Eve n'en revenait pas que Dean ait envie de parler de cela.
La plupart des hommes se sauvent en courant dès qu'il est
question de mariage, de demoiselles d'honneur et de tout ce
qui ressemble de près ou de loin à une morale de contes de
fées : « Le prince et la princesse se marièrent, ils furent très
heureux et ils eurent beaucoup d'enfants. »
Dean Conor, lui, non seulement ne se sauvait pas en
courant, mais il en redemandait.
Tant qu'on ne parlait pas de ses sentiments vis-à-vis de
ses sœurs, il semblait disposé à aborder tous les sujets.
Eve s'assit et alluma la lampe de chevet. Dean hissa un
coude pour appuyer sa tête sur son poing et attendit.
— Ils ne veulent pas un grand mariage. Il n'y aura pas
plus de cinquante invités.
— Et toi ? Combien de personnes inviterais-tu à ton
mariage ?
— De mon côté, j'aurais un minimum de trente personnes
à inviter, répondit-elle sans hésiter. Tout dépendrait du
nombre de gens qu'inviterait mon mari.
— Tu imagines l'allure qu'aurait Gregor en smoking ?
s'enquit-il en souriant. Je serais obligé de choisir entre
inviter uniquement ma famille ou une horde de combattants
tatoués !
— Je ne suis pas trop portée sur le smoking, dit Eve,
fascinée par la facilité avec laquelle il évoquait son
mariage imaginaire. Je trouve ça trop formel.
Dean fit courir un doigt le long de sa jambe.
— Tu es toujours tellement bien habillée que je pensais au
contraire que tu envisagerais ton mariage de façon très
formelle.
— Quand je sors, je suis comme toutes les femmes :
j'adore m'habiller. Mais pour un mariage, je me suis toujours
dit que ce serait sympa de porter quelque chose de joli et
confortable à la fois. Quelque chose de doux et fluide, au lieu
de ces kilomètres de tulle et de dentelle. Blanc, ça c'est
incontournable. Une petite robe en broderie anglaise
ultralégère qui s'arrêterait aux chevilles me plairait bien. Au
lieu du sempiternel bouquet de roses, ajouta-t-elle en fermant
les yeux, j'aimerais un bouquet rond composé de marguerites
et d'œillets, et, en guise de voile, je me contenterais d'orner
mes cheveux de ces mêmes fleurs.
— Très joli, en effet, opina Dean sans détacher le regard
de ses jambes.
Totalement absorbée par cette évocation, Eve étendit les
jambes et croisa les mains sur ses genoux.
— Mes demoiselles d'honneur porteraient des robes
identiques à la mienne dans des tons pastel, jaune paille, vert
amande et bleu ciel. Les garçons d'honneur auraient des
pantalons amples, avec un lien coulissant à la taille, dans les
tons écrus avec une tunique de coton souple...
Elle s'interrompit subitement et laissa échapper un petit
rire gêné.
— J'ai l'impression que je m'y crois un peu trop...
— C'est ce que je vois, oui... la taquina-t-il.
Eve lui tira la langue.
— Toujours est-il que c'est comme ça que je vois les
choses, mais je me garderai bien d'en parler à mes clients.
— Ah bon ? Pourquoi ?
— Parce qu'un mariage est quelque chose de sérieux, que
j'aime beaucoup mon travail et que je ne tiens pas à me
tailler une réputation de baba cool nostalgique de la période
hippie. Et puis, c'est ce que je voudrais pour mon mariage à
moi. Je me le garde '
en réserve.
Dean garda le silence un moment, puis tendit la main
vers elle.
— Viens, je veux te serrer dans mes bras.
— D'accord, répondit-elle avant d'éteindre la lumière.
Elle s'allongea à côté de lui, en ayant l'impression d'être
soudain toute raide et gauche.
— Pour ce couple, j'organiserai quelque chose d'à la
fois simple et traditionnel.
— Smokings et trois mètres cinquante de tulle?
plaisanta-t-il en se calant contre ses fesses.
Eve apprécia de sentir la chaleur de son corps, épi-cée
de cette odeur qui n'appartenait qu'à lui, l'envelopper de sa
virile sensualité.
— Marche nuptiale et fleurs d'oranger. C'est ce qu'ils
veulent, sans trop de chichis. C'est dans mes I cordes.
— Quoi que tu fasses, je suis certain que ce sera parfait.
Eve se mordit la lèvre.
— Merci.
— Comment tu te sens ? demanda-t-il en effleurant
délicatement son épaule de ses lèvres.
— Je me sens merveilleusement bien, répliqua Eve,
surprise elle-même.
— Tant mieux, dit-il en posant la main sur son ventre.
Je suis heureux de l'apprendre.
Eve ne voulait surtout pas le froisser mais, étant donné
leur position, elle pouvait difficilement faire semblant de
ne pas remarquer son érection.
— Dean...
— Chuuut, fit-il en caressant son ventre du bout des
doigts. Ne t'inquiète pas.
— Mais Dean... tu bandes !
— Oui, je sais. J'aurais du mal à ne pas m'en rendre
compte. Fais-moi confiance, ce n'est pas un problème.
Eve se retourna pour lui faire face, et la main de Dean se
posa naturellement sur sa hanche.
— Tu es sûr?
Elle arrivait tout juste à distinguer les traits de son visage
dans l'obscurité, mais elle vit ses dents briller clans le noir
quand il sourit. D'une caresse il écarta ses cheveux et plaqua
un baiser sur son front.
— Si ça devenait problématique, j'irais m'en occuper
et je reviendrais me coucher près de toi.
Choquée, Eve se trouva à court de mots. Dean dut le
sentir, car il rit doucement.
— Tout le monde fait ça, Eve.
Peut-être, mais personne ne le disait à voix haute ! Le sourire
de Dean lui parut si diabolique qu'elle eut l'impression qu'il
illuminait la chambre.
— Tu sais que c'est vrai, ma belle. Ceux qui prétendent
qu'ils ne le font jamais sont de fieffés menteurs,
ou bien des gens qui ont mauvaise mémoire.
Eve se pelotonna contre lui pour dissimuler son visage.
— Allez, maintenant, on dort.
— Je n'en reviens pas que tu sois aussi timide. C'est
parfaitement naturel, tu sais.
En guise de réponse, Eve fit mine de ronfler. Heu-
reusement pour sa tranquillité d'esprit, Dean lui tourna le
dos.
— Bonne nuit, chérie.
Chérie. C'était tellement mignon, venant de lui.
Eve ne répondit rien. Elle se contenta d'embrasser son dos,
de fermer les yeux et de savourer la proximité de son corps.
Juste avant de s'endormir, elle se dit que Dean Conor était un
merveilleux remède aux mauvais jours.
Lorsque Eve se réveilla le lendemain matin, le soleil
luttait pour briller malgré les nuages. Elle s'assit, étourdie
d'avoir trop dormi, et s'aperçut que le lit était vide. Elle
tendit l'oreille et la voix de Dean lui parvint. Ses pauses
silencieuses lui firent deviner qu'il était au téléphone et,
après un passage éclair à la salle de bains, elle descendit le
rejoindre.
Dean arpentait le salon de long en large, son portable à
l'oreille.
— Les deux pneus du côté de la rue, oui... Non, pas
lacérés. Mais les valves ont été arrachées et on ne peut pas
les regonfler... Du vandalisme pur et
simple... Merci, dit-il en regardant sa montre. Oui,
ça ira. A tout à l'heure.
— Quelqu'un a dégonflé tes pneus ? demanda-t-elle.
Dean pivota vers elle et un grand sourire illumina son
visage. En trois bonds, il fut près d'elle.
— Bonjour, toi ! J'espère que je ne t'ai pas réveillée.
— Non, il fallait que je me lève de toute f... Son
propre bâillement l'interrompit.
— Pardon, je ne suis pas bien réveillée ! dit-elle en
couvrant sa bouche sous le sourire attendri de Dean.
— Tu as des rendez-vous aujourd'hui ?
— Pas avant plusieurs heures... mais c'est généralement
le temps qu'il me faut pour me préparer !
Dean effleura tendrement sa joue.
— Comment fais-tu pour être aussi belle dès le
réveil ?
Elle voulut répondre, mais il posa son pouce sur ses
lèvres :
— Simple question rhétorique. Inutile de me dire que tu
n'es pas coiffée ou que tes yeux sont encore gonflés de
sommeil.
— C'est pourtant le cas.
— Il n'empêche que tu es belle à croquer, murmura-t-il
en la couvant d'un regard très intime.
Une sensation délicieuse parcourut son corps et alourdit
ses paupières.
— Il est bien trop tôt pour que tu me fasses ça, surtout
que je ne peux même pas en profiter.
— Excuse-moi, dit-il en l'embrassant sur le front. J'ai fait
du café.
— Je t'adore ! déclara-t-elle en se précipitant vers la
cuisine. Alors, on a vandalisé tes pneus? lança-t-elle
cependant par-dessus son épaule.
— Oui, des gosses qui s'ennuyaient, j'imagine. Le
garagiste sera là dans un quart d'heure, mais le temps de la
réparation, j'arriverai chez Cam plus tard que prévu.
— Je peux te déposer, si tu veux, proposa Eve en se
servant une grande tasse de café fumant.
— Je m'en voudrais de te bousculer.
Après l'excellente nuit qu'elle venait de passer à son côté,
Eve se sentait dans une forme éblouissante. Une douche
rapide, un maquillage express et le tour serait joué.
— Ça ne me dérange absolument pas, assura-t-elle en
quittant la cuisine, sa tasse à la main. Au fait, ajoutât-elle en
se retournant vers lui, ton café est excellent, cela va de soi !
— Y a-t-il autre chose que je fais bien?
— La liste s'allonge de minute en minute !
Eve surprit beaucoup Dean. Moins d'une demi-heure plus
tard, elle était prête. Et elle était évidemment superbe. Elle
avait enfilé un ravissant bustier au crochet, un pantalon
ample couleur chocolat qui lui arrivait à mi-mollets, des
mules à talons hauts idéalement assorties à sa tenue et
quelques bijoux en or très discrets en guise de touche finale.
Ils trouvèrent Cam et Gregor devant la maison, en train de
scruter le ciel d'un air soucieux. Dean eut à peine le temps de
descendre de voiture que Gregor se précipita à sa rencontre,
se contentant de hocher brièvement la tête lorsqu'il croisa
Eve.
— Ta sœur est déjà partie !
Gregor avait proféré cela comme une accusation, et Dean
fronça les sourcils.
— Oui. Et alors ?
— Cam dit qu'elle est allée faire des courses avec ta tante,
mais je sais que ce n'est pas vrai. La vérité, c'est qu'elle
cherche à m'éviter.
— Pourquoi ? rétorqua Dean. Aurais-tu fait quelque chose
pour cela ?
Le visage et le cou de Gregor se colorèrent de façon
surprenante, et il demeura un instant bouche bée.
— Fais pas chier, Dean, marmonna-t-il en se dirigeant
vers l'arrière de la maison.
Dean le regarda s'éloigner en se demandant, sérieusement
cette fois, ce qu'il avait bien pu faire. Plus il y pensait, plus
ça l'inquiétait. Il décida finalement de le rejoindre dans la
ferme intention de lui réclamer des explications, mais un
épouvantable juron suivi d'un grand fracas le cloua sur place.
Cam et Eve échangèrent un regard avec Dean, puis ils se
précipitèrent tous les trois derrière la maison.
Gregor gisait sur le dos, l'échelle recouvrant partiellement
son corps, et une grosse bosse commençait à pousser sur son
front. Dean s'agenouilla près de lui.
— Tu es tombé du toit ? s'enquit-il d'un ton incrédule.
Gregor cessa de se frotter le front et le fusilla du regard.
— Mais non, je ne suis pas tombé du toit, ronchonna-t-il
en écartant rageusement l'échelle avant de
se redresser en grimaçant. Un barreau a lâché.
Un épouvantable pressentiment étreignit Dean.
— Qu'est-ce que tu dis ?
— Le dixième ou le onzième barreau a lâché. Heu-
reusement que j'étais pas tout en haut.
Il retira des brins d'herbe agglutinés sur l'éraflure qu'il
avait au bras.
— Le bois s'est rompu sous mon pied et j'ai perdu
l'équilibre. J'ai voulu me retenir à la gouttière, mais elle était
trop loin, alors je suis parti à la renverse et l'échelle a
dégringolé en même temps que moi.
Pendant qu'Eve et Cam s'agitaient autour de Gregor, Dean
s'accroupit à côté de l'échelle et l'examina. Au premier coup
d'œil, il fronça les sourcils. Le barreau ne s'était pas cassé
parce qu'il était usé. Non, à en juger d'après les traces
orangées qui maculaient les bords, quelqu'un s'était servi
d'une scie rouillée pour le scier presque entièrement. Il
suffisait ensuite d'exercer une légère pression dessus - et les
cent trente-cinq kilos de Gregor n'avaient rien de léger - pour
qu'il se brise net.
Il s'agissait d'un sabotage délibéré. Comme pour les pneus
de sa voiture.
Dean se souvint de l'ombre qu'il avait aperçue près de sa
voiture la veille, sur le parking du motel.
Il se souvint aussi qu'il avait irrité Roger peu de temps
avant, et que celui-ci ne se trouvait plus dans le hall quand il
était redescendu. De plus, Roger savait qu'il passait la soirée
chez Eve.
Roger ne l'aimait pas, c'était évident. Mais le détestait-il au
point d'attenter à ses biens et... à ses jours ?
Horrifiée, Cam époussetait Gregor qui se relevait tant bien
que mal avec force grimaces et gémissements.
— C'est bon, dit-il à Cam.
— Mais ta pauvre tête... chuchota-t-elle. Dean
regarda le front de Gregor.
— C'est juste un œuf de pigeon, assura-t-il à sa sœur. Il en
a vu d'autres.
— Je vais chercher une poche de glace, proposa Eve.
— Pas la peine, répondit Gregor en appuyant ses doigts
repliés sur sa bosse. Dean a raison, ce n'est pas grand-chose,
j'ai le crâne solide. C'est juste que ça m'énerve d'être tombé.
Cam se tordait les mains.
— C'est affreux ! Tu aurais pu te tuer !
— Avec cette petite galipette de rien du tout ? Tu rigoles !
Il s'approcha de Dean pour inspecter 1 échelle et ne mit
pas plus de deux secondes pour parvenir à la même
conclusion que lui.
— Oh, ben ça alors ! Mais dis donc...
Dean lui jeta un bref coup d'oeil d'avertissement.
— Le bois était complètement pourri, hein ? s'em-pressa-
t-il d'affirmer avant que Gregor ait le temps d'ajouter quoi
que ce soit.
— Ouais, répliqua celui-ci en fronçant les sourcils. C'est
ça, complètement pourri...
Dean hocha la tête. Il ne voulait rien dire à personne pour
le moment. Il trouverait les réponses aux questions qu'il se
posait en prenant son temps et en procédant à sa manière -
sans éveiller les soupçons de l'imbécile qui avait fait cela.
— J'aurais dû vérifier l'échelle, se lamenta Cam. Je vais
aller en acheter une autre.
— Non, dit Dean. Celle-ci est très bien.
— Mais si le bois est pourri...
— Les autres barreaux sont parfaitement sains. On
allongera un peu plus la jambe au niveau de celui qui est
cassé, voilà tout.
Gregor dressa l'oreille en entendant une voiture se garer
devant la maison, et les traits de son visage se durcirent.
— Dean a raison. On aura terminé en un rien de
temps.
Il cala l'échelle contre le mur et grimpa résolument sur le
toit. Au pied de l'échelle, Dean leva la tête vers lui, la main
en visière au-dessus des yeux.
— C'est Jacki qui arrive, annonça-t-il.
— Je sais, répondit Gregor en ceignant son front d'un
bandana.
— Je croyais que tu voulais lui parler.
— Ça m'a vexé qu'elle cherche à m'éviter. Je ne sais plus
trop si j'ai envie de lui parler. Si elle a quelque chose à me
dire, elle sait où me trouver, de toute façon.
— Pourquoi tu parles comme une pétasse, Gregor?
— Me cherche pas, Dean... Si vous voulez bien m'excuser,
mesdemoiselles, ajouta-t-il à l'intention d'Eve et Cam avant
de s'éloigner sur le toit.
Dean se tourna vers elles en soupirant. Cam se mordait la
lèvre pour éviter d'éclater de rire, et Eve regardait sa montre.
— Ne t'inquiète pas, Cam, dit-il à sa sœur. Je crois que
Gregor et Jacki finiront par s'entendre.
— Oh, je ne m'inquiète pas du tout ! Je sais reconnaître un
homme amoureux quand j'en vois un.
— Tu parles de Gregor?
Cam devait plaisanter.
— Je t'accorde qu'il fait tout ce qu'il peut pour résister,
mais il n'y arrivera pas. Si Jacki n'était pas ma sœur, je serais
désolée pour lui. Il n'a pas une seule chance de s'en sortir.
Elle se rapprocha de son frère et baissa la voix :
— Jacki ne le sait pas encore et je crois qu'il vaut mieux
que tu ne le lui dises pas.
Elle jeta un coup d'œil à Eve et sourit.
— J'ai à faire dans la maison, je vous laisse vous dire au
revoir, annonça-t-elle.
Dès que sa sœur hit partie, Dean attira Eve contre lui.
— Quand est-ce qu'on se revoit tous les deux?
— Je ne serai pas rentrée avant dix-neuf heures, répondit-
elle en jouant avec l'encolure de son T-shirt. Tu viendras
passer la soirée avec moi ?
— Oui, répliqua-t-il en l'embrassant. Et demain soir. Et
celui d'après.
-— Même si je suis... inaccessible?
— Ça ne m'empêche pas d'apprécier ta compagnie.
— Alors d'accord, acquiesça-t-elle, visiblement ravie de ce
compliment.
— Mais à une condition...
— Laquelle ?
— Promets-moi de faire attention à toi, dit-il d'un ton
sérieux.
Eve fronça les sourcils et Dean réalisa subitement quelque
chose d'effroyable.
Quelqu'un - très probablement Roger - cherchait à lui
nuire. Et la meilleure façon d'y parvenir consistait à s'en
prendre à Eve.
— Laisse-moi
t'accompagner
jusqu'à
ta
voiture,
poursuivit-il en lui prenant le bras. J'ai quelque chose
d'important à te dire.
Quelques heures plus tard, après avoir abattu une sérieuse
quantité de travail, Dean retira ses gants et jeta un coup d'œil
à Gregor. Ils avaient travaillé dans un silence presque absolu
- ce qui, venant de Gregor, avait de quoi surprendre.
— On ne mettra plus très longtemps à finir. Je préfère
déjeuner tôt, j'ai des choses à faire ensuite.
— Si tu veux, répondit Gregor sans lever les yeux. C'est
important? demanda-t-il une fois qu'il eut terminé d'enfoncer
un clou.
Dean se contenta de hausser les épaules. Il préférait parler
avec Jacki en priorité.
— Tu viens ?
— Je ne sais pas, marmonna Gregor. Pars devant, je vais y
réfléchir.
— Comme tu veux.
Dean n'avait pas de temps à perdre avec un combattant
capricieux.
Quelques minutes plus tard, il retrouvait ses sœurs dans la
cuisine. Jacki, assise jambes croisées sur une chaise,
bavardait avec Cam, et Dean se dit qu'elle était tout
simplement adorable. Originale, excentrique et adorable.
Hochant régulièrement la tête, Cam se tenait derrière une
planche à repasser placée entre la buanderie et la porte de la
cuisine. Il lui restait une véritable montagne de linge à
repasser. Peu importait qu'elle ait travaillé une partie de la
nuit et se soit levée tôt. Cam ne restait jamais inactive. Elle
ne pouvait pas se le permettre.
Étrangement, elles lui étaient toutes deux familières alors
qu'ils ne se connaissaient que depuis très peu de temps.
— Salut, lança-t-il pour attirer leur attention.
Les deux sœurs levèrent les yeux vers lui et sourirent.
Jacki déplia ses longs membres et quitta sa chaise.
— Tu as l'air d'avoir chaud. Tu veux boire quelque chose
?
— Je veux bien un verre d'eau glacée.
Cam posa son fer, secoua la chemise qu'elle venait de
repasser, la suspendit soigneusement sur un cintre et
s'approcha de lui.
— La toiture avance ?
— Ce sera fini ce soir.
— C'est vrai ? s'exclama-t-elle, surprise. Mais c'est
merveilleux ! Je n'aurais jamais imaginé que tu pourrais
abattre un tel travail aussi rapidement, ajoutât-elle avec un
petit sourire crispé.
Dean savait ce qui la tracassait. Il aurait aimé lui faciliter
les choses.
— Je ne te remercierai jamais assez, enchaîna-t-elle.
Si tu me dis combien je te dois, je pourrai te payer tout de
suite.
Dean se planta en face d'elle et la regarda droit dans les
yeux.
— Je ne prendrai pas ton argent.
Cam n'aurait pas réagi autrement si Dean l'avait insultée.
Elle inspira à fond, plaqua un sourire sur ses lèvres et soutint
son regard.
— Bien sûr que si. Je ne te laisserai pas...
— Tu pourrais difficilement m'en empêcher.
— Je n'ai pas besoin de ta charité, rétorqua-t-elle, agacée.
— C'est ma maison aussi, tu te rappelles ?
Dean tira une chaise à lui d'un geste parfaitement
nonchalant, alors qu'intérieurement, il mourait d'envie
île lui ouvrir son cœur. S'asseyant, il laissa échapper un
soupir.
— C'est toi-même qui l'as dit.
.facki posa précautionneusement un verre d'eau devant lui,
son regard passant alternativement de son hère à sa sœur.
— Si j'avais su que tu ne me laisserais pas payer, déclara
Cam d'une voix glaciale, je ne t'aurais pas autorisé à faire ça.
— Je ne t'ai jamais demandé la permission, répondit-il
gentiment. Assieds-toi, Cam, ajouta-t-il en voyant ses joues
devenir rouges de colère.
— Je n'ai pas envie de m'asseoir, répliqua-t-elle en
croisant les bras.
— Comme tu veux. Mais je te préviens que tu ne vas pas
aimer ce que je vais te dire.
Dévorée de curiosité, Jacki s'assit face à lui, plaça le
menton en appui sur ses mains et attendit.
— D'après ce que j'ai compris, Roger t'a aidée à réaliser
un certain nombre d'améliorations et de réparations.
— Où as-tu entendu dire cela ? s'enquit Cam.
— Je le tiens de la bouche de Roger en personne. Il m'en a
parlé quand on s'est croisés au bureau de l'agence
immobilière où travaille la mère d'Eve. Il m'a également
appris que beaucoup de réparations restaient encore à faire.
— C'est pourquoi j'ai décidé de vendre la maison,
confirma-t-elle d'un ton teinté de méfiance.
— À Roger.
— Non. Jamais, affirma-t-elle en secouant vigou-
reusement la tête.
Surpris, Dean la dévisagea.
— Il me semble pourtant que vous êtes...
— Fiancés, je sais.
Cam se décida finalement à s'asseoir.
— Ce qui se passe, vois-tu, c'est que Roger a la même
attitude que toi. Il voudrait voler au secours de la pauvre
petite chose que je suis. Le problème, c'est que je préfère
m'en sortir toute seule.
Se sortir de quoi ? De ses dettes ?
— Si tu as l'intention de te marier avec lui, Cam, il me
semble naturel qu'il ait envie de t'aider.
— Tant que j'aurai des dettes, je ne me marierai pas. Ce ne
serait pas correct. On ne se marie pas pour payer ses dettes.
Pas moi, en tout cas.
Dean vit Jacki baisser les yeux et se concentrer sur ses
mains d'un air coupable, mais Cam n'y prêta pas attention. Il
se dit qu'il parlerait avec Jacki plus tard.
— Quand j'aurai vendu la maison et que j'aurai l i q u i d é
les ciel tes, je me marierai.
— Avec Roger ?
— Oui, probablement.
Dean s'était attendu à voir son front se plisser ainsi.
— Est-ce que tu l'aimes, Cam ?
Elle commença par secouer la tête, puis s'interrompit
brusquement.
— Je crois. Je le connais depuis toujours, ajoutât-elle en
redressant le menton.
— Depuis quand exactement ?
— Depuis le lycée. Il était plus grand que moi, il me
protégeait. C'était le grand frère que je n'avais pas. Excuse-
moi, Dean...
— Vous sortiez déjà ensemble à l'époque ?
— Non, on était simplement amis. Vraiment amis. Je le
connais mieux que personne. Même s'il fait tout ce qu'il peut
- trop parfois - pour gagner l'estime d'Eve, je sais qu'elle ne
le comprend pas et que par conséquent elle ne l'aime pas. Et
je sais aussi que tu ne le portes pas particulièrement dans ton
cœur, Jacki, dit-elle en jetant un bref coup d'œil à sa sœur.
Dean s'attendait à ce qu'elle nie, mais Jacki se contenta de
baisser la tête.
— J'ai souvent eu l'occasion de voir une facette de Roger
que les autres ne connaissent pas. Avec moi, il est très tendre
et gentil. Il cherche toujours à m'aider. Il n'a pas eu une vie
facile, expliqua-t-elle en levant les yeux vers son frère. Il a
travaillé dur pour obtenir ce qu'il possède aujourd'hui. Il s'est
fait tout seul et je suis 1res fière de lui. À l'entendre, c'est un
vrai saint, songea Dean.
— Mais c'est justement le problème, enchaîna-t-elle.
Roger a fait tant de choses pour moi que j'ai du mal à dire ce
que je ressens pour lui alors que je lui suis tellement
redevable. Je lui suis en quelque sorte... obligée.
Dean en demeura stupéfait. Sa sœur était loin d'être bête.
— Je vois.
— Une fois que mes dettes seront réglées, je saurai où j'en
suis et les choses seront certainement plus claires pour lui
aussi.
— Je comprends, répondit-il en se disant qu'il attendrait
encore un peu avant de lui parler des réparations qui restaient
à faire dans la maison.
— Vraiment? demanda-t-elle en détournant la tête. Je ne
sais pas si tu peux comprendre. Tu es tellement
indépendant...
Indépendant, mais seul.
Dean haït cette pensée dès qu'elle lui traversa l'esprit et il
posa son poing sur la table, comme pour l'écarter.
— Tu m'as dit que cette maison m'appartenait en partie.
— C'est le cas, assura-t-elle en reportant son attention sur
lui.
— Alors, je ne veux pas la vendre. Et je ne veux pas non
plus qu'elle tombe en ruine. Tu as dû assumer son entretien
pendant des années, maintenant c'est mon tour.
Cam ouvrit la bouche et la referma deux fois de suite,
visiblement à court de mots.
— Ne sois pas ridicule ! Je vivais ici. Ce n'est pas du
tout la même chose.
— Je pourrais y vivre, moi aussi.
Qu'est-ce qu'il racontait?
— Par intermittence, évidemment. Selon mon emploi
du temps.
Et voilà. C'était dit.
— Tu parles sérieusement? intervint Jacki. Tu penses
vraiment t'installer ici ?
— Disons à mi-temps. En fait, je n'en sais rien, lâcha-t-il
finalement.
— Ça serait cool de te voir un peu plus souvent, déclara
Jacki sans chercher à dissimuler son enthousiasme.
— Étant donné que c'est aussi ma maison, j'ai par-
faitement le droit d'y apporter les améliorations que je juge
nécessaires, établit-il en se tournant vers Cam.
— Vu sous cet angle, je suppose que tu as raison.
— Parfait. Dans ce cas, tout est arrangé.
Gregor passa la tête dans l'entrebâillement de la porte pour
s'adresser à Cam, en prenant bien soin de ne regarder qu'elle.
— Y a-t-il une chance pour qu'on me donne quelque chose
à manger ?
Jacki se retourna afin de lui présenter ostensiblement son
dos.
— Bien sûr, Gregor, s'empressa d'affirmer Cam. Je
voulais préparer quelque chose, mais j'étais tellement prise
par ma conversation avec Jacki que j'ai oublié. Un sandwich
te conviendrait-il ?
— Impec' ! décréta Gregor en faisant un pas dans la pièce.
De quoi est-ce que vous discutiez, toutes les deux?
— Avant que Dean arrive, on était en train de se
demander comment Jacki allait faire pour aller au travail et
revenir, demain.
Gregor referma la porte derrière lui et s'avança.
— Je peux m'en occuper, assura-t-il sans regarder
Jacki.
Celle-ci pivota d'un bloc et le fusilla du regard.
— Je préfère encore y aller à pied, cracha-t-elle. Ou
même en rampant, tiens !
— Jacki, pour l'amour du Ciel ! s'exclama Cam.
Incapable de se maîtriser, Dean éclata de rire, puis
dissimula son sourire lorsque Cam et Jacki lui lancèrent un
regard noir.
— Tu n'iras pas à pied, déclara posément Cam.
Tu prendras ma voiture et je demanderai à Roger de passer
me chercher.
Quand le vin est tiré, il faut le boire... songea Dean.
Il s'éclaircit la gorge et Cam se tourna vers lui.
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit-elle en apercevant son
sourire contrit.
— Je lui ai acheté une voiture.
— À qui ? questionnèrent Cam et Jacki en chœur.
— À toi, répondit-il en regardant Jacki. Je t'ai acheté une
voiture. Rien d'extraordinaire, s'empressa-t-il de préciser
comme elle le contemplait en battant des cils. Une Ford
Escort.
— Tu as fait quoi ? demandèrent-elles à nouveau dans un
bel ensemble.
Dean s'émerveilla de la façon dont leurs pensées
s'élaboraient au même moment pour s'exprimer avec une
troublante simultanéité.
— Jacki avait besoin d'un moyen de transport, je lui ai
donc acheté une voiture. Fin de l'histoire.
— Ô mon Dieu.
Pour une fois, Cam donnait l'impression d'avoir plus envie
de le gifler que de le serrer dans ses bras. Jacki, en revanche,
frétillait d'excitation.
— Elle est de quelle couleur?
— Argentée.
Cam jeta à sa sœur un regard destiné à la faire rentrer sous
terre, avant d'adresser à Dean toute la puissance de sa colère.
— Tu ne peux pas lui acheter une voiture.
— Si, il peut, riposta Jacki. De toute façon, il l'a déjà fait!
— Non ! hurla Cam qui semblait avoir perdu tout contrôle.
Il ne peut pas. Dean ne nous doit rien et surtout pas une
voiture. Ce serait plutôt à nous...
— Je n'ai pas fait ça parce que je pense vous devoir
quelque chose, l'interrompit-il en se levant pour poser une
main apaisante sur son épaule, mais parce que je
peux me le permettre et que ça me fait plaisir. De plus, ça ne
te regarde pas, Cam.
Sa sœur le dévisagea d'un air profondément meurtri, mais
Dean tint bon. Cam devait comprendre qu'elle n'était pas
responsable de sa petite sœur. Plus maintenant.
— C'est uniquement entre Jacki et moi, conclut-il.
— Si Cam ne veut pas que je la prenne, je ne la prendrai
pas, décréta Jacki.
Dean la dévisagea et sentit sa gorge se serrer quand il
découvrit la détermination avec laquelle elle prenait la
défense de sa sœur.
— Je comprends, soupira-t-il, mais qu'est-ce que
je vais en faire, maintenant ? Je l'ai payée comptant et
le vendeur ne voudra jamais me la reprendre.
Jacki lança à Cam un regard plein d'espoir.
— Dean a raison, lâcha celle-ci. Ça ne me regarde pas.
— J'ai dit que c'était entre Jacki et moi, mais en tant que
grande sœur, tu as ton mot à dire, Cam, précisa-t-il
tendrement.
Une lueur calculatrice traversa le regard de Cam.
— Si j'ai mon mot à dire en tant que grande sœur, lui fit-
elle remarquer, cela signifie que tu as fait cela parce que tu es
son grand frère, non ?
Saisi, Dean recula d'un pas, déglutit, glissa un coup d'œil
vers Jacki et fit de son mieux pour ignorer la présence
massive de Gregor.
— Quelque chose dans ce goût-là, oui. Lentement, un
sourire releva les lèvres de Cam.
— Alors c'est d'accord. Merci.
Dean eut l'affreuse impression qu'il venait de se faire
manipuler en beauté. Jacki leva les mains.
— Je devrais sans doute m'offusquer que vous pensiez l'un
et l'autre que je suis un bébé dont il faut
prendre soin, mais je suis tellement curieuse que ça m'est
égal ! Quand est-ce qu'on va la voir? s'enquit-elle avec un
grand sourire.
Soulagé par la tournure des événements, Dean regarda sa
montre.
— On peut aller la chercher maintenant. Tu sais passer les
vitesses ?
Le sourire de Jacki s'envola.
— Non. J'ai passé le permis sur une automatique.
— Moi, je sais, intervint Gregor. Je t'apprendrai.
— Non... commença Jacki.
— Bon sang, Jacki ! explosa-t-il en faisant sursauter tout
le monde excepté Dean. Je te crois, d'accord ?
Jacki pâlit.
— Tais-toi, Gregor !
— Pas tant que tu ne m'auras pas pardonné !
— Tu la crois de quoi? s'étonna Cam.
Gregor se redressa et fixa Jacki d'un regard intense.
— Jacki m'a expliqué hier soir qu'elle...
—- Gregor!
— Alors ? Tu me pardonnes, oui ou non? rugit-il en la
dominant de toute sa stature.
— C'est du chantage ! riposta Jacki, tremblante de rage.
— Non, c'est du désespoir ! Tu es tellement têtue que c'est
mon seul recours !
— D'accord, céda Jacki sans desserrer les dents. Je
t'accorde un sursis.
— Ça me va ! déclara Gregor avec un grand sourire.
— Mais si tu recommences à...
— Jamais ! Juré ! promit-il en passant un bras autour de
ses épaules. Viens, on va chercher ta voiture.
Jacki était consciente du moindre souffle de Gregor. Elle
sentait son regard peser sur son visage. Sur son corps.
Elle serra les dents, passa la première, et explosa.
— Mais arrête ! Arrête, tu comprends ? Je n'arrive pas à
me concentrer quand tu fais ça.
Il effleura sa joue de la jointure de ses doigts.
— Je crois que je n'ai jamais connu de vierge. Bon Dieu !
J'ai hâte de voir ce que ça donne !
Jacki passa au point mort et serra le frein à main. Le
parking était pratiquement désert. C'était l'heure et l'endroit
idéal pour s'entraîner, mais Gregor s'était mis en tête de la
séduire.
Il regarda autour de lui et fronça les sourcils.
— Je te signale que tu es en plein milieu du passage.
Jacki ouvrit sa portière et descendit.
Elle continua d'avancer sans se retourner en direction de
l'aire de pique-nique qui bordait le parking. Trente secondes
plus tard, Gregor la rejoignait.
— Tu es tellement folle que je croyais que tu allais rentrer
chez toi à pied !
Une chenille velue traversait tranquillement la table. Jacki
la fit grimper sur une feuille d'arbre pour la déposer sur le
sol. Gregor s'assit à côté d'elle et observa deux minutes de
silence.
— Je ne cherche pas à te mettre la pression, tu sais. Si
c'est ce que tu crois, tu te trompes.
— Ah bon?
Jacki avait trop chaud pour se disputer avec lui.
— Je te jure ! C'est juste que... tu es hyper mignonne,
quoi. Et vachement sexy.
— Mmm, mmm.
— Et vierge, en plus. C'est la folie, quoi ! conclut-il en se
redressant.
Jacki hit obligée de rire.
— Et évidemment, tu as décidé que ce serait toi le premier
?
— Eh ben, euh... j'espère, oui. Tu crois que j'ai mes
chances ? ajouta-t-il, plein d'espoir.
— Je ne sais pas, Gregor, répondit-elle d'un ton las.
— Tu as quelqu'un d'autre en vue ? murmura-t-il d'une
voix rauque.
Jacki songea que si ça continuait comme ça, il n'allait pas
tarder à se frapper le torse de ses poings en rugissant.
— Non.
— Tu es sûre ?
— Tu as encore l'intention de me traiter de menteuse?
rétorqua-t-elle en lui coulant un regard mauvais.
— Non ! Non, bien sûr que non. Si tu dis que ce sera moi,
c'est que ce sera moi.
— Je n'ai pas dit ça.
— Je suis le seul mec avec qui tu sors, non?
— Mais ça ne veut pas dire que j'ai l'intention de perdre
ma virginité avec toi.
— Oh.
Comment une telle force de la nature pouvait-elle avoir
l'air aussi abattue ? se demanda Jacki.
— Tu me rends dingue, Gregor.
— Essaie de te mettre dans ma peau cinq minutes, tu
sauras ce que ça fait d'être dingue.
Jacki fit passer une jambe par-dessus le banc pour
s'asseoir à califourchon et le regarder bien en face.
— Écoute, Gregor, tout ce que je dis, c'est que je ne
me sens pas prête. Pour l'instant, c'est tout ce que je
sais. Et je ne supporte pas que tu me harcèles.
Il redressa le menton comme si elle venait de l'insulter.
— Je ne t'ai jamais harcelée. Ce n'est pas mon genre.
— Ah non ? répondit Jacki en levant les yeux au ciel.
Alors comment appelles-tu ces regards brûlants, ces mains
baladeuses et l'avalanche de compliments que tu déverses sur
moi ?
La main de Gregor alla justement se balader du côté de sa
gorge.
— C'est ta faute, princesse, pas la mienne. Si tu
n'étais pas aussi irrésistible...
Jacki écarta sa main.
— Voilà ! Tu fais exactement ce qui me dérange !
— Mais je me contente de faire ce que tu attends de moi,
bon sang ! Je ne te demande pas de baisser ton pantalon ni
rien de ce genre... Quoique, si ça peut te faire plaisir, je n'ai
rien contre !
Jacki inspira un grand coup, mais Gregor poursuivit :
— Tu es tellement sexy que ça me rend dingue.
Complètement dingue. Mais j'attendrai. Je peux attendre.
Combien de temps tu veux ? Un mois ? D'accord, je tiendrai
un mois, déclara-t-il en attrapant ses mains pour embrasser
ses poignets. Mais je ne peux pas m'empêcher de te regarder
et de te toucher. Ça, c'est impossible.
Il disait cela d'un ton si sincère que Jacki le crut et décida
de lui faire confiance.
— Je suis gaulée comme un mec, balbutia-t-elle.
Gregor haussa lentement un sourcil, le regard rivé
sur l'entrejambe de Jacki.
— Tu veux bien répéter, s'il te plaît ?
Elle libéra ses mains et lui donna une claque.
— Pas là, imbécile ! À ce niveau-là, je suis normale !
Là ! ajouta-t-elle en lissant son buste de ses mains.
Gregor regarda ses mains, se passa la langue sur les lèvres
et regarda encore.
— Là?
Exaspérée, Jacki saisit une des paluches de Gregor et la
plaça sur son buste. Elle pressa la paume de sa main sur son
sein qui remplissait à peine un bonnet A... et un gémissement
parvint à ses oreilles.
— Qu'est-ce qui te prend? grommela-t-elle.
Gregor se força à détacher les yeux de l'endroit où
Jacki avait placé sa main pour contempler son visage. Il
déglutit bruyamment.
— Tu es si douce, coassa-t-il, l'œil vitreux et les joues en
feu.
— Je suis plate !
— Le simple fait de sentir ton mamelon durcir sous ma
main me donne envie de jouir.
— Tu plaisantes ? demanda Jacki en le scrutant d'un œil
méfiant.
Gregor déglutit encore, mais soutint son regard.
— Tu ne voudrais pas m'aider, par hasard ? Je veux dire, il
suffirait que tu me touches... Non. Non, tu as dit que tu
n'étais pas prête, alors j'attendrai.
— Gregor...
Il écarta sa main et quitta le banc en un éclair.
Jacki le regarda s'éloigner à toute allure, stupéfaite.
Mais Gregor n'alla pas bien loin. Il se contenta de garder
le dos tourné, le temps de reprendre sa respiration.
— On ferait mieux d'y aller.
— Je me demande si je ne vais pas me faire opérer des
seins.
Gregor se retourna vers elle si brusquement qu'il faillit
trébucher. Toutes sortes d'émotions passèrent sur son visage
avant de céder la place à une farouche détermination, et il se
retrouva près d'elle plus vite encore qu'il ne s'était éloigné. Il
lui prit les mains et la souleva jusqu'à ce que leurs yeux
soient au même niveau.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Je suis plate comme une planche à repasser, Gregor, ça
m'a toujours complexée. C'est pour ça que je n'ai jamais
couché avec un garçon.
Gregor baissa les yeux vers sa poitrine et ses narines
palpitèrent, puis il la regarda droit dans les yeux.
— Tant mieux. Je suis drôlement content parce que
maintenant que je sais que je serai le premier, je ne supporte
pas l'idée qu'un autre ait pu poser la main sur toi.
Jacki laissa échapper un soupir d'exaspération.
— C'est tellement important, pour toi, d'être le premier,
comme tu dis ?
— Tu n'as pas idée !
— Roger m'a proposé de payer l'opération, dit-elle sans
trop savoir pourquoi.
— Quelle opération ? s'enquit Gregor, visiblement perdu.
— Mon opération des seins.
Gregor la reposa lentement par terre, sans la lâcher pour
autant.
— Il a fait quoi ?
Houlà. Jacki venait de découvrir la différence entre la
simple irritation et la véritable colère chez Gregor.
— Roger est fiancé avec Cam, tu sais.
— De quoi il se mêle ?
— Il m'a dit qu'il savait que ça me complexait. J'imagine
que tout le monde le sait, de toute façon.
— Pas moi.
— En matière de femmes, j'ai l'impression que tu t'y
connais autant qu'un manche de pioche.
— À moins qu'il ne me soit jamais venu à l'idée qu'une
femme aussi belle et désirable que toi puisse être assez bête
pour se prendre la tête avec un détail qui n'a aucune
importance, rétorqua-t-il, manisfestement vexé.
Waouh. C'était la première fois qu'elle l'entendait
prononcer une phrase aussi longue.
— Toujours est-il que Roger m'a dit qu'il voulait être
gentil avec moi pour se rapprocher de Cam. Il m'a proposé de
me présenter un ami à lui qui est chirurgien plastique, et
même de payer l'opération.
— Le fumier ! Je vais le tuer !
— Tu ne vas tuer personne, Gregor.
— C'est ce qu'on verra, répondit-il en la relâchant pour se
diriger vers la voiture.
— Attends ! s'écria Jacki, subitement inquiète.
Gregor ne se retourna même pas.
— Si tu ne veux pas rentrer à pied, tu as intérêt à
ramener tes petites fesses par ici !
Non mais, quel toupet ! Jacki courut jusqu'à la voiture et
se planta devant la portière.
— Je ne te permets pas de...
Gregor la souleva, la déposa derrière lui et ouvrit la
portière.
Il remit les clefs de contact en place et Jacki rampa à
l'intérieur de la voiture.
— Je suis sérieuse, Gregor.
— Moi aussi. Je suis mortellement sérieux. Cet abruti n'a
pas à regarder ton corps ni à faire des commentaires, et il n'a
aucun droit de te conseiller de te faire opérer !
Jacki à demi étendue sur ses genoux, il mit le contact et
démarra.
— Gregor, s'il te plaît, l'implora-t-elle, cédant à une
véritable panique.
Gregor relâcha la pédale d'embrayage et la contempla
longuement sans rien dire.
— S'il te plaît quoi ? demanda-t-il finalement.
Jacki sentit le doute poindre en elle. Gregor n'avait
plus du tout l'air furieux.
— Ta réaction est complètement disproportionnée.
Gregor ne répondit pas.
— S'il te plaît, ne déclenche pas une bagarre avec Roger.
— Qu'est-ce que ça peut te faire que je lui casse la figure ?
J'ai pourtant l'impression que tu ne l'aimes pas tellement.
— C'est vrai. Non, en fait, c'était vrai jusqu'à ce que je
découvre que Cam l'aime vraiment, ce qui change tout.
— Elle te l'a dit?
Gregor paraissait aussi surpris qu'elle.
— Oui. Je sais, c'est difficile à croire, mais c'est comme
ça. J'imagine que Roger a quelque chose que je n'ai pas vu.
— Une peau de serpent ? Des dents de requin ? Quoi
d'autre ?
— Je n'aurais pas dû te parler de sa proposition.
— Au contraire, tu aurais dû m'en parler plus tôt, riposta
Gregor en retrouvant sa fougue.
— Pourquoi? fit Jacki, mutine.
À sa grande surprise, Gregor ne se défila pas. Il prit son
visage entre ses mains et l'embrassa. Un long baiser, humide
et ardent. Jacki se laissa aller contre lui et répondit à ce
baiser de toute son âme. Gregor s'écarta d'elle et frotta le
bout de son nez contre le sien.
— Voilà pourquoi. Parce qu'il se passe quelque chose
entre nous. Quelque chose de fort.
— Tu crois ? s'enquit-elle d'un ton plein d'espoir.
De son côté, Jacki savait déjà qu'elle était à moitié
amoureuse de lui. Peut-être même plus qu'à moitié.
— J'en suis sûr, répliqua-t-il en posant délicatement la
main sur sa poitrine pour la caresser, avant de la
faire asseoir sur son siège d'un air farouchement résolu.
Demain, dans un mois ou dans un an, je serai le premier
homme que tu connaîtras, Jacki. Tu peux en 1 être sûre.
Jacki boucla sa ceinture d'une main tremblante, 1 heureuse
jusqu'au plus profond d'elle-même.
— D'accord.
Cette assurance dissipa entièrement la colère de Gregor.
— Tu ne vas pas te faire opérer des seins, j'espère ? j
— Non. De toute façon, j'avais déjà décidé de ne pas le
faire. Cam se serait sentie encore plus redevable vis-à-vis
de Roger.
— Bon sang, je ne te parle pas d'argent ! Tu...
— De plus, enchaîna-t-elle, j'avais décidé que celui
à qui je ne plairais pas telle que je suis n'aurait : qu'à aller se
faire voir ailleurs. Je resterai comme je suis.
— Alléluia ! s'exclama-t-il avant de la détailler d'un
regard concupiscent, ponctué d'un sifflement admira-tif.
Tu es déjà trop belle telle que tu es.
— Merci. Qu'est-ce que tu as l'intention de faire en \ ce qui
concerne Roger?
Gregor démarra.
— Pour cette fois, je laisserai couler... Mais avant ça, je
lui expliquerai que tu m'appartiens.
— Tu ne lui feras pas mal ?
— Non. Autant donner un coup de pied à un chiot. Je
m'en voudrais de m'abaisser à ça.
— Je préfère ça. J'ai horreur des gens qui règlent leurs
différends à coups de poing.
— Tu as quelque chose contre les combattants ?
demanda-t-il en plissant les yeux.
— Contre les bagarreurs. Mais c'est vrai que je n'ai-
merais pas te voir combattre. À la télé, passe encore, mais
pas en chair et en os !
Gregor rumina un moment.
— Ça peut s'arranger. Mais je préfère te garder à portée
de main. Comme ça, j'aurai plus de chances
d'être dans le coin le jour où tu décideras de faire le grand
saut, ajouta-t-il avec un fin sourire.
Ils éclatèrent de rire, et Jacki réalisa qu'elle était déjà prête.
Il n'y avait plus qu'à attendre le moment idéal pour le lui dire.