— On descend manger? proposa Dean.
— Si tu estimes qu'on peut faire un break, avec plaisir !
acquiesça Gregor.
Dean embrassa la toiture du regard. Après trois heures de
dur labeur, toutes les tuiles avaient été retirées. Il faudrait
encore s'occuper des parties zinguées et ôter soigneusement
tous les clous accrochés à la charpente, mais ils avaient fait
du bon travail.
— Oui, on a bien mérité une petite pause.
— Dieu merci ! J'ai une faim de loup !
Gregor descendit la moitié de l'échelle et, de là, sauta d'un
bond sur la terrasse. Ses pieds avaient à peine touché le sol
qu'il cherchait déjà Jacki des yeux.
De son côté, Dean localisa Eve au moment où elle entrait
dans la maison. C'était sa troisième incursion à l'intérieur et,
chaque fois qu'elle ressortait, elle semblait un peu plus
éteinte.
Dean n'aimait pas ça.
Quand elle ressortit, il s'était assis à l'ombre d'un arbre
pour boire un verre de thé glacé. Eve était si mal en point
qu'elle ne fit même pas attention à lui, et Dean en fut presque
vexé.
Il reposa son verre et s'empressa de la rejoindre sur la
pelouse. Elle marchait lentement, comme perdue dans ses
pensées. Dean l'arrêta en plaçant sa main sur son front.
Elle leva son beau regard bleu vers lui, visiblement
surprise.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Ça va, Eve ?
— Oui, pourquoi ? répliqua-t-elle en s écartant.
Elle était chaude, mais pas vraiment fiévreuse. Pourtant,
elle ne ressemblait plus du tout à la femme dynamique qu'il
connaissait.
— Tu devrais peut-être rentrer chez toi te reposer.
— Je vais très bien, répondit-elle en fronçant les sourcils.
— Tu ne te sens pas bien.
-— D'après qui ? demanda-t-elle en redressant les épaules.
Quelle susceptibilité !
— D'après moi, rétorqua Dean en posant les poings sur
ses hanches.
— Eh bien, tu te trompes. Je ne suis pas malade et je n'ai
pas l'intention de rentrer chez moi. Pas tout de suite, en tout
cas. Je rentrerai me changer après avoir déjeuné, j'ai un
rendez-vous cet après-midi.
-— Quel genre de rendez-vous ?
Elle eut un brusque mouvement de recul.
—.-Je te rappelle que je suis organisatrice d'événements,
au cas où tu l'aurais oublié, dit-elle en rejetant une mèche de
cheveux en arrière avec plus de force qu'il n'était nécessaire.
Je dois rencontrer un de mes clients.
Dean appréciait de moins en moins son attitude. Il la prit
par le bras.
— Viens voir un peu par ici.
Eve enfonça ses talons dans la terre meuble.
— Où veux-tu m'emmener ? Qu'est-ce que tu fais ?
Mais Dean l'entraîna vers le fond du jardin, du côté
du petit bois.
— Dean ? Eve ? Où allez-vous ? cria Cam. C'est prêt !
— On arrive dans une minute ! assura Dean.
— J'ai faim, moi, grogna Eve qui avait du mal à le
suivre. On se donne en spectacle, à cause de toi !
Dean la plaqua contre un tronc d'arbre et la regarda droit
dans les yeux.
— Qu'est-ce qui se passe, Eve ?
— Mais rien, riposta-t-elle, agacée. De toute façon, pour
ce que tu t'occupes des autres...
Dean soupira. Quel que soit son problème, ce devait être
grave pour qu'elle lui parle aussi sèchement. Il ne la lâcherait
pas tant qu'il ne saurait pas ce qui la l racassait.
— Dis-moi ce qui ne va pas, Eve.
Comme elle se contentait de pincer les lèvres, il prit son
visage dans ses mains et déposa un baiser au bout de son
adorable petit nez.
— Allez, ma belle, la cajola-t-il, parle-moi.
Sa sollicitude eut sans doute raison de sa résistance car il
la vit s'abandonner contre le tronc d'arbre, comme en signe
de défaite. Pendant plusieurs secondes, elle fixa la mousse
vert tendre qui recouvrait la base de l'arbre.
— J'ai de mauvaises nouvelles, Dean. Ça ne va pas
Le plaire.
Dean sentit les griffes glacées de l'appréhension s'enfoncer
dans son estomac. Il serra les dents pour se préparer au pire.
— Je t'écoute, Eve.
Elle soupira, détourna le regard, puis jeta un coup d'oeil
vers lui.
-- Ce serait plus facile si tu arrêtais de me regarder comme
ça.
Dean n'avait absolument pas envie de lui faciliter la tâche.
— Parle, bon sang !
— Disons que tu vas devoir changer tes plans pour la
soirée, répondit Eve en croisant les bras.
Dean sentit ses poumons se vider d'un seul coup. Ses plans
pour la soirée ? C'était ça qui la mettait dans cet état?
— Tu veux dire, te faire l'amour? C'est bien de ça qu'il
s'agit, n'est-ce pas?
— Oui, admit-elle en hochant la tête d'un air misé-i able.
Dame Nature a fait valoir ses droits.
Dame Nature ?
Elle avait ses règles ? C'était ça, son problème ?
Le comique de la situation détendit ses muscles, et la rage
qui l'avait saisi à l'idée d'être repoussé se dissipa
instantanément. Il eut envie de rire et, surtout, de l'embrasser
follement.
Mais Dean n'était pas un imbécile. Il plaqua ses mains sur
le tronc d'arbre, l'emprisonnant entre ses bras. Eve avait l'air
fatiguée, à cran, désireuse de se cacher dans un trou de
souris. Refoulant son hilarité, il adopta une expression
soucieuse.
— Tu es dans ta mauvaise semaine ?
— Oui, souffla-t-elle.
— Et c'est ça qui te tracasse ?
— Qu'est-ce que ça peut te faire ? rétorqua-t-elle en le
fusillant du regard.
Oh, oh. Vas-y sur la pointe des pieds, mon garçon, se dit-
il.
— C'est juste que tu n'es pas aussi... enthousiaste
que d'habitude.
Tu es même carrément pète-sec, ajouta-t-il mentalement.
Eve laissa échapper un gémissement.
— Si tu veux tout savoir, je me sens complètement
raplapla, voilà ! J'ai des règles épouvantablement
douloureuses et, à chaque fois, j'en ai au moins pour une
semaine. J'ai le ventre qui gonfle, je me sens vidée, c'est
l'horreur, quoi !
Une semaine ? Dean fut sur le point de laisser échapper un
gémissement, lui aussi.
— Je suis désolé.
— Moi aussi, répondit-elle plus calmement. Je me faisais
une telle joie de cette soirée.
Dean lui releva tendrement le menton.
— Tu sais, Eve, ça ne me dégoûte pas. Et puis, il y a des
tas de façons...
— Oublie ça tout de suite ! décréta-t-elle en tentant
vainement d'échapper à la cage de ses bras. Toi, ça ne te
dégoûte peut-être pas, mais moi si ! Et puis de toute façon, je
ne suis pas d'humeur! Crois-moi, Dean, je ne suis pas à
prendre avec des pincettes dans ces moments-là.
Sur ce dernier point, il la croyait tout à fait. Mais il lut le
premier surpris quand il réalisa que passer chastement la
soirée avec elle ne le dérangeait pas. Restait à la
convaincre...
— Tu as une dette envers moi, Eve.
— Quoi ?
— On a fait un pari, ma belle. Tu as perdu. Par
conséquent, je viendrai.
Eve eut l'air si furieuse en entendant cela que Dean recula
pour se placer hors d'atteinte. Mais il tint bon.
— Si tu passes la soirée à ronchonner et à dormir, je m'en
accommoderai. Mais il est hors de question d'annuler.
— Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit. Attends-toi à
une soirée chaste !
— Je ne suis pas sourd. J'ai parfaitement entendu ce que
tu m'as dit. J'attendrai que tu ne sois plus indisposée, mais je
viendrai ce soir.
Quelque chose qui ressemblait à du soulagement passa sur
son visage, puis elle croisa les bras et lui tourna le dos.
— Tant pis pour toi, je t'aurai prévenu.
Dean observa sa silhouette délicate et la raideur de ses
épaules. Même lorsqu'elle le repoussait, Eve lui inspirait une
tendresse qui confinait au plaisir.
C'était très étrange.
— Tu perds ton temps, Eve, souffla-t-il en se penchant
pour déposer un baiser sur sa nuque. Il y a quelque chose que
tu ne sais pas encore...
Elle lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule, ses
sourcils haussés quêtant une explication.
— C'est qu'il faut se lever de bonne heure pour me faire
peur.
Leurs regards restèrent soudés un long moment avant
qu'elle lui tourne à nouveau le dos.
Non, décida Dean. Eve ne réussirait pas à lui faire peur -
pas tant qu'il n'aurait pas atteint l'objectif qu'il s'était fixé. Il
n'aurait su dire pourquoi, mais il avait décidé de la séduire.
Pas seulement sexuellement.
Pas comme n'importe quelle femme.
Ce qu'il voulait, c'était Eve.
Tout de suite. Ce soir. Demain. Peut-être même toujours...
Lorsque Dean pénétra dans le hall du Cross Streets Motel,
il aperçut Roger qui consultait l'écran d'un ordinateur
derrière le comptoir d'accueil en faux marbre. Il savait que le
motel lui appartenait, mais c'était la première fois qu'il le
voyait ici, et il eut l'intuition qu'il ne s'agissait pas d'une
coïncidence.
Roger mit un moment à réaliser que quelqu'un se trouvait
dans le hall. Quand il leva les yeux et s'aperçut que Dean le
regardait, il sursauta, mais sa grimace céda rapidement la
place à une expression déterminée. Il contourna le comptoir
et se dirigea vers lui.
— Salut. Je peux te parler une minute ?
Uniquement pour l'irriter, Dean consulta sa montre.
— Une minute, pas plus. Je dois prendre une
douche et me changer avant d'aller retrouver Eve.
Roger pinça les lèvres.
— Je vois. Vous ne vous quittez plus, dirait-on.
— Il te reste quarante secondes.
Un éclair de colère passa dans les yeux de Roger.
— Parfait. Allons dans mon bureau, ce sera plus intime.
— Ici, ça me va, rétorqua Dean.
Ils se tenaient au beau milieu du hall, mais il se souciait
peu de partager quoi que ce soit d'intime avec Roger.
— Très bien, lâcha celui-ci après avoir retenu un instant
son souffle. J'irai droit au but.
— Oui, répondit Dean en croisant les bras. Ce sera plus
simple.
— Je veux savoir ce que tu fabriques à Harmony, combien
de temps tu penses rester et ce que tu as l'intention de faire
avec Cam.
— Je suis ici parce que Cam m'a invité, répliqua Dean
avec un haussement d'épaules. Je ne sais pas encore combien
de temps je vais rester, mais veux aider Cam à se remettre
sur les rails.
— Qu'est-ce que tu entends par là ?
— Elle a des dettes, la maison tombe en ruine... Je n'y ai
pas encore beaucoup réfléchi et je ne sais pas jusqu'où je
m'impliquerai, mais j'ai l'intention de l'aider.
Dean attendit de voir comment réagissait Roger à cette
nouvelle. Visiblement contrarié, il se passa la main dans les
cheveux, ce qui le décoiffa, mais lui donna également l'air
plus humain.
— J'avais l'intention de l'aider... dit-il, apparemment plus
pour lui-même que pour Dean.
— C'est tout ce que tu voulais savoir?
Roger enfonça les mains dans ses poches et se jeta à l'eau.
— Je pensais... étant donné que Cam et moi allons nous
marier...
— Peut-être, corrigea Dean.
Ce simple mot, et les implications qu'il recouvrait,
atteignit visiblement Roger de plein fouet.
— Non, c'est une certitude, protesta-t-il. Il n'y a aucun
doute à ce sujet.
Dean trouva cette réaction intéressante. Roger était-il
sincèrement épris de Cam? Ou bien était-il animé par
d'autres motifs ?
— Où veux-tu en venir, Roger?
— Puisque nous ferons prochainement partie de la même
famille, je me suis dit que tu avais peut-être envie de mieux
me connaître.
Dean laissa échapper un petit rire.
— Non.
Famille ? Non, non, non et non ! Il n'allait pas commencer
à auditionner les prétendants de sa sœur. S'il faisait un jour
quelque chose d'aussi stupide, il mériterait qu'on le balance
sur un ring les yeux bandés avec deux des meilleurs
combattants brésiliens.
— Cam est assez grande pour se choisir un mari toute
seule.
— Mais bon sang, j'essaie seulement...
—r Dean ? Roger ? Qu'est-ce qui se passe ? Dean ferma les
yeux l'espace d'une seconde en reconnaissant cette voix
féminine dans son dos.
— Cam, ma chérie ! s'écria Roger avec une joie feinte.
Je ne t'ai pas entendue arriver.
Dean regarda sa sœur se placer à côté de Roger avec une
familiarité évidente. Peut-être que ces deux-là formaient
effectivement un couple, après tout. Ce qui ne signifiait pas
pour autant que Cam l'épouserait.
Sa sœur portait une jupe noire et un chemisier strict
auquel était épingle un badge à son nom, et ce détail emplit
Dean de fureur. Quel homme emploierait la femme qu'il
aime à des tâches subalternes ?
— Je croyais que tu faisais l'inventaire, déclara Roger
après s'être éclairci la gorge.
— J'ai terminé, répondit-elle en souriant. Comment va
Eve? demanda-t-elle en pivotant vers son frère.
— Très bien. J'allais justement prendre une douche avant
d'aller la rejoindre.
— Qui sait ? dit Roger en prenant Cam par la taille. Ta
meilleure amie parviendra peut-être à convaincre ton frère de
rester parmi nous un peu plus longtemps... Ça te rendrait
heureuse, non ?
— Moi, tant que Dean est heureux, je suis heureuse... Au
fait, ajouta-t-elle en glissant une main dans la poche de sa
jupe, tu as deux messages sur le répondeur de ta chambre,
mais je les ai aussi notés.
Elle lui tendit une fiche.
— Simon Evans. C'est mon entraîneur.
— Il a appelé trois fois.
— Ah, fit-il en fronçant les sourcils. C'est normal, j'avais
éteint mon portable pendant que je travaillais sur le toit. Ça
ne doit pas être bien grave.
— Dean ? s'enquit Cam d'un ton hésitant. Je voulais te
demander... enfin, je voulais être sûre... Tu n'as pas
l'intention de partir sans me prévenir, n'est-ce pas ?
L'inquiétude de sa sœur lui serra le cœur. Le croyait-elle
vraiment capable de faire une chose pareille? De filer à
l'anglaise sans même lui dire au revoir ?
— Loin de moi l'idée de te retenir contre ton gré,
s'empressa-t-elle de préciser, mais comme ton entraîneur t'a
appelé, je me suis dit qu'il voulait peut-être que tu rentres, ce
que je comprendrais très bien.
Ta carrière passe avant tout.
Cam s'imaginait donc qu'il plaçait sa carrière avant la
famille qu'il avait perdue de vue depuis vingt ans ?
— Mais j'ai peur de me réveiller un matin et de découvrir
que tu es parti aussi soudainement que tu es arrivé, conclut-
elle avec un sourire hésitant.
— Cam...
Elle s'approcha de lui, visiblement désespérée.
— Si ça ne t'ennuie pas, j'aimerais que tu me donnes ton
numéro de téléphone et ton adresse. Je te jure que je ne te
dérangerai pas et que je ne viendrai jamais chez toi sans être
invitée, mais...
Submergé par un flot d'émotions, Dean avait la gorge
tellement nouée qu'il fut incapable de prononcer un mot.
Alors il souleva Cam dans ses bras et la serra très fort contre
son cœur.
C'était la première fois de sa vie qu'il serrait sa sœur dans
ses bras, et il trouva cela incroyablement agréable. Il enfouit
son nez dans ses cheveux et respira son odeur, si étrange et si
familière à la fois. Rassurante.
— Je ne disparaîtrai pas, Cam, je te le promets, dit-il d'une
voix étouffée.
— Doucement, Dean... murmura-t-elle.
Il releva la tête et découvrit le visage ravagé de colère de
Roger. Dean lut dans son regard qu'il se retenait
difficilement de lui sauter dessus, et regretta quant à lui de ne
pas avoir une bonne raison de lui flanquer son poing dans la
figure.
— Tu vas l’etouffer, voyons, grinça Roger. Laisse-la
respirer un peu !
Dean, qui avait déjà relâché son étreinte, reposa
délicatement sa sœur par terre.
— Excuse-moi, lui dit-il. J'espère que je ne t'ai pas fait
mal.
— Quelques côtes cassées, rien de grave, plaisanta Cam
avec un sourire qui la fit fugitivement ressembler à Jacki.
Après avoir remis de l'ordre dans ses vêtements, elle prit
le visage de Dean entre ses mains.
— Alors tu me le promets, hein ? Tu ne quitteras pas
Harmony sans m'avertir ?
Sa sœur était une femme démonstrative dotée d'un instinct
maternel hypertrophié. Elle aimait toucher les gens, c'était
pour elle parfaitement naturel. Dean l'imagina en compagnie
de Roger, et cette idée lui déplut énormément.
— Oui, répliqua-t-il en regardant Roger droit dans
les yeux. Je te le promets.
— Merci, souffla-t-elle en le prenant par la taille.
Dean répondit à son étreinte le plus naturellement
du monde.
Quand Dean franchit les portes du motel un peu plus tard,
fraîchement douché et changé, le hall était désert. Roger était
sans doute rentré chez lui et Cam devait être occupée
ailleurs.
Une fois dehors, l'air chaud et humide s'abattit sur lui et le
craquement des semelles de ses chaussures sur l'allée
gravillonnée se répercuta dans la nuit. La lumière des
réverbères situés près de l'entrée de l'établissement
n'atteignait pas le fond du parking, et les voitures qui s'y
trouvaient étaient noyées dans une ombre dense. La Sebring
de Dean, qui avait pour habitude de se garer à distance des
autres véhicules, formait une masse isolée aux contours
estompés, à peine visible contre la toile de fond des haies de
l'épicerie voisine.
Tout en se dirigeant vers sa voiture, Dean composa le
numéro de Simon Evans. Après quatre sonneries, son
entraîneur décrocha.
— Evans, j'écoute.
Dean s'apprêtait à parler quand un léger bruit assorti d'un
mouvement dans l'ombre attira son attention. Cela avait été
si furtif qu'il l'avait peut-être simplement imaginé, mais ses
sens n'en demeurèrent pas moins en alerte et ses yeux
fouillèrent l'obscurité.
Rien.
Evans raccrocha.
Dean recomposa son numéro.
— Salut, c'est Dean, déclara-t-il cette fois.
— Tu avais un problème de connexion ? s'étonna Simon.
— Non, simple distraction. J'ai eu tes messages. Qu'est-ce
qui se passe ?
— Un contrat en or, tout simplement. Fais tes valises et
rapplique en vitesse !
— Non.
Simon hésita.
— Qu'est-ce qui t'arrive? Tu ne veux même pas savoir de
quoi il s'agit ?
— Tu grilles d'envie de me le dire, alors je t'écoute,
répondit Dean en sachant pertinemment que ça ne changerait
rien à sa décision.
— Desmond s'est cassé la main au cours de son dernier
combat. Plusieurs os fracturés, il en a pour un moment.
— Dur pour lui. En quoi ça me concerne ?
— Son combat a fait l'objet de nombreux commentaires,
assez négatifs dans l'ensemble.
— Rien de très surprenant, répliqua Dean en continuant à
regarder autour de lui tandis qu'il approchait de sa voiture.
— Oui, et c'est là que tu interviens. Tu es le chouchou des
médias, Dean. Tes victoires se sont toujours déroulées dans
le respect des règles et ton attitude optimiste les a conquis.
Ton côté toujours propre sur soi.
— Propre sur soi ? s'esclaffa Dean. Qu'est-ce que c'est que
ces âneries ?
— Tu as les cheveux courts, pas de piercing et un seul
tatouage discret. Tu ne fumes pas, tu ne bois pas et, alors que
la moitié de la planète se bourre de sté-roïdes, tu déclares
publiquement être opposé à leur usage.
— Je me suis contenté d'apparaître dans un clip.
— Tu finances des programmes éducatifs et tu fais de
nombreux dons à des organisations caritatives.
— C'est déduit de mes impôts.
— Bref, ta cote est au niveau maximum, enchaîna Simon
sans l'écouter. Et on vient de me soumettre un projet de
reportage sur toi, le genre de truc où l'équipe te suit dans tous
tes déplacements...
— Non.
— L'accent serait mis sur tes plus beaux moments de
gloire.
— Non.
Sentir une caméra braquée sur lui en permanence était
bien la dernière chose qu'il désirait. Simon laissa échapper
un soupir avant de changer son fusil d'épaule.
— Dis donc, tu ne devais pas me contacter dès que tu
serais installé ?
— J'ai eu quelques contretemps.
— Écoute, je vais venir te voir...
— Pourquoi ? coupa-t-il en sortant ses clefs de voiture de
sa poche.
— Je sens qu'il se passe quelque chose, Dean. J'ai
l'impression que tu n'es pas dans ton assiette.
— Je me porte à merveille.
Il ne savait pas où il en était vis-à-vis de deux sœurs qu'il
n'avait pas revues depuis vingt ans, il entendait des bruits
bizarres et voyait des ombres se déplacer dans l'obscurité,
mais il se portait à merveille.
— Tu en as bavé pendant ce dernier combat, Dean.
— J'ai gagné.
— Tu te déplaçais comme un débutant. Tu as laissé filer
des tas d'opportunités de ratatiner ce Russe sans bouger une
oreille.
C'était vrai... mais il avait gagné quand même.
— Gregor est là. Je vais m'entraîner avec lui.
— Non mais ça ne va pas ! rugit Simon. Je t'interdis de
t'entraîner avec Gregor avant mon arrivée, tu m'entends ? Tu
vas le massacrer !
Il inspira un grand coup avant de poursuivre.
— J'ai de quoi noter, annonça-t-il finalement. Donne-moi
ton adresse, je te rejoins dans quelques jours.
— Rends-moi d'abord un service, tu veux bien ?
— Ça dépend. Je préfère savoir à quoi je m'engage.
— Charge quelqu'un d'enquêter sur le passé d'un
dénommé Roger Sims. Il possède plusieurs entreprises à
Harmony, expliqua Dean avant de les citer pour faciliter les
recherches.
— C'est quelqu'un qui en a après toi ?
— Pas vraiment.
Pas encore, ajouta-t-il pour lui-même en scrutant
l'obscurité autour de lui.
— Alors pourquoi t'intéresses-tu à lui ?
— Il sort avec ma sœur.
Simon marqua un silence, puis se réfugia derrière un trait
d'humour.
— Le fumier ! Tu veux que je le fasse buter ?
— Si tu promets de ne pas me mettre sur le gril au sujet de
ma famille dont je ne t'ai jamais parlé, je te demanderais bien
d'apporter un peu de matériel avec toi.
— Quel genre de matériel ?
— Du matériel d'entraînement. Si je dois former Gregor,
autant faire ça bien.