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Eve ouvrit des yeux aussi grands que des soucoupes.

— Tu vas lui acheter une voiture ?

— Pas une voiture neuve, précisa-t-il d'un ton impatient.

De toute façon, elle risque de refuser.

— Non, assura Eve. Elle ne refusera pas. Elle sera folle de

joie.

— C'est une petite Ford Escort. Un modèle économique

mais robuste. Jacki a besoin d'un moyen de transport, bon

sang! enchaîna-t-il comme pour se justifier. D'être

indépendante et...

Dean !

Eve renifla, son menton trembla et elle couvrit son visage

de ses mains. Dean comprit qu'elle était sur le point de

fondre en larmes. Il leva les yeux au ciel et se laissa aller

contre le dossier du canapé.

— Pourquoi les femmes réagissent-elles toujours comme

ça ?

— Je te rappelle que j'ai mes règles ! répliqua-t-elle

rageusement à travers ses larmes. C'est pour ça que je pleure

et, si ma réaction ne te plaît pas, rien ne t'empêche de partir !

— Pourquoi cherches-tu à te débarrasser de moi?

— Pourquoi m'insultes-tu en permanence ? riposta-t-elle

du tac au tac.

Dean poussa un long soupir résigné.

— Ça ne me dérange pas que tu pleures, dit-il en

observant le bout de son nez rougi. Je trouve ça plu-lot

mignon, en fait.

Mignon ? releva-t-elle avec colère. J'ai déjà entendu

îles remarques sexistes, mais alors ça, c'est vraiment...

Soucieux d'éviter une dispute, Dean s'empressa d'ex-

pliciter :

— Je ne voulais pas dire que les femmes pleurent tout le

temps. Je voulais simplement dire que les femmes réagissent

de façon exagérée pour des broutilles. Cette voiture ne m'a

pas coûté si cher que ça.

— Parce que tu l'as déjà achetée ?

— Je suis passé devant le concessionnaire en rentrant à

l'hôtel, avoua-t-il piteusement. C'était encore ouvert.

— Jacki est au courant ? demanda Eve en refoulant

bravement un nouveau flot de larmes.

— Non.

— Et Cam ?

Il secoua la tête.

Eve écarta ses pieds des genoux de Dean et les posa par

terre. Elle réfléchit une seconde, puis se tourna vers lui.

— Cam risque de ne pas apprécier.

— Ça ne la regarde pas. C'est entre Jacki et moi.

— Jacki n'est pas assurée.

— Je m'en occuperai.

Eve le dévisagea un instant, puis son visage se plissa,

annonçant une nouvelle crise de larmes.

— Ah non ! s'écria-t-il en se levant. Écoute, Eve, je suis

célibataire, je n'ai pas d'enfant, pas de maison, ni rien de ce

genre. J'ai bien le droit d'aider un petit peu mes sœurs si j'en

ai envie, non ?

— Acheter une voiture et payer une assurance, ce n'est pas

« aider un petit peu ». C'est une contribution royale.

— Pas de mon point de vue. Et je ne fais pas ça non plus

parce que je pense que c'est mon devoir de grand frère ou je

ne sais quel autre cliché.

— Je ne vois rien de cliché à cela. Tu fais ça parce que tu

es quelqu'un de bien.

Dean leva les yeux au ciel.

— Redescends un peu sur terre, Eve !

— Je regrette vraiment d'avoir mes règles, murmura-t-elle

en le couvant d'un regard d'adoration.

— Pourquoi ? s'enquit-il, abasourdi.

— Parce que tu es complètement craquant.

Cette déclaration eut le don de raviver son irritation.

— Tout ça parce que j'ai acheté une voiture ! Il n'y a pas

de quoi en f...

— Ce n'est pas à cause de ça que je te trouve craquant,

alors ce n'est pas la peine de t'emballer.

Eve s'absorba un instant dans ses pensées et lissa l'ourlet

de son maillot sur sa cuisse.

— C'est un ensemble, reprit-elle. Ton apparence, ton

attitude, ton assurance, ta force et ton sens de l'honneur...

Son sens de l'honneur ? Alors là, franchement...

— Toi aussi tu es adorable, s'empressa-t-il d'affirmer

avant qu'elle le sanctifie. Et ça ne me dérange pas du tout

d'attendre que tes mauvais jours soient passés.»

Eve tendit les mains vers lui avec un sourire hésitant.

Lorsque Dean se rassit, elle rampa sur ses genoux et se blottit

contre son torse.

— Pardon d'avoir été méchante avec toi, ce midi.

— C'est déjà oublié.

— Je suis contente que tu aies insisté pour venir malgré

ma mauvaise humeur.

— Moi aussi, répondit-il sincèrement. J'espère que tu ne

penses pas que je t'ai raconté cette histoire de voiture pour te

séduire ou je ne sais quoi ?

— Non, répliqua-t-elle en lui caressant la nuque. Dean?

— Mmm?

— Pourquoi est-ce que tu me l'as dit ?

Dean n'en savait rien. Il aimait bien parler avec Eve. Elle

connaissait ses sœurs, se faisait du souci pour elles. Il prit

son visage entre ses mains et lui caressa les sourcils avec ses

pouces.

— Je crois que... ça me dérangeait. Je veux parler de ce

que Cam et Jacki sont en train de traverser.

— Qu'est-ce qu'elles sont en train de traverser ?

Dean détourna la tête pour échapper à son regard.

— Je ne sais pas. Je m'étais toujours imaginé qu'elles

avaient eu la meilleure part, après la mort de nos parents.

Pas parce que mon oncle était méchant - Grover était la

crème des hommes. Il me manque tellement.

— Tu l'aimais beaucoup ?

Dean hocha la tête.

— Je l'aimais, je le respectais et je l'admirais énormément.

Il était juste.

— Quelqu'un d'estimable, conclut Eve.

— Grover était fort comme un cheval et farouchement

déterminé à n'en faire qu'à sa tête, sans jamais recourir à la

force ni écraser personne.

— Tiens, tiens... Ça me rappelle quelqu'un.

Afin d'éviter un nouveau déluge de louanges, Dean

souleva sa main et observa ses doigts. Si fins, si délicats et

pourtant animés d'une telle puissance féminine.

Il imagina ces doigts enroulés autour de son sexe,

pressants, caressants... et se sentit durcir. Le poids de son

corps, doux et tiède, sur ses genoux, l'incita à penser qu'il

pourrait aisément la convaincre de faire l'amour avec lui.

Mais il ne le ferait pas.

Il tenait à prouver à Eve qu'il appréciait sa compagnie,

avec ou sans gratification sexuelle. Il renversa la tête en

arrière et ferma les yeux pour rester concentré sur leur

conversation.

— Quand je compare mon oncle à Lorna, je me sens

coupable parce que je réalise que j'ai grandi avec des

préjugés.

— Je ne te crois pas.

— Si, insista-t-il. J'ai grandi dans l'illusion qu'on m'avait

exclu. Et aujourd'hui... aujourd'hui, je me rends compte que

c'est moi qui les ai abandonnées.

— Tu exagères, Dean.

Eve se tortilla sur ses genoux pour embrasser son menton,

et Dean serra les dents.

— Lorna n'était pas aussi méchante que tu le penses, dit-

elle en le forçant à redresser la tête. Cam et Jacki n'ont

jamais manqué du nécessaire.

— Elles n'ont reçu ni amour ni affection.

— Je ne sais pas... Lorna n'est pas facile à cerner. En

apparence, on a l'impression qu'elle se soucie uniquement de

sa petite personne et de son petit confort.

— Je crains malheureusement qu'il n'y ait pas grand-chose

au-delà de cette apparence.

— Elle a emmené Cam et Jacki voir le médecin chaque

fois que c'était nécessaire, et elles n'ont jamais manqué un

seul rendez-vous chez le dentiste. Et si elles n'étaient pas

toujours à la dernière mode, elles étaient quand même bien

habillées. Ça a son importance, non ?

Chaque mot que prononçait Eve le chagrinait davantage.

— Dans certains pays où j'ai grandi, il fallait faire une

journée de voiture avant de trouver un médecin, dit-il en

caressant le dos de sa main. Et je ne suis jamais allé chez le

dentiste que pour soulager une rage de dents. Quant aux

vêtements, mon oncle s'en occupait seulement quand ceux

que je portais étaient en lambeaux.

— Je comprends mieux tes goûts vestimentaires, le

taquina-t-elle.

— Le principal, pour moi, c'est de me sentir à l'aise dans

mes vêtements, répondit Dean en riant.

— Du moment que tu le dis...

— Pourquoi ? Ça te dérange ?

— Non. Je ne vois pas en quoi ça pourrait me déranger.

— Parce que tu es toujours tirée à quatre épingles et que

c'est loin d'être mon cas.

— Et alors ?

— Et alors, les gens nous voient ensemble.

Mais enfin, Dean, ce n'est pas comme si on était mariés.

On ne vit pas ensemble, on ne peut pas dire qu'on forme un

couple. Dean se raidit.

- C'est ce que tu penses vraiment ? s'enquit-il d'un ton

défiant.

— Évidemment ! Tu n'as aucun souci à te faire, Dean,

ajouta-t-elle en lui tapotant le torse. Je n'oublie pas que tu

n'es ici qu'en visite et que tu vas bientôt repartir.

— Je ne sais pas quand je partirai...

Eve se contenta de sourire.

— Mais tu sais que tu ne resteras pas, et je te promets que

je ne chercherai pas à compliquer les choses.

— Mais, Eve, je...

— J'adore être avec toi, l'interrompit-elle. Je mentirais si

je disais le contraire, et j'espère te voir le plus souvent

possible tant que tu seras là. Mais je ne commettrai pas

l'erreur de tomber amoureuse de toi.

— Tu en es sûre ?

On verrait cela... S'il s'en donnait la peine, Dean était

certain qu'elle tomberait amoureuse de... Mais qu'est-ce qui

me prend d'imaginer un truc pareil? songea-t-il. Dean fronça

les sourcils. Il s'en voulait de réagir aussi viscéralement au

peu d'intérêt qu'il lui inspirait.

— Sûre et certaine. Tu peux être tranquille, je n'ai pas

l'intention d'essayer de changer quoi que ce soit chez toi. Ta

façon de t'habiller ne me regarde pas.

Ayant dit cela, elle osa sourire et effleura sa clavicule

d'une caresse si sensuelle que Dean sentit son corps

s'enflammer.

— De toute façon, tu peux t'habiller n'importe comment,

tu es toujours aussi beau.

Dean avait intérêt à se concentrer rapidement sur autre

chose, s'il ne voulait pas que son désir physique devienne

trop évident. Il souhaitait l'inciter à avouer que ce qu'elle

ressentait pour lui allait au-delà du désir physique, justement.

Parce que c'était le cas, en ce qui le concernait.

Il ne la connaissait pas depuis assez longtemps pour

ressentir quelque chose d'aussi fort. Mais il n'y avait que la

partie rationnelle de son cerveau pour relayer ce message.

Toutes les autres parties de son corps, sa psyché et son âme,

lui répétaient que le temps ne fait rien à l'affaire.

Dean avait conscience que la fascination qu'Eve exerçait

sur lui tenait en partie au fait qu'elle était très proche de ses

sœurs. Elle conservait en mémoire des épisodes de la vie de

Cam et Jacki qu'il avait manques. Mais il savait aussi que

n'importe quelle amie de ses sœurs n'aurait pas déclenché

cette réaction. Il avait suffi qu'il pose les yeux sur elle pour

qu'il comprenne qu'Eve était la femme de sa vie. Il l'avait

immédiatement désirée, mais faire l'amour avec elle n'avait

pas suffi à le combler et la connaître intimement n'avait fait

qu'accroître son désir.

Il emprisonna ses doigts, plaça sa main à plat sur son

ventre et lui posa une question qui le taraudait depuis un

moment.

— Est-ce que Cam sait comment nos parents sont morts ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Elle sait qu'ils sont morts

dans un accident de voiture, oui.

— C'est tout ce qu'elle sait ?

— Pourquoi? demanda Eve d'un ton plus grave. Que

devrait-elle savoir de plus ?

— Elle ne t'a jamais rien dit d'autre ?

— Dean, lui reprocha-t-elle en se tortillant sur ses genoux,

je ne suis pas de bonne humeur aujourd'hui, alors arrête de

jouer et dis-moi ce qu'il y a.

Dean se passa la main dans les cheveux. Pouvait-il en

parler à Eve avant d'en parler à Cam et Jacki ? Il savait qu'il

pouvait compter sur son silence. Le problème n'était pas là.

— Je ne suis même pas certain qu'elles aient besoin de le

savoir, réfléchit-il à voix haute. Ce n'est pas le genre de

choses qu'on a envie d'apprendre sur ses parents. Elles ne se

souviennent d'eux ni l'une ni l'autre, j'imagine?

— Non. Comme les photos avaient pratiquement toutes

disparu, elles n'ont pas eu de souvenir visuel sur lequel

s'appuyer.

— C'était peut-être mieux comme ça.

Était-ce pour cette raison que Lorna avait retiré les photos

? Pouvait-on lui prêter une motivation aussi altruiste ?

— Certaines personnes ne sont pas faites pour avoir des

enfants, soupira-t-il.

— Tu penses à Lorna en disant cela ?

Dean secoua la tête.

— Tu sais que j'avais huit ans quand mes parents sont

morts.

— Oui, tu n'étais qu'un enfant.

— Pas bien vieux, oui. Mais assez grand pour avoir

conservé le souvenir de mes copains et des jeux auxquels on

jouait. Malheureusement, en ce qui concerne ma mère, je n'ai

gardé en mémoire que de trop rares sourires. Elle était très

belle, mais elle ne se comportait pas comme une mère.

Eve se redressa sur le canapé et prêta l'oreille.

— Elle ne s'adressait aux employées chargées de s'occuper

de Cam et Jacki que pour leur dicter la façon dont elle

voulait que ses filles soient habillées. Afin que ses amies

s'extasient devant ses « adorables petites poupées».

— Et toi?

— Les garçons sont placés sous la responsabilité de leur

père, et mon père n'appréciait pas particulièrement les joies

de la vie de famille. Quand il ne travaillait pas, il jouait au

golf avec ses collègues, histoire de se faire de nouvelles

relations d'affaires.

— Oui, mais tu n'avais que huit ans, Dean. C'est affreux

de perdre ses parents et d'être arraché à son foyer à un âge

aussi tendre. Tu as peut-être fabriqué de faux souvenirs après

coup.

— Tu es tellement proche de tes parents que ça te semble

impossible qu'un père et une mère puissent se montrer aussi

distants. Mais c'était vraiment comme

ça. Je m en souviens très clairement, et ce dont je no me

souviens pas apparaît sur les photos et dans la cor-

respondance. Mon oncle m'a aussi aidé à comprendre

certaines choses.

— Il était peut-être un peu partial, non ?

— Non. Ma mère avait un amant depuis un certain

temps. Un jour, mon père les a surpris dans le lit conjugal.

J'étais dehors, je jouais avec des copains. Cam et Jacki

étaient en bas en train de faire la sieste sous la surveillance

de leur nourrice.

— Mon Dieu.

— D'après la nourrice, il y a eu beaucoup de cris et puis

l'homme est parti... et ma mère l'a suivi.

Eve ne dit pas un mot.

— J'imagine que mon père ne voulait pas qu'elle parte. Ou

alors il était en colère après son amant. Tou- i jours est-il

qu'il les a poursuivis avec sa voiture. Les deux véhicules

roulaient trop vite et c'est comme ça que l'accident s'est

produit. L'ironie de l'histoire, c'est que, sans être dans la

même voiture, mes parents ont trouvé la mort en même

temps. L'amant de ma mère, lui, s'en est tiré.

— Cam et Jacki n'en savent rien, murmura Eve, très

pâle.

— Je m'en doutais, sans en être absolument sûr. Lorna le

sait. Elle aurait pu leur en parler. Après l'enterrement,

Lorna et mon oncle étaient tous les deux dans le salon

quand l'amant de ma mère s'est présenté.

— Et toi, tu étais où ? demanda Eve dans un filet de

voix.

— Assis sur le canapé, répondit-il en souriant. Grover

venait de m'expliquer que je ne restais pas avec mes sœurs

et que je partais avec lui. Il faisait de son mieux pour que ça

ait l'air d'une merveilleuse aventure, quand cet enragé

tonitruant a surgi dans la pièce.

— Mon Dieu !

— Je me souviens qu'il hurlait que mon père avait tué

ma mère et je ne comprenais rien à ce qu'il racontait. Il

n'arrêtait pas de répéter qu'il n'arriverait jamais à vivre sans

elle.

- Quel monstre d'égoïsme ! s'exclama Eve. Dean s'aperçut

qu'elle pleurait. De colère, cette fois. Mais il s'en voulut de la

soumettre à de telles montagnes russes émotionnelles et se

dépêcha d'achever son récit.

— Grover s'est montré à la hauteur de la situation. 11 a

traversé la pièce comme un boulet de canon et il .1 fait taire

le type en lui flanquant son poing dans la ligure. Il s'est

écroulé d'un bloc. Boum. Après quoi, Grover est allé ouvrir

la porte et il a traîné le corps du type jusque dans le caniveau

et l'a laissé là. Quand il est rentré, il semblait toujours aussi

furieux et il a ilit à Lorna d'aller s'occuper de Cam et Jacki.

— Elle l'a fait?

— Oh, oui ! En moins de deux secondes, on s'est retrouvés

tout seuls, Grover et moi. Il s'est accroupi devant moi - je me

souviens qu'il avait l'air mauvais et que je n'avais pas du tout

peur de lui. Il m'a dit de ne pas faire attention à ce que ce

bonhomme avait raconté, que ce n'était qu'un poivrot abruti

par l'alcool et qu'il ne fallait jamais écouter ce que disent les

gens quand ils ont bu. Ensuite, il m'a dit que je partais avec

lui et qu'il s'occuperait de moi.

— Un peu brut de décoffrage, non ?

— Oui, mais tu sais, je me suis senti mieux, l'espace d'un

instant. Au lieu de m'angoisser sur l'avenir, j'avais hâte de

demander à mon oncle de m'apprendre à me battre.

— Tu as pu dire au revoir à tes sœurs ?

— Non, on est partis tout de suite. Grover m'a dit qu'il

reviendrait chercher ce dont j'aurais besoin plus tard. Quand

on est montés dans sa voiture, le type gisait toujours dans le

caniveau, le visage couvert de sang.

— Je ne le plains pas, il avait eu ce qu'il méritait.

Dean laissa échapper un petit rire sans joie.

— Par la suite, Grover m'a dit que ce type était marié, lui

aussi, et qu'il avait un enfant. Il pensait qu'il avait dû quitter

sa femme, mais il n'en était pas certain.

— Quelle histoire épouvantable, Dean !

— Oui, je sais, admit-il en effleurant sa joue d'une

caresse. Tu crois que Cam et Jacki devraient l'entendre ?

— Je ne sais pas.

— Lorna a reçu beaucoup d'argent pour s'occuper d'elles,

tu sais, Eve. Largement assez pour qu'elles puissent toutes

les deux boucler un cursus universitaire. Ce n'est pas normal

qu'elles soient déjà complètement à sec, déclara-t-il en

posant les coudes sur ses genoux.

— Ma mère pense que Lorna a détourné une grande partie

de l'héritage pour ses seuls intérêts, répondit-elle en lui

passant la main dans le dos. D'un autre côté, son armoire

n'est pas remplie de fourrures et elle n'arbore pas une rivière

de diamants. Je crois que certaines personnes ne sont

vraiment pas douées pour gérer un budget.

— Moi, je suis doué pour ça, déclara-t-il en se redressant.

— Moi aussi, répliqua-t-elle en levant fièrement le

menton.

Il sourit.

— J'ai cru remarquer, oui. Peu de célibataires de ton âge

sont déjà propriétaires d'une aussi jolie maison que la tienne.

— Je te remercie. Mais tu sais, ça n'a pas dû être facile

pour Lorna de se retrouver bombardée du jour au lendemain

mère adoptive de deux enfants en bas âge. Elle avait trente-

six ans à l'époque, et elle n'avait jamais été mariée.

— J'ai l'impression d'entendre Cam.

— C'est vrai. Cam prend toujours la défense de Lorna et

de tous ceux qu'elle aime.

Au nombre desquels figurait désormais Dean.

— Il commence à se faire tard et je crois que nous

avons évoqué assez de souvenirs comme ça, décréta-

t il en la soulevant dans ses bras. Il est temps de se ii ici ire

au lit.

Qu'est-ce que tu fais ? Je peux encore marcher, lu sais.

— J'aime bien te porter, répondit-il en se dirigeant

vers la chambre. Tu sens le savon, ajouta-t-il en

m fouissant son nez dans son cou.

— C'est censé être un savon relaxant.

— Parfait. Je me sens très relax, alors.

Eve passa les bras autour de son cou et laissa aller sa tête

contre son épaule.

— Tu as vécu un véritable cauchemar, Dean.

— C'était il y a longtemps. Je n'aurais peut-être pas

dû te raconter cela.

Une fois dans la chambre, il referma la porte sur eux d'un

coup de pied.

— Tu me l'as raconté parce que tu voulais savoir si

Cam et Jacki étaient au courant, et je prends ça

comme une marque de confiance.

Lentement, Dean la fit glisser le long de son corps jusqu'à

ce que ses pieds touchent le sol, plaça les mains sur sa taille

et lui sourit.

— Prête à aller au lit ?

— Dans cinq minutes.

Elle se hissa sur la pointe des pieds, déposa un baiser sur

le bout de son nez et disparut dans la salle de bains. Dean la

regarda s'éloigner avec un sourire attendri. L'attention

qu'Eve avait accordée à son récit ne lui avait pas échappé,

mais elle avait également accepté avec tact qu'il n'ait pas

envie de s'y attarder. Eve Lavon était décidément une femme

exceptionnelle.

Lorsqu'il entendit l'eau couler, il sortit chercher le sac qu'il

avait laissé dans sa voiture.

— À moi ! annonça-t-il alors qu'elle ressortait de la

salle de bains en agitant sa brosse à dents.

Quand il retourna dans la chambre après s'être brossé les

dents, Eve avait éteint la lumière et Dean distingua la forme

de son corps dans le lit- Il devina qu'elle n'avait pas

l'habitude de passer la nuit avec un homme et comprit son

besoin de se cacher. Mais il ne faudrait pas que ça devienne

une habitude.

— Je ne vois rien, dit-il en s'approchant de la fenêtre pour

entrouvrir les rideaux. Ah, c'est mieux ! Ton rendez-vous

s'est bien passé aujourd'hui ?

Eve redressa la tête.

— Pas mal, répliqua-t-elle en l'inspectant du regard,

s'attardant un peu plus que nécessaire sur le renflement de

son caleçon. J'ai décroché le contrat.

Dean s'approcha, souleva le drap, s'allongea contre son

dos puis la prit par la taille.

— Félicitations, souffla-t-il en lui embrassant l'oreille.

Pour quel genre d'événement?

— Un mariage.

— Vraiment ? Tu t'occupes aussi des mariages ?

— Je fais tout, se vanta-t-elle.

Dean fit glisser sa main sur son ventre et l'attira à lui de

façon à plaquer l'entrejambe contre ses i fesses.

— C'est bon à savoir.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, répondit-elle en

ondulant des hanches pour se dégager.

— Ce sera quel genre de mariage?

— Ça t'intéresse vraiment ? demanda-t-elle en lui jetant

un coup d'œil par-dessus son épaule.

— Pourquoi pas ? Tu es une femme très intéressante.

Eve se tourna vers lui.

— La fiancée n'a aucune idée de ce qu'elle veut, et le

fiancé a peur d'assumer seul la responsabilité de la

cérémonie. Du coup, ils m'ont donné carte blanche.

Malgré l'obscurité, Dean vit que ses yeux brillaient à

cette idée.

— Ça te plaît, hein?

— Évidemment ! Si je ne peux pas organiser un mariage

de rêve pour moi, j'aurai au moins le plaisir de le faire pour

quelqu'un d'autre.

Serrer Eve contre lui était si agréable... Stimulant aussi.

Mais le plaisir de la serrer dans ses bras était tel que Dean

pouvait passer outre à ce détail.

— Raconte-moi ça. A quoi ressemble un mariage de rêve

selon toi ?