à l'adresse que lui avait donnée Dean dans
l'espoir de revoir Jacki. Gregor avait beaucoup de succès
auprès des femmes, mais c'était certainement la première fois
de sa vie qu'il était obligé de faire des efforts pour obtenir les
faveurs de l'une d'elles.
Lui demander de l'aider permettrait à Dean d'assister à ce
spectacle depuis les premières loges. Il avait dans l'idée que
sa petite sœur ne se laisserait pas facilement séduire, et
Gregor avait intérêt à manœuvrer en douceur.
Pour l'instant, seules Cam et Eve lui tenaient compagnie.
Jacki l'évitait-elle délibérément, ou bien ignorait-elle encore
sa présence ? Comme il s'approchait, Dean constata que
Gregor déployait tout le charme dont il était capable pour le
bénéfice de ces demoiselles. Son comportement n'avait rien à
voir avec le marquage de territoire presque barbare qu'il avait
adopté en présence de Jacki. Puisqu'elles étaient proches de
celle qu'il convoitait, Gregor essayait de leur plaire.
Sans grand succès.
Tout en s'efforçant comme à son habitude de rester polie,
Cam le dévisageait d'un air presque horrifié en clignant des
yeux. Son regard revenait sans cesse sur ses oreilles en chou-
fleur et sur les impressionnants tatouages de son torse. Même
dépourvu de tatouages, son torse nu aurait eu de quoi
intimider plus d'une femme.
Dean fut sur le point de faire une remarque à Gregor sur
son absence de chemise, mais son attention fut attirée par
Eve. Elle avait troqué son adorable robe à fleurs contre un
short plus adorable encore, assorti d'un bustier découvrant
une bande de peau nue au niveau de la taille. La seule vision
du bijou qui ornait son nombril lui tira un long frisson dé
désir.
Contrairement à Cam, Eve ne semblait pas affectée outre
mesure par l'apparence de Gregor.
Dean laissa bruyamment tomber par terre la brassée
d'outils qu'il transportait. Gregor pivota vers lui et abandonna
instantanément son numéro de charme pour se plaindre.
— Dean ! Ta petite sœur me fuit !
— Je la comprends. Où est-elle? s'enquit-il en se tournant
vers Cam.
— Elle, euh... elle s'est portée volontaire pour aller faire
des courses à l'épicerie.
— Pour le déjeuner, expliqua Eve. On va faire griller des
hamburgers et des hot dogs. J'espère que tu as faim, ajouta-t-
elle d'une voix langoureuse en s'appro-chant de lui.
— J'ai toujours faim.
— Tu crois qu'elle en a pour longtemps ? questionna
Gregor en tripotant une de ses boucles d'oreilles.
— Elle ne devrait pas tarder, lui assura Cam. Je reviens, je
vais chercher du thé glacé pour tout le monde, prétexta-t-elle
pour s'échapper.
— Je vais t'aider, déclara Gregor en posant délicatement sa
grosse paluche au creux de son dos. Comme ça, tu pourras
me parler de Jacki.
Refuser son aide eût été impoli, et Cam se résigna à se
laisser accompagner.
— Tes amis ont-ils tous autant de... personnalité?
demanda Eve avec un grand sourire une fois qu'ils
eurent disparu.
— Gregor est plus un aspirant au titre de champion qu'un
ami à proprement parler, mais il est sympa. Un peu trop zélé,
parfois.
— Avec ta sœur, par exemple ?
— Elle lui a tapé dans l'œil, répondit-il en souriant. Tu les
aurais vus, hier soir ! Gregor était à deux doigts de lui réciter
des vers ! Malheureusement pour lui, Jacki est persuadée
qu'il l'a utilisée pour m'approcher.
— Mais tu sais que ce n'est pas le cas, c'est ça ?
— Gregor ne fonctionne pas comme ça. En revanche, je
me demande ce qui incite Jacki à douter de ses intentions.
Tu n'aurais pas une petite idée?
— Non. Pour autant que je sache, elle a toujours eu
beaucoup de petits copains. Tu as entendu ce qu'en dit mon
frère : Jacki attire les gens à elle. Elle a beaucoup de
charisme.
— Peut-être...
Dean en doutait. Il avait décelé trop d'éclairs d'insécurité
derrière cette façade sociable.
— Tu sais, reprit Eve, la première fois que tu as vu Jacki,
tu as involontairement mis le doigt sur ses points faibles.
— Sa taille et sa maigreur?
— Et ce qui va avec. Ou plutôt ce qui fait cruellement
défaut, justement.
— Ah.
C'était donc ça. Ah, les femmes ! Pourquoi persistaient-
elles à croire que les hommes attachaient autant
d'importance à la taille de leurs seins ?
— Ça la Complexe à ce point-là ?
— Ça complexerait n'importe quelle femme.
— Je ne vois pas pourquoi. Les hommes ne sont pas aussi
futiles que vous semblez le croire. Faire l'amour entièrement
nu avec la lumière allumée. Rire. Oublier toutes ses
inhibitions, voilà ce qu'on veut ! lui confia-t-il avec un clin
d'œil.
Eve rougit. C'était exactement ce que Dean avait obtenu
d'elle. Il lui souleva le menton et déposa un baiser sur ses
lèvres.
— Si Jacki laisse sa chance à Gregor, je suis certain qu'il
saura lui prouver que la taille de ses seins n'a aucune
importance. Tu as encore des rendez-vous cet après-midi ?
s'enquit-il, incapable de résister à la tentation d'embrasser sa
gorge.
— Non, c'est pour ça que je suis venue te regarder
transpirer. Tu es sûr de pouvoir travailler en plein soleil ?
C'était bien la première fois qu'une femme s'inquiétait
pour lui. Désarçonné, il éprouva subitement l'envie de la
serrer dans ses bras, mais préféra s'abstenir.
— Tu devrais désormais avoir une petite idée de
mon endurance à la chaleur, Eve...
Elle ne rit pas. Elle effleura le bleu qui marquait sa joue
du bout des doigts et écarta ses cheveux de son front pour
observer ses points de suture.
Il laissa échapper un petit rire forcé et se dégagea pour
enlever sa chemise.
— Si tu as envie de me caresser, je peux t'indiquer des
parties de mon corps beaucoup plus sensibles.
— Si je commence à te toucher, je ne pourrai plus
m'arrêter.
— Garde ça en réserve pour ce soir, alors.
Il l'embrassa un peu plus longuement, puis s'écarta pour
examiner les outils dont il avait besoin. Comme ils allaient
retirer toutes les vieilles tuiles, il avait fait livrer une benne
qu'on avait disposée dans l'allée. Plus tard dans la soirée, le
magasin de matériaux livrerait les nouvelles tuiles
directement au niveau du toit.
Eve l'avait suivi et il devina qu'elle brûlait d'envie de lui
dire quelque chose. Si elle avait l'intention de se défiler ce
soir parce qu'elle était vexée qu'il ait gagné leur pari...
— Ma mère m'a dit que tu ne veux pas vendre la maison ?
— C'est vrai, répondit-il, soulagé.
— Alors... qu'est-ce que tu comptes faire?
— Discuter avec Cam, pour commencer. Je ne voudrais
pas qu'elle se fasse des illusions. Tu ne lui en as pas parlé ?
— Je me suis dit que c'était à toi de le faire. Et puis, ça
vous permettra de faire un peu mieux connaissance.
— Pas faux, répliqua-t-il en inventoriant les outils pour
s'assurer qu'il n'oubliait rien.
— Quand as-tu l'intention de lui en parler?
— Tu n'arrêtes pas de m'inciter à tisser des liens avec
elle, mais ce n'est pas comme ça que les choses se passeront,
Eve, alors tu ferais mieux d'oublier.
— J'en suis bien consciente, répondit-elle d'un ton si
aimable que Dean n'en crut pas un mot.
— Je me demande ce qu'elle fabrique, à ce propos,
déclara-t-il en tournant la tête vers la porte-fenêtre par
laquelle elle avait disparu en compagnie de Gregor.
Cam surgit à cet instant précis, regarda autour d'elle et
agita la main lorsqu'elle les eut repérés.
— J'ai dû refaire du thé ! Ce sera bientôt prêt !
Elle avait annoncé cela d'un ton si guilleret que la
suspicion de Dean fut éveillée.
— Tout va bien, Cam ? Gregor ne te tape pas trop sur les
nerfs ?
— Pas du tout, assura-t-elle avec un grand sourire. Il me
raconte ta carrière ! Il va m'avoir un T-shirt officiel avec ta
photo et des photos dédicacées des autres combattants. Il est
adorable ! lança-t-elle avant de disparaître à nouveau dans la
maison.
— Je me demande ce qu'il peut bien lui raconter,
marmonna Dean.
Un cri suraigu retentit. Jacki se précipitait vers lui.
— Qu'est-ce qui se passe encore ? marmonna-t-il.
— Tu l'as achetée !
Un sac de courses sur chaque bras, Jacki franchit
rapidement la distance qui les séparait. Un épi de mais
tomba d'un des sacs, mais elle ne s'arrêta pas pour le
ramasser.
— C'est génial, Dean ! Elle est encore plus belle que
sur la photo ! Je l'adore !
Dean secoua la tête, stupéfait. Sa voiture n'avait rien
d'extraordinaire à côté des bolides que s'offra i e n t les autres
combattants du SBC. Gregor avait d’ailleurs garé sa
Mustang décapotable juste derrière la Sebring.
Mais Jacki n'avait peut-être pas réalisé qu'elle
appartenait à Gregor.
Quoique...
Plantée devant lui tout sourire, le soleil faisant miroiter
ses innombrables boucles d'oreilles, sa petite sœur avait la
tête hérissée de piquants blonds enduits de gel, et le
maquillage de ses yeux était si théâtral qu'ils avaient l'air
immenses. Son minuscule bustier révélait entièrement son
ventre, et le tatouage de sa hanche dépassait presque
intégralement de son short taille basse. Elle ressemblait plus
à une adolescente qu'à une jeune femme de vingt et un ans.
— Je croyais que tu passais tes journées à dormir.
Jacki roula les yeux et tourna la tête vers la maison.
— C'est ce que j'aurais fait si Goliath ne s'était pas
pointé à l'aube ! Il paraît que c'est toi qui l'as invité, ajouta-
t-elle d'un ton accusateur.
— Pour m'aider à réparer le toit.
— C'est ce qu'il a dit. Mais franchement, Dean, pourquoi
lui as-tu demandé ça, à lui ?
— Parce qu'il est costaud, répondit-il en lui décochant
une pichenette sous le menton. C'est lourd, les tuiles, figure-
toi. Il y en a deux couches superposées et, vu la taille du
toit, ça doit facilement peser trois tonnes, ce que tu vois là-
haut. Tu ne voudrais quand même pas que je me coltine ça
tout seul ?
— Non. Tu as déjà l'air assez mal en point comme ça,
répliqua-t-elle en balayant son torse du regard.
— Je suis en pleine forme.
— En pleine forme, hein ? répéta-t-elle en levant les
yeux au ciel. Je ne sais pas si tu es au courant, Dean, mais
les gros balèzes mettent aussi longtemps que les autres à
cicatriser.
Sa petite sœur était-elle en train de lui faire la morale ?
— Je ne te...
— Te fatigue pas, je plaisante. Mais tu auras quand même
bien besoin de Gregor, enchaîna-t-elle en plissant le nez. Il
faudra bien que je le supporte, soupira-t-elle.
— Supporte-le. Tourmente-le, dit-il en lui soulevant le
menton pour la regarder droit dans les yeux. Découvre-le. Il
sera dans le coin pendant quelques jours, profites-en !
Une lueur qui ressemblait à de la gratitude passa dans son
regard avant qu'elle baisse la tête.
— Quand on parle du loup... lança Eve.
Dean vit Gregor qui avançait vers eux.
Toujours torse nu.
Un « détail » que Jacki ne manqua pas de remarquer. Elle
remit ses sacs d'épicerie aux bons soins de Dean et se
redressa de toute sa hauteur pour aller à sa rencontre. Gregor
souriait de toutes ses dents, visiblement ravi de revoir Jacki.
Il la dévorait ouvertement des yeux, s'attardant sur son
ventre nu, étudiant son tatouage, glissant le long de ses
jambes.
Jacki croisa les bras. Gregor ouvrit la bouche.
— Ne commence pas ! lui dit-elle.
Gregor pâlit.
— Ne commence pas quoi ? s'enquit-il prudemment.
— À m'appeler princesse, ma belle, ma douce et tout
le tralala.
Gregor haussa les sourcils pour signifier qu'il était choqué
par son accueil.
— Si tu veux vraiment faire connaissance avec moi,
d'accord ! annonça-t-elle.
— Je préfère ça, répondit-il, soulagé.
— Mais, ajouta-t-elle en durcissant le ton, je te préviens
que je ne te laisserai pas m'utiliser pour obtenir un combat
avec Dean.
— Tu ne peux pas oublier ton frère cinq minutes ? Il n'a
rien à voir avec ça.
— Ah oui ? répliqua Jacki en insufflant autant de
sarcasme qu'elle le pouvait à ces deux mots.
Lentement, délibérément, Gregor se redressa et s'approcha
de façon à n'être entendu que d'elle seule. Il fit
bien, car lorsque Jacki regarda autour d'elle, elle s'aper-çut
que Cam, Eve et Dean ne perdaient pas une miette du
spectacle.
— C'est toi qui m'intéresses, espèce d'idiote !
Jacki mit ses poings sur ses hanches.
— Y a-t-il une seule femme au monde qui ne t'intéresse
pas ?
— Oui, chuchota-t-il. Deux d'entre elles font tout ce
qu'elles peuvent pour écouter ce que je te dis en ce moment
même.
Jacki attrapa Gregor par le poignet.
— Viens par là, ordonna-t-elle en l'entraînant à l'autre
bout de la piscine.
Gregor ne se le fit pas dire deux fois.
— Maintenant, déclara-t-elle quand elle s'estima hors de
portée d'oreilles, je te ferais remarquer que je n'apprécie pas
qu'on me traite d'idiote.
— Arrête de te comporter comme si tu l'étais, si tu ne
veux pas que ça t'arrive.
— Je ne me comportais pas comme une idiote, à l'instant.
— Mes fesses ! Je te répète que c'est toi qui m'intéresses et
que ça n'a rien à voir avec le Ravageur, riposta-t-il. Si tu en
doutes, tu n'as qu'à baisser les yeux et tu verras que je bande
déjà à moitié de t'en-tendre me parler sur ce ton. Ou alors
c'est parce que tu m'as pris par le poignet. Ou les deux.
Jacki écarquilla les yeux et s'appliqua de toutes ses forces
à ne surtout pas les baisser.
— Maîtrise-toi, par pitié, souffla-t-elle. Ma sœur nous
regarde !
— Je ne peux pas m'en empêcher. C'est toi qui me fais cet
effet-là, susurra-t-il.
Jacki baissa furtivement les yeux et s'en voulut aussitôt.
Elle laissa échapper un gémissement et cacha son visage
derrière ses mains.
— Il ne te faut pas grand-chose, en effet.
— C'est toi qui me fais ça ! Tu ne crois quand même pas
que le premier jupon venu me met dans un état
pareil ? s'insurgea-t-il. Si c'était le cas, je ne pourrais jamais
monter sur le ring, vu le nombre de femmes qui ne rêvent
que de ça dans le public.
Exactement la vision qu'imaginait Jacki. Des hordes de
femelles en chaleur se crêpant le chignon pour obtenir les
faveurs de Gregor.
— Si je me mettais dans cet état chaque fois que je vois
une jolie fille, je ne...
— Ça suffit!
— D'accord, acquiesça-t-il, ravi de l'avoir mise en colère.
Mais comprends-moi bien, fillette...
— Je ne suis pas une fillette !
— Si, répondit-il en prenant son visage entre ses mains
pour caresser ses joues avec ses pouces, jusqu'à ce qu'elle
soit obligée de basculer la tête en arrière pour affronter son
regard.
Entre ses mains, Jacki se sentait effectivement minuscule.
Une sensation qui n'avait rien de désagréable, mais la
réaction charnelle qu'elle déclencha la fit soudain respirer
plus fort et plus vite.
— Tu es petite, fragile et brûlante, murmura-t-il.
J'ai hâte de te voir nue.
Gregor avait l'art de se montrer convaincant.
— Mais comprends-moi bien, ma belle, poursuivit-il avant
de hausser légèrement le ton quand elle voulut protester. Je
ne suis pas un menteur, et je n'apprécie pas qu'on dise que je
le suis. Tu veux que j'arrête de t'appeler par des petits noms
gentils, d'accord. Je ne te ferai pas de promesses car je me
connais, mais pour toi, je suis prêt à faire des efforts.
Il avait dit cela comme si c'était un grand sacrifice de sa
part.
— Quel honneur ! Je te remercie.
— À condition que tu cesses de m'accuser de trucs que je
n'ai pas faits. Comme de m'être servi de toi.
— Le petit numéro que tu m'as servi hier n'avait donc rien
à voir avec Dean ?
— Rien de rien. Fais-moi confiance, je trouverai bien le
moyen de décrocher un combat contre lui. Il ne pourra pas se
défiler éternellement. Si un raccourci se présente, je
n'hésiterai pas à le prendre, mais je ne i n'abaisserai jamais à
draguer une fille qui ne me plaît I >as pour y arriver.
— Ça veut dire que je te plais ?
Le regard qu'il lui coula la fit rougir.
— Si tu ne me plaisais pas, qu'est-ce que je ferais ici ?
Même dans ce trou paumé, je suis sûr qu'il y a des tas de
filles qui ne demandent qu'à s'envoyer en l'air avec moi.
Jacki leva les yeux au ciel, même si elle savait que c'était
vrai. Elle avait vu de ses propres yeux la façon dont les
femmes le regardaient au bar du Cadavre.
— Si ces fichus voyeurs n'étaient pas là à nous espionner,
je te montrerais l'effet que tu me fais. Je suis bien
proportionné de partout, si tu vois ce que je veux dire...
Jacki comprenait cinq sur cinq.
— Je crois qu'il va falloir que je pique une tête dans ta
piscine, si je veux retrouver ma dignité.
— Je pense pouvoir t'aider, répondit calmement Jacki.
— Ah ouais ? répliqua-t-il, intéressé.
— Ouais, dit-elle en plaquant délicatement les mains sur
son torse puissant... avant de le pousser de toutes ses forces.
Gregor émit un juron retentissant, mais ne put rien faire
pour éviter la suite. Ses bras et ses jambes battirent l'air un
instant, puis son corps massif troua la surface de l'eau dans
un formidable plouf.
Eve, Dean et Cam éclatèrent de rire.
Lorsque Gregor émergea, il écarta les cheveux de son
visage et cligna plusieurs fois des yeux. Réprimant un
gloussement, Jacki s'agenouilla au bord de la piscine.
— Ça va mieux ? susurra-t-elle suavement.
— Payer ses dettes est douloureux, ma jolie, rétorqua-t-il
en souriant. Et je me fais toujours rembourser.
Elle sourit.
Roger leva les yeux. Dean se tenait effectivement sur le
toit, torse nu, en sueur, couvert d'ecchymoses de toutes les
couleurs de l'arc-en-ciel sans que ça paraisse le ralentir le
moins du monde.
— Tu aurais dû me parler de lui avant.
Si Dean et Eve entamaient une relation sérieuse Dean
pouvait décider de rester à Harmony, ce qui risquait de
compromettre tous les projets de Roger.
— Je croyais que Cam t'en aurait parlé. Pour des fiancés,
vous n'êtes pas très intimes, rétorqua-t-elle perfidement.
Roger ne se laissa pas démonter par cette remarque.
— Nous ne sommes pas encore officiellement fiancés,
Lorna.
Dean, qu'il observait d'un œil sombre, souleva une pile de
tuiles qui devait bien peser cinquante kilos et la transporta
avec une aisance stupéfiante jusqu'au bord du toit pour la
lâcher dans une grande benne placée en dessous.
— Quand le serez-vous ?
Roger avait toujours tiré beaucoup de fierté de sa force et
de sa forme physique. Après la brutale interruption de sa
carrière de footballeur, il avait veillé à conserver une
silhouette athlétique. Il n'avait noyé sa déception ni dans
l'alcool ni dans l'apitoiement sur soi, et s'était révélé un
excellent homme d'affaires.
Face à la notoriété de Dean, cependant, contempler ses
victoires chèrement remportées était aussi excitant que de
regarder des poissons évoluer dans un aquarium. Et pour ce
qui était de la puissance physique... il n'y avait tout
simplement pas de comparaison possible. Roger n'aurait pu
assurer sa défense contre le frère de Cam qu'une arme à la
main.
— Roger ?
— J'y travaille, répliqua-t-il sèchement.
— Tu ferais bien d'accentuer tes efforts, riposta-t-elle sur
le même mode.
Une seconde plus tard, une ombre massive se déplaça le
long du toit et un autre homme apparut dans leur
I lump de vision. Un bandana noué sur son front retenait ses
cheveux mi-longs en arrière, et son jean taille liasse révélait
des abdominaux en tablette de chocolat. Les muscles de son
torse et de ses épaules roulant nous sa peau, il laissa tomber
une pile de tuiles dans lu benne. Roger le contempla, bouche
bée.
- Et cette erreur génétique, c'est quoi ?
- Quoi? Où ça? demanda Lorna en plissant les veux vers
le toit. Ma foi, je n'en ai pas la moindre idée !
Elle alla pêcher ses lunettes dans son sac, regarda .1
nouveau et les fanons de son cou tremblotèrent.
— Doux Jésus ! s'exclama-t-elle d'un ton horrifié.
— Tu ne sais pas qui c'est ?
—-Il est carrément... obscène, jugea-t-elle, pâle comme un
linge, sans détacher pour autant les yeux île la silhouette de
Gregor.
— Un autre combattant, probablement, estima Roger. Un
champion, d'après sa carrure.
— Je suis mortifiée. Couverte de honte, déclara Lorna,
portant la main à sa poitrine et pivotant vers Roger. D'après
son aspect peu recommandable, il ne peut s'agir que d'un ami
de Dean. À quoi pense-t-il, d'amener ici ce criminel ?
— Tu ne sais pas si c'est un criminel.
— Il en a l'air !
Roger réfléchit. L'homme était un colosse couvert de
tatouages à l'air mauvais, et ses mâchoires donnaient
l'impression qu'il n'aurait aucun mal à broyer les vieilles
tuiles. Le cas échéant, il viendrait renforcer la défense de
Dean.
— Mon Dieu, Roger ! Que vont penser les voisins s'ils
aperçoivent cette chose en train de gesticuler sur mon toit ?
s'enquit-elle d'une voix mourante. Tu dois intervenir. Tu es le
fiancé de Cam. Tu dois faire cesser cela immédiatement !
Roger scruta Lorna en s'efforçant de dissimuler la haine
qu'elle lui inspirait. C'était sa seule alliée au sein de la famille
Conor, et il avait encore besoin de cette vieille sorcière. Un
jour pourtant, le plus tôt possible, elle ne lui serait plus
d'aucune utilité. Si Lorna n'avait pas été uniquement
préoccupée d'elle-même, la paupière palpitante de Roger lui
aurait révélé son irritation.
— Eh bien ? s'impatienta-t-elle en imprimant un pli
dédaigneux à sa lèvre supérieure qui accentua ses rides. As-
tu l'intention d'intervenir, oui ou non?
— Oui, répondit-il en observant les deux hommes qui
arpentaient la toiture comme si la maison leur appartenait. Je
m'en occuperai, promit-il d'une voix très douce en se
tournant vers Lorna.
Un éclair d'inquiétude passa dans les yeux de celle-ci,
mais ils s etrécirent méchamment l'instant d'après.
— Bon. Je pense que pour commencer, tu devrais...
Roger ouvrit sa portière. Hors de question qu'elle lui
dicte ses actes. Il laisserait la vieille peau se demander ce
qu'il allait faire. Il ne tenait pas à ce qu'elle vienne fouiner
dans ses motivations personnelles.
Il alla ouvrir la portière de son côté et endura le supplice
d'avoir à lui donner le bras pour se diriger vers l'arrière de la
maison. Il décela de nombreux signes révélant une intrusion
masculine dans la maisonnée des Conor. Un lecteur de CD
crachait une épouvantable musique hard rock, à laquelle
faisait écho un martèlement de bottes ponctué de jurons. Une
odeur de viande grillée flottait dans l'air.
Jacki, occupée à disposer assiettes en carton et couverts en
plastique sur une table de jardin recouverte d'une nappe de
couleurs vives, levait régulièrement les yeux vers le toit, puis
soupirait ou fronçait les sourcils.
Ou bien se passait la langue sur les lèvres.
Roger la déshabilla lentement du regard. Physiquement, ce
n'était pas du tout son genre de femme. Trop grande, trop
osseuse, et il n'appréciait guère ses tenues débraillées et son
maquillage outrancier. Mais c'était une Conor, et pour cette
seule raison, sa curiosité lui dictait d'apprendre tout ce qu'il
pourrait sur elle.
À l'ombre d'un grand chêne, Eve était étendue sur une
chaise longue. Avec ses paupières closes et son corps
parfaitement détendu, on aurait pu la croire endormie ; mais
Roger remarqua que son visage se crispait par instants, son
front se plissait et elle pinçait les lèvres.
Douleur? Fatigue?
Peu lui importait, au fond.
Sauf qu'Eve affichait ouvertement le mépris qu'il lui
inspirait et que son opinion comptait énormément pour Cam.
Ce qui obligeait Roger à en tenir compte aussi.
Où était Cam, à ce propos ? Debout devant le barbecue,
ses hanches souples se balançaient au rythme de la musique,
comme si ça lui plaisait vraiment. Était-ce possible ? Roger
était pourtant certain qu'elle préférait la musique country. Il
faudrait qu'il pense à le lui demander. Il voulait tout savoir
d'elle. Ses dégoûts et ses préférences. Ses craintes et ses
frayeurs.
Cam. Si douce et si naïve. Il la regarda retourner la viande
avec la même application qu'elle mettait à tout ce qu'elle
faisait et qui lui plaisait tant.
Un jour prochain, il serait le récipiendaire de toutes ses
attentions - entre les draps d'un lit. Tous deux seraient nus,
brûlants, le corps emperlé de sueur...
Roger se mit à respirer plus fort. Cam l'obsédait de plus en
plus chaque jour. Il rêvait de la posséder. Sur la liste des
choses qu'il voulait, elle figurait en première position.
Quiconque osait s'interposer entre eux le mettait en furie.
Il jeta un coup d'œil aux hommes perchés sur le toit... et
découvrit Dean en train de l'observer. Il ne parvint pas à
déchiffrer l'expression de son visage, mais devina qu'elle ne
reflétait pas la moindre aménité. Il soutint cependant son
regard jusqu'à ce que Lorna surgisse à côté de lui.
— Qui a eu cette idée ridicule d'organiser un pique-nique
? rugit-elle.
Toutes les têtes se tournèrent vers eux.
Eve se redressa sur sa chaise longue.
Jacki interrompit ses efforts pour dresser la table.
Cam se retourna et lui sourit.
— Roger ! Depuis quand es-tu là ?
Son sourire innocent ne manquait jamais de faire naître
toutes sortes demotions en lui. Il 1 émouvait. Le
chamboulait. Lui donnait l'impression de recevoir une
gratification sexuelle.
Le soleil faisait jouer des reflets blonds dans ses cheveux
châtains, aussi fins que ceux d'un bébé, et la chaleur du
barbecue avait rougi sa peau délicate.
— Nous venons d'arriver.
Elle portait une petite blouse sans manches vert pâle et un
bermuda ocre, mais Roger l'avait assez souvent vue en
maillot de bain pour deviner les courbes adorables que
dissimulait cette tenue sage. Le souvenir de sa taille souple et
de ses longues jambes fuselées brûlait dans sa mémoire. Il
rêvait du jour où la courbe de ses seins épouserait divinement
le creux de ses mains.
Un violent désir le submergea. Pour toutes sortes de
raisons, Cam représentait à ses yeux un rêve inaccessible.
Mais il savait que c'était une illusion et s'emploierait à la
faire sienne. Par tous les moyens.
Soucieux d'effacer l'hostilité de Lorna, il s'approcha d'elle
et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Cam ne le repoussa
pas, mais ne manifesta pas non plus un enthousiasme
débordant.
Pourquoi persistait-elle à le tenir à distance ? Malgré
l'intrusion inopportune de son frère, Roger était son sauveur.
Le moment venu, elle ne pourrait pas faire autrement que de
s'en remettre à lui.
Entièrement.
Alors, il obtiendrait ce qui lui revenait de droit.
— J'exige une réponse ! glapit Lorna.
Roger masqua difficilement sa frustration. Lorna Ross
n'avait vraiment aucun sens des nuances, aucune discrétion.
Cam plaça une main en visière au-dessus de ses yeux.
— J'ai décidé de faire des grillades, tante Lorna. Il fait un
temps splendide, et je suis sûre que Dean et Gregor ne
manqueront pas d'appétit.
— Gregor ? répéta Lorna en baissant la voix - pas assez
toutefois pour éviter d'être entendue de tous. Qui est ce
Gregor, justement, avec ces tatouages hideux? Le connais-tu
seulement? Comment sais-tu qu'il n'est pas recherché par la
police ?
— Parce que c'est un ami de Dean, tante Lorna, répondit
Cam en réprimant difficilement un sourire.
— Et cette recommandation t'a suffi pour révéler notre
adresse à cet individu? riposta Lorna d'un ton dédaigneux.
Cam vacilla sous le choc de l'insulte. Roger voulut
intervenir, mais elle ne lui en laissa pas le temps.
— Cette recommandation me suffirait pour lui proposer
d'emménager chez nous, s'il le désirait! rétorqua-t-elle.
Lorna avala une grande goulée d'air et s'apprêtait à se
lancer dans une tirade virulente, quand l'immense éclat de
rire de Dean retentit depuis le toit.
Tout le monde tourna les yeux vers lui.
— C'est très généreux de ta part, Cam ! Mais ce n'est
pas la peine de donner des aigreurs d'estomac à Lorna.
Gregor ne s'installera pas ici.
De plus en plus outrée, Lorna attendit que quelqu'un
s'avise de prendre sa défense, mais chacun était bien trop
occupé à ricaner ou à se gondoler franchement. Roger lui-
même dut faire un violent effort pour ne pas éclater de rire.
— Tu n'as pas l'intention de rester à Harmony,
Gregor? s'enquit Dean.
Gregor essuya la sueur de son visage d'un revers de bras.
Ses biceps aussi gros que des melons saillaient à chacun de
ses mouvements. Il laissa retomber les bras le long de son
corps.
— Seulement si Jacki me le demande.
— Tu vois, tante Lorna, déclara celle-ci en rougissant. Tu
n'as rien à craindre, il n'a pas l'intention de rester. Pas
longtemps, en tout cas.
Tremblante de colère, Lorna balaya l'assemblée d'un
regard haineux.
— Arrêtez ! hurla-t-elle. Et toi ! ajouta-t-elle en se
tournant vers Cam. Tu crois peut-être que ça ne surfit pas de
jeter l'argent par les fenêtres sous prétexte de réparations
inutiles ?
— De réparations urgentes, corrigea Cam.
— Balivernes ! Tu ferais mieux de signer la mise en vente
de ce gouffre qui engloutira le peu qui te reste, au lieu
d'organiser des pique-niques ! Ne compte pas sur moi pour
m'associer à ce comportement irresponsable !
Quêtant son soutien, elle pivota vers Roger, qui se vit
acculé.
— Je n'en ai pas pour longtemps, assura-t-il à Cam sans
changer d'expression.
— Merci, Roger, répliqua-t-elle. Je te mettrai un
hamburger de côté.
Dean et Gregor se remirent à l'ouvrage comme si cet
intermède ne les concernait pas.
Lorna planta ses faux ongles dans le bras de Roger et
l'entraîna vers la maison. Une fois hors de portée du regard
des autres, Roger se dégagea brusquement de l'étreinte de
Lorna, qui le contempla bouche bée, et la violence de son
regard suffit à la faire reculer contre l'évier.
— Mais qu'est-ce qui te prend, Roger?
Il ressentait une telle colère qu'il eut envie de l'étrangler.
— Au lieu de laisser ton caractère dicter tes réactions, tu
ne crois pas que tu pourrais essayer de réfléchir de temps en
temps ?
Elle cligna plusieurs fois des yeux sans comprendre.
— Pour l'amour du ciel, Lorna ! Comment veux-tu que je
gère cette situation si tu m'en écartes ?
Lorna n'admettait jamais ses erreurs.
— Tu ne gérais rien du tout. Tu restais planté là, comme
un imbécile !
— Parce que tu t'imagines que tes vitupérations ont été
efficaces ? Depuis le temps, tu devrais connaître ta nièce un
peu mieux que ça !
— Je la connais très bien, figure-toi. C'est une petite
capricieuse imbue d'elle-même.
— Tu m'en diras tant...
— Néanmoins, poursuivit-elle sans prêter attention à son
sarcasme, je ne l'ai pas élevée pour qu'elle s'acoquine avec
des individus tels que Dean ou ce Gregor.
— Cam prend toujours la défense de ceux qui lui sont
chers, et son frère a beaucoup d'importance à ses yeux.
— Elle ne le connaît même pas !
— Elle sait que tu l'as tenue à distance de lui. Tu ferais
bien de t'en souvenir au lieu de le dénigrer en permanence.
Mais Lorna n'avait pas envie d'entendre ce discours.
Pressant son luxueux sac à main contre sa poitrine, elle se
rembrunit et de nouvelles rides apparurent sur son visage.
— Cet imbécile va tout faire rater !
Non, songea Roger. Il ne laisserait personne menacer ses
projets.
— Tu divagues.
Il sortit son portefeuille et plaça plusieurs billets de vingt
dollars dans la main de Lorna.
— Va faire un tour chez ton esthéticienne. Fais-toi faire
un masque ou un massage, ça te changera les idées.
Elle compta soigneusement les billets.
— Je pourrais appeler une amie, dit-elle en plantant son
regard dans celui de Roger. L'inviter à déjeuner, peut-être...
Il n'est pas question que je m'étouffe avec ces grillades.
Avec un sourire crispé, Roger tira un billet de quarante de
son portefeuille.
— Excellente idée, approuva-t-il en le lui fourrant dans la
main.
Se débarrasser de Lorna n'avait pas de prix.
— Qu'est-ce que tu vas faire ? grinça-t-elle.
Roger ne faisait pas assez confiance à Lorna pour lui dire
la vérité. Si elle avait su d'où il venait et les raisons qui le
poussaient à récupérer ce qui lui revenait, I non seulement
elle aurait perturbé ses plans, mais il n'y aurait plus eu
moyen de la faire taire.
— Je vais aller retrouver tout le monde dans le jardin,
répondit-il. Je serai ouvert et charmant, de manière à
prendre Ja mesure de la situation. Après quoi, je déciderai
de la meilleure façon de procéder.
— Tu me tiendras au courant ?
— Certainement pas.
Le double menton de Lorna tressauta d'indignation.
— Moins tu en sauras, mieux ça vaudra. Je ne veux
surtout pas t'impliquer dans cette histoire.
— Mon Dieu ! Qu'est-ce que tu as derrière la tête ?
demanda-t-elle gravement.
Roger ne fut pas dupe une seconde de son numéro. Lorna
avait dilapidé des montagnes d'argent sans se soucier un
seul instant de ses nièces. Elle les avait utilisées, elles et
leur héritage, pour mener une vie dispendieuse et avait
franchi plus d'une fois les limites de la légalité pour prendre
des décisions financières au bénéfice de ses seuls intérêts.
Si Dean s'avisait de creuser de ce côté-là, elle aurait bien du
mal à justifier ses écarts.
— Peu importe la façon dont je m'y prends si ça
résout nos problèmes, tu ne crois pas ? se contenta-t-il
de répliquer.
Comme il l'avait escompté, Lorna n'insista pas.
— Oui, tu as raison.
— Dans ce cas, nous sommes d'accord. Il vaut mieux que
j'y retourne, sinon Cam va se demander ce que je fais.
— Tu es un véritable ami, Roger, déclara Lorna en
essuyant une larme de crocodile.
Si elle le serrait dans ses bras, il allait vomir. Reculant
prudemment, il hocha la tête.
— Profite de ta journée, Lorna. Tu l'as bien mérité.
Elle redressa fièrement la tête et s'éloigna, les billets
de banque serrés dans son poing.
— Oh, ça oui ! répondit-elle. Je l'ai bien mérité.
Soulagé de la voir disparaître, Roger se planta devant la
porte pour observer le jardin. Il ne pouvait pas voir les
hommes qui étaient sur le toit, mais il les entendait marcher.
Eve se reposait à l'ombre, ce qui ne lui ressemblait guère,
mais ses ébats nocturnes l'avaient peut-être fatiguée.
Parviendrait-elle à séduire Dean au point de l'inciter à
s'établir à Harmony ? Roger l'en croyait capable. Ce qui
signifiait qu'il devrait composer avec Dean.
Eve ressemblait si peu à Cam qu'il se demandait souvent
sur quoi reposait leur amitié. Le simple fait de penser à Cam
le fit frissonner et il tourna la tête vers elle.
Après avoir chassé un bourdon qui l'importunait, Cam prit
un grand plateau et retira la viande du barbecue à l'aide d'une
pince. Cette vision éveilla en lui plusieurs appétits. Il y avait
longtemps qu'il n'avait pas mangé de grillades en plein air.
Des grillades préparées par Cam.
Roger s'apprêtait à franchir le seuil, quand il s'avisa de la
présence de Jacki. Elle se tenait à l'écart, près de la maison, à
un endroit où les autres ne pouvaient pas la voir. Elle ajustait
son bustier, s efforçant de rapprocher ses petits seins pour
créer l'illusion d'un décolleté généreux.
Un effort définitivement voué à l'échec.
Jacki elle-même parvint visiblement à cette conclusion.
Elle laissa retomber les bras le long de son corps en
soupirant, puis recula d'un pas et leva les yeux vers le toit.
Vers Gregor? Sans doute.
Roger la vit pincer les lèvres avec colère avant de se
diriger, tête basse, vers la maison.
— Salut, Jacki ! dit-il en franchissant le seuil. Je peux
te parler une seconde ?
Elle redressa brusquement la tête et le dévisagea d'un œil
suspicieux.
— Je croyais que tu étais parti avec tante Lorna, déclara-t-
elle d'un ton accusateur.
— Ta tante compte passer la journée avec une amie,
répondit-il.
— Bon débarras !
— J'aimerais te parler, si tu as un moment.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Te dire un mot, rien de plus.
— Je suis venue chercher les chips et les cornichons,
laissa-t-elle tomber avec morgue.
— Parfait, dit Roger en reculant pour la laisser passer. Je
vais pouvoir te donner un coup de main et te faire une
suggestion en même temps.
Un bruit retentit derrière eux, et Jacki se retourna. Gregor
se tenait là, les épaules et le torse dégoulinants de sueur. Le
soleil avait accentué la pigmentation naturellement foncée de
sa peau et il tenait une bouteille d'eau à la main.
Ses yeux, cependant, luisaient comme ceux d'un aigle
tandis qu'il les scrutait sans chercher à dissimuler sa jalousie
dévorante.
Sous ce regard, Jacki changea soudain d'avis.
— De quelle suggestion s'agit-il ? demanda-t-elle en
s'approchant de Roger, tout sourire.
Jacki jouait à un jeu dangereux en provoquant la colère de
ce géant, songea Roger. Mais c'était Cam qui était dans sa
ligne de mire et il chassa cette pensée. Roger jeta un dernier
coup d'œil au géant et referma la porte de la terrasse sur Cam
pour s'enfermer avec Jacki dans la cuisine.
— Une suggestion qui devrait te plaire, expliqua-t-il en se
tournant vers elle.
Et qui, à terme, lui plairait tout autant.