23

Du sang coulait sur le bras d'Eve.

— Lorna ?

Celle-ci sursauta et tira un peu plus fort sur les cheveux

d'Eve.

— Dean ? Tu n'es pas à l'hôtel en train de massacrer

Roger?

— Non, je suis là.

— C'est dommage... J'ai jeté le paintball quand j'ai vu que

vous appeliez la police. Je ne sais pas trop comment

fonctionnent toutes ces histoires d'empreintes digitales...

— J'imagine que tes empreintes ne figurent dans aucun

fichier, répliqua-t-il en l'observant attentivement.

— Non, bien sûr.

— Quand il y a un suspect, on prend ses empreintes et on

vérifie si elles figurent dans un fichier de police ou si elles

correspondent à celles qu'on a relevées sur l'arme du crime,

par exemple.

— Oh. Je suppose qu'il faudra que je me débarrasse aussi

de l'échelle, alors. Je n'y avais pas pensé. Je ne suis pas

comme ça, tu comprends. Je ne pense pas comme une

criminelle. En dehors du père de Roger, je n'ai jamais fait de

mal à personne.

— Le père de Roger?

— Grover avait abandonné cette épave dans le caniveau,

devant la maison. Ça faisait très mauvais effet.

Je ne pouvais pas laisser traîner sous les yeux des voisins

cette preuve du passé sordide des deux petites filles dont

j'étais responsable. Je suis certaine que tu comprends.

Dean s'appuya nonchalamment au chambranle de la porte,

prêt à sauter sur Lorna à la première occasion.

— Qu'en as-tu fait ?

— Je l'ai rentré dans la maison, évidemment. Je l'ai fait

dessaouler et je lui ai promis de l'emmener voir ta maman.

J'avais réussi à convaincre cet imbécile qu'elle n'était pas

morte, en définitive.

— Et tu l'as tué ?

— Il s'est tué lui-même en menant une vie dissolue !

— Comment est-il mort, Lorna ?

— Tout s'est déroulé à merveille !

La main qui tenait le couteau se posa sur l'épaule d'Eve et

Lorna gloussa, comme si elle était très fière de son exploit.

— J'ai attendu qu'il fasse nuit et que les filles soient

endormies. Je lui ai donné une bouteille de whisky pour qu'il

se tienne tranquille et je l'ai conduit jusqu'à un lac, en dehors

de la ville.

— Il s'est encore saoulé ?

— C'était un alcoolique. À dire vrai, il était bien plus

cohérent quand il avait bu qu'à jeun. Il était complètement

ivre et je lui ai dit que ta maman se cachait et qu'elle

l'attendait. J'avais l'intention de l'abandonner là, mais nous

étions au bord du lac quand il est tombé et il n'a pas refait

surface. Je ne sais pas s'il s'est cogné la tête ou s'il a perdu

connaissance, ajouta-t-elle avec un haussement d'épaules.

— Tu l'as poussé dans l'eau ?

— Oui. Pour autant que je sache, il y est toujours.

Elle tira soudain les cheveux d'Eve dont la tête bascula en

arrière.

— Pourquoi n'as-tu pas quitté la ville ? Tout aurait été

beaucoup plus simple.

Eve déglutit, et ce petit bruit lui serra le cœur.

Réfléchis, Dean. Il fallait qu'il se calme.

Roger et Gregor avaient certainement prévenu la police

qui risquait d'arriver toutes sirènes hurlantes. Comment

réagirait Lorna ?

Dean s'écarta lentement de la porte.

— Je crois qu'Eve est blessée...

— Une petite coupure de rien du tout. Elle a essayé de me

prendre le couteau des mains.

— Je suis désolée, Dean, murmura Eve. Elle m'a eue par

surprise.

Dean secoua la tête. Si Eve se taisait, Lorna ne penserait

peut-être plus à elle, ni au temps qui passait.

— Cette histoire d'argent est sans importance, tu sais,

Lorna.

— Ah ! Tu es au courant ! dit-elle en levant les yeux vers

lui.

— Roger m'en a parlé.

— Quel ingrat ! cracha-t-elle en secouant la tête. Il m'a

beaucoup déçue.

— C'est sans importance, Lorna. Tu mérites cet argent.

— Tout à fait, approuva-t-elle.

— Moi aussi, j'ai beaucoup d'argent. Plus que Roger,

même, mentit-il. Vous prendre en charge ne me pose aucun

problème. Y compris toi, Lorna.

— Tu ferais cela pour moi ?

— Je te suis tellement redevable ! Tu as pris soin de Cam

et Jacki pendant toutes ces années, tu t'es sacrifiée, Lorna. Il

suffit que tu me donnes ce couteau...

— Impossible ! Je sais que tu ne t'occuperas pas de moi.

Tes parents ne l'ont jamais fait. Ils aimaient Grover, mais

moi, ils me trouvaient pénible. Je les ai entendus le dire. Ils

me trouvaient pénible et collet monté. J'étais une indésirable,

à leurs yeux.

— C'est toi qu'ils avaient désignée pour prendre soin de

leurs enfants, Lorna. Cela prouve bien qu'ils te respectaient

et qu'ils avaient confiance en toi.

— Ah, ah, ah ! s'esclaffa-t-elle avant de le dévisager d'un

regard qui reflétait clairement sa folie. Tu plaisantés ? Ils

m'ont chargée de ce fardeau parce que personne d'autre n'en

aurait voulu !

— Lorna... dit-il en avançant d'un pas prudent. Le couteau

s'éleva. Lorna ne riait plus.

— Si tu avances encore, je la tue. Eve

battit des cils, terrifiée.

— C'est pour elle que tu es venu ici. Si elle disparaît, tu

partiras aussi et tout redeviendra comme avant.

— Je l'emmènerai, promit Dean. Nous partirons ensemble.

— Tu me prends pour une idiote ? rétorqua Lorna en

retroussant les lèvres.

— Non.

Dean perçut soudain un mouvement derrière elle. Simon.

Son cœur se mit à battre plus vite. Eve allait s'en sortir.

Pour que Lorna ne se doute de rien, il concentra son regard

sur les deux femmes.

— Tout va bien, Eve.

— Je sais.

Lorna rit, mais son rire avait perdu de son assurance.

— Elle est blessée, Dean. Elle saigne !

Son nez se plissa.

— Je sens l'odeur de son sang ! Je ne m'en étais pas rendu

compte. Comment peux-tu te complaire dans une boucherie

perpétuelle, Dean ?

— Je n'ai jamais poignardé personne, Lorna.

— Non, mais tu fais saigner tes adversaires. Tu leur

donnes des coups de poing, des coups de pied, tu...

— Avoir un couteau n'est pas une garantie pour prendre le

dessus. On peut faire s'écrouler un homme d'un simple coup

de coude dans le foie. Tu te souviens que je t'avais expliqué

ça l'autre soir, Eve ? demanda-t-il en baissant les yeux vers

elle.

— Oui, répondit-elle en envoyant un violent coup de

coude en arrière - qui atteignit Lorna en plein dans le foie.

Celle-ci écarquilla les yeux, ouvrit la bouche et lâcha les

cheveux d'Eve tandis que Simon la délestait de son couteau.

Muette dans sa douleur, Lorna s'écroula par terre.

En un clin d'œil, Dean souleva Eve dans ses bras et la

serra sur son cœur.

— Dean ? dit-elle en se pelotonnant contre lui.

— Chuuut. Tout va bien.

Il s'approcha de l'évier et s'arrangea pour bander son bras

blessé d'une seule main.

— Merci. Je t'aime, Dean, ajouta-t-elle, la tête calée sous

son menton.

— Moi aussi, je t'aime, murmura-t-il, la gorge nouée par

l'émotion.

Deux mois plus tard, Dean frappa chez Eve. Il se sentait

un peu ridicule avec son pantalon kaki et son polo noir.

D'autant plus ridicule qu'il avait à nouveau le visage couvert

de bleus et qu'il tenait un bouquet de fleurs sauvages à la

main.

Il avait finalement accepté le projet de reportage que lui

avait soumis Simon, et pendant son absence, toutes les

complications s'étaient aplanies.

Le jour de l'arrestation de Lorna, Simon lui avait expliqué

qu'il était allé le rejoindre à l'hôtel pour lui transmettre les

résultats de l'enquête sur Roger qu'il avait enfin reçus. Là,

Cam, Jacki, Gregor et Roger lui avaient expliqué la situation,

et il s'était dépêché d'arriver chez Eve avant la police.

Après avoir été interrogée par la police, qui n'avait pas

réussi à lui tirer un seul mot, Lorna avait été placée dans une

institution spécialisée. Elle était complètement aphasique et

semblait avoir définitivement basculé dans la folie. Les

psychiatres doutaient qu'elle soit capable d'assister à son

procès.

Poussé par Eve, Dean avait donc accepté de suivre Simon

pour reprendre l'entraînement sous l'œil des caméras, et le

jour de son combat à Atlanta, il avait eu la surprise de

découvrir Jacki parmi le public, au premier rang !

Impatient, il frappa à nouveau à la porte.

— Minute papillon ! répondit la voix d'Eve.

Une seconde plus tard, elle ouvrait la porte. Son visage

s'illumina lorsqu'elle le découvrit, mais aussitôt après, son

sourire disparut.

— Dean ! Je ne savais pas que tu étais de retour ! Il lui

tendit le bouquet.

— Il me semble que je te devais bien ça.

— Des fleurs ?

— Tu m'as bien dit que tu aimais les fleurs sauvages,

non?

— Elles sont magnifiques.

— Je te dois aussi plusieurs sorties et je te promets que tu

y auras droit.

— Vraiment ?

Dean entendit des voix chuchoter derrière elle et se

prépara à une grosse déception.

— Tu n'es pas seule ?

— Non. Ma famille est là. Au grand complet !

Les voix se rapprochèrent et Dean vit surgir Crystal, Ted

et Mark, tout sourire, qui s'empressèrent de l'attirer à

l'intérieur

Eve ne put faire autrement que de reculer pour les laisser

passer et annonça en levant son bouquet qu'elle allait mettre

les fleurs dans l'eau.

Ted lui serra vigoureusement la main, et les commentaires

au sujet du reportage et de son dernier match fusèrent

immédiatement. Dean sentit son appréhension s'envoler et

répondit à toutes leurs questions. C'était bon de retrouver la

famille d'Eve.

Quand elle revint dans la pièce, Dean tendit les bras vers

elle pour l'attirer contre lui.

— Je suis désolé, Crystal, déclara-t-il en se tournant vers

elle.

— Désolé? Pourquoi donc? S’étonna-t-elle.

— De ne pas être passé par ton agence pour acheter une

maison à Harmony.

— Tu as acheté une maison ici ? s'exclama-t-elle.

— Oui, tout près d'ici, en fait.

— Une ruine à retaper ? demanda Eve.

— Non, c'est une maison pratiquement neuve. À peu près

deux fois comme la tienne avec un grand jardin. J'en suis très

content, ajouta-t-il en déposant un baiser sur ses lèvres. J'ai

décidé de m'installer ici.

— Tu l'as déjà meublée ? questionna Crystal.

Dean secoua la tête.

— Si Eve accepte de m'épouser, ce sera à elle de choisir

où elle veut vivre, et si nous emménageons chez moi, elle

aura certainement envie de choisir les meubles.

Eve en demeura muette de surprise.

— Si tu te maries avec Eve, intervint Mark, pourquoi as-

tu acheté une autre maison ?

— Pour qu'Eve sache qu'elle a le choix, répliqua-t-il en

effleurant ses lèvres du bout des doigts. Et que moi aussi,

j'avais le choix.

— Tu m'as choisie, moi ? s'enquit Eve avec un sourire

tremblotant.

— Oui. Et j'espère que c'est moi que tu choisiras. Ted

toussota.

— Il est peut-être temps que nous vous laissions...

— Vous ne me dérangez pas, lui assura Dean. Tu

sais que Jacki a décidé de quitter Harmony ? demanda-

t-il à Eve.

Elle secoua la tête.

— Elle va emménager avec Gregor. Gregor m'a juré qu'ils

se marieront dès que Jacki acceptera sa demande, mais Jacki

craint d'empiéter sur sa carrière. Je fais confiance à Gregor

pour la convaincre que ce n'est pas le cas !

— Cam et Roger ont l'intention de rester ici, lui dit Eve.

Mais ils feront un très long voyage de noces, une fois que

tout sera réglé en ce qui concerne Lorna.

— Bon, je crois qu'il est temps que nous partions, déclara

Crystal avec autorité.

Mark et Ted avaient un million de questions à poser, mais

Crystal était une femme efficace et, en moins de deux

minutes, Dean et Eve se retrouvèrent seuls.

— Tu as encore fait fuir ma famille, s'amusa Eve en

s'adossant à la porte d'entrée.

Dean lui prit la main et l'entraîna jusqu'au canapé.

— J'aime bien ta famille.

— Ils t'aiment bien aussi.

Dean s'assit à côté d'elle et recouvrit sa bouche d'un long

baiser qui laissa Eve haletante. Il aurait volontiers prolongé

l'instant, mais ils devaient encore parler.

— Je ne voudrais pas froisser mon pantalon, dit-il en

s'écartant d'elle.

Eve passa la langue sur ses lèvres.

— J'avais remarqué tes efforts vestimentaires.

— C'est vrai ? Alors, comment tu me trouves ?

Faisant mine de réfléchir, elle fit courir ses doigts sur ses

épaules.

— Je t'ai dit un jour que tu étais toujours beau, quelle que

soit ta façon de t'habiller. Tu n'as pas besoin de changer de

style pour me plaire.

— Tu es sûre ? Parce que je peux changer si c'est

important. Enfin, si c'est vraiment très important, je veux

dire.

— C'est absolument sans importance, affirma-t-elle avec

un grand sourire.

— Ouf ! soupira Dean. Heureusement, parce que je n'ai

acheté qu'un seul pantalon !

Eve voulut l'embrasser, mais Dean pencha le buste en

arrière.

— Mais j'ai autre chose à te montrer...

— Quoi donc ?

— Ce n'est pas une bague, si c'est à ça que tu penses. Tu

as très bon goût et je me suis dit qu'il valait mieux te laisser

la choisir.

— On va aller choisir une bague ensemble? demandât-elle

avec un petit sourire mutin.

— Absolument.

Dean cala son dos contre le dossier du canapé et remonta

la manche de son polo pour lui faire admirer son tatouage.

Eve entrouvrit les lèvres.

Dean avait fait ajouter une marguerite aux roses qui

ornaient son biceps. Une marguerite qui donnait l'impression

de pousser en plein soleil.

— Tu m'avais dit que tu voulais des marguerites pour ton

mariage, alors je me suis dit...

Eve se jeta dans ses bras.

— Tu m'as tellement manqué !

Dean la serra contre lui, mais il n'avait pas terminé.

— Je veux que tu saches que c'est pour toi que je suis

revenu, Eve. J'aime mes sœurs et je tiens à ce qu'elles fassent

partie de ma vie. Il se trouve que tu fais partie de leur vie et

que tu habites ici, mais je voudrais t'épouser même si ce

n'était pas le cas. Je voudrais t'épouser même si je n'avais

jamais retrouvé mes sœurs. Et même si...

Eve posa un doigt sur ses lèvres.

— Contente-toi de dire que tu m'aimes.

— Je t'aime.

— Moi aussi, je t'aime, et c'est la seule chose qui compte.

Dean se détendit.

— Qu'est-ce que tu dirais si j'ouvrais un gymnase ici ?

— À Harmony ?

— Oui. Pour rester près de toi. Elle le dévisagea.

— Mais... et les combats?

— J'arrêterai. Au moins pendant un temps.

— C'est dommage. Tu es vraiment doué pour ça.

— Oui, mais je suis aussi doué pour te faire l'amour,

répondit-il en plaquant les mains sur ses fesses.

— Oh, Dean ! s'exclama-t-elle avant de l'embrasser

follement. Je ne veux pas que tu abandonnes les combats à

cause de moi.

— Ne crois jamais ça, d'accord ? Je change d'orientation

parce que ça fait un moment que j'y pense. J'aime trop le

sport pour le laisser complètement tomber, et si on me faisait

une proposition vraiment alléchante, je reviendrais peut-être

sur ma décision. Ça fait partie des possibles. Mais pour le

moment, j'ai envie d'enseigner. Je suis sûr que je ferais un

entraîneur du tonnerre... Dieu sait que Gregor en a besoin,

conclut-il en soupirant. Eve éclata de rire.

— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? demanda-t-il.

— Rien, répliqua-t-elle en passant les bras autour de son

cou. Je me disais juste que ce sera intéressant d'avoir le

Ravageur à Harmony.

— J'espère bien. Parce que je n'ai pas l'intention de

repartir tant que tu seras ici.