Lire la littérature à l'école
Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique de la GS au CM ?
Catherine Tauveron - Hatier pédagogie

Spécificités et enjeux de la lecture littéraire

Apprendre à comprendre et donner le goût de lire: des intentions aux actes

Constat (p 13)

maternelle se mouvoir dans le livre et le monde du livre
reformuler l'intrigue d'un récit
cycle 2 technique qui permet l'identification des mots
on cesse de s'intéresser à la saisie de l'intrigue
cycle 3 on fait lire et on vérifie que le texte a été compris : compréhension fine avec prise d'indices
L'interprétation est réservée au collège

La littérature fait rarement l'objet d'un apprentissage spécifique
On lit, oui, mais comme un documentaire
On vérifie sa compréhension par des questionnaires centrés sur la littéralité (sens strict du texte)
L'attention ne prote pas sur "ce que ça raconte"

Le récit littéraire comme aire de jeu

Le sens d'un texte excède toujours la somme du sens des mots qui le composent.
Une enquête en SEGPA démontre que les élèves en difficulté croient que pour comprendre un texte, il suffit d'identifier les mots et que le sens va jaillir.

Or le lecteur doit pouvoir imaginer une foule de détails qui ne lui sont pas fournis: pas de texte littéraire sans subjectivité.
- Le texte est lacunaire volontairement (ex: roman policier p 16)
- Le texte est ambigu, voire contradictoire
- Le texte a du jeu et le sens du jeu: quand le lecteur ouvre un livre, il commence une partie et doit faire preuve d'initiative.

Les enjeux du jeu littéraire

Cette façon de concevoir la lecture (investissement, conquête) est à la portée du jeune lecteur (p 20) mais nécessite une continuité de la maternelle au collège; d'où l'importance capitale:
- du choix des textes.
- de l'identification des problèmes de compréhension et d'interprétation.

Quels textes pour initier à la culture littéraire ?

Typologie des problèmes de compréhension et d'interprétation

• Problèmes de compréhension imputables aux élèves eux-mêmes
- d'ordre cognitif (p 24)
- d'ordre culturel

• Problèmes de compréhension programmés par le texte
- qui conduisent à une compréhension erronée (exemple)
- qui empêchent une compréhension immédiate (p 27)

• Problèmes d'interprétation programmés par le texte
- à résoudre antérieurement à la compréhension de l'intrigue (p 30) . Le rôle du maître n'est ni d'orienter l'interprétation par ses questions, ni d'accepter un délire interprétatif (ex: un loup trop gourmand)
- à résoudre postérieurement à la compréhension (p 33)

• Problèmes d'onterprétation programmés par le lecteur
Le lecteur problématise le texte lui-même (ex: le cas de la poule dans un loup trop gourmand)

Critères de choix des textes et lecture du maître

• Des textes pour le plaisir de lire
• Des textes résistants
• Préparation: des relectures multiples du maître plutôt qu'un questionnaire

Quelles compétences développer chez les élèves ?

Des savoir-faire ou comportements spécifiques

Expliciter progressivement la règle du jeu (droits et devoirs du lecteur)

Le texte littéraire est incomplet Il demande un effort intellectuel pour rassembler les pièces du puzzle
Le lecteur est un stratège Entre méfiance et adhésion, entre pièges tendus et anticipation
Toutes les interprétations sont à priori possibles Mais la plus acceptable est fortement argumentée par le texte lui-même (justification, relecture)
Lire est une activité de spéculation qui oblige à sortir momentanément du texte pour fouiller dans sa mémoire affective et culturelle Le lecteur est à la fois archéologue et vagabond
Le rôle principal du lecteur est celui de tisserand Mots aux sens multiples; intertexte (avec ambiguïtés, obscurités, incomplétude); intratexte (réseau / personnages / histoires du même auteur) ; bibliothèque personnelle du lecteur (subjectivité, vécu).
La lecture littéraire est une activité symbolique Aller plus loin que l'émotion, opérer une traduction.

Des connaissances sur les textes et plus généralement une culture

Des connaissances sur le fonctionnement éditorial

Un texte s'inscrit dans un espace Le format n'est pas anodin
La page est un espace orienté
L'illustration a une fonction narrative ou pas
La typographie peut être expressive
Un texte s'inscrit dans un ensemble d'autres textes Il est situé à un moment précis du livre
Il peut être tronqué, traduit, adapté, transposé, remodelé
Il peut faire partie d'un recueil
La collection peut correspondre à un genre

Des connaissances sur l'acte d'écrire et le processus de fictionnalisation

Le concept de l'auteur (p 56)

Il est très flou pour les élèves, quel rapport entre l'auteur et l'histoire ?
Il s'agit de percevoir que l'auteur est un créateur, d'éviter la confusion auteur / narrateur

L'acte d'écrire
(p 56 à 62)
Ecrire c'est toujours réécrire (citation explicite ou allusive, variation sur un thème, réécriture, parodie, ...)
Le genre: le texte emprunte tout ou partie des caractéristiques du genre (ex: roman policier) et des sous-genres (noir, enquête criminelle, à suspense)
L'intertextualité: une référence à d'autres oeuvres à l'intérieur d'un texte
La réécriture: réappropriation / imitation / transformation; quelquefois sous forme d'hommage (ex: l'enfant Océan par rapport au Petit Poucet)
La parodie: transformation / déformation avec une intention ironique ou satirique (ex: Les contes à l'envers)
Le pastiche: imitation au plus près d'un style (plus rare en littérature jeunesse)
L'adaptation: reformulation / simplification pour rendre l'oeuvre accessible au plus grand nombre ou d'un lectorat adulte à un lectorat enfant (ex: Le roman de Renard)
La transposition: passage d'un médium à un autre (récit à BD, récit à scénario, récit au théâtre et à la mise en scène) ex : Jumanji
Les variantes: une même trame avec des variations propres au conteur, au contexte (ex: une centaine de variantes de "La Belle et la Bête de Jean Cocteau)
Les variations : point de départ unique et modifications multiples avec une dimension ludique (ex: exercices de style de Raymond Queneau)

Des connaissances sur les stérérotypes culturels

Ex: le thème de l'avare( p66). Le lecteur opère un processus de sélection et d'élagage. Il interprète dans le sens du stéréotype. S'il est ignorant du stéréotype, il ne peut saisir ni les mobiles du personnage ni sa logique comportementale.

Des connaissances sur les mythes et les symboles

La configuration imaginaire Le lecteur s'investit dans son identification au personnage. Lhistoire renvoie à une terreur, une pulsion, un désir (inférioration, abandon, dévoration)
ex: Boucle d'or et les 3 ours, David et Goliath
Le mythe Est un récit connu de toute une communauté culturelle et qui développe une configuration imaginaire porteuse de valeurs
ex: l'engloutissement est illustré par "la baleine de Jonas" ou "le requin de Pinocchio"
Le symbole Est un objet matériel qui participe à la configuration imaginaire et acquiert une sorte d'autonomie culturelle.
ex: le "pouce", caractère indispensable du petit; le "mur" comme obstacle à franchir; "l'épée" comme symbole de justice dans Excalibur.
Le motif. Il reste à l'arrière plan, fait partie du décor mais peut devenir une figure obsessionnelle de l'auteur
ex: le miroir ou l'arbre

Des connaissances sur les techniques narratives

Le récit chronologique, avec un seul narrateur stable, est le plus simple.
L'art littéraire consiste à inventer des modes de narration et des procédés techniques surprenants au service du sens

Le narrateur a une personnalité à la 1ère personne (ou à la 3ème personne qui n'est autre que le premier qui se cache). Quel est son degré d'implication ou de présence, son degré variable de fiabilité ?
Ex p 70: Il va neiger, Anne Brouillard

La construction du personnage

 

Synthèse: J L Despretz, CPC Landivisiau / février 2003