Copie de sauvegarde réalisée par l'association CASAR
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Ouvrage posthume de Jacques BENEVENISTE édité par ses enfants
Jérôme, Laurent et Vincent Benveniste
Jacques Benveniste
en collaboration avec François Cote
Ma vérité sur la " mémoire de l
eau "Préface du professeur Brian D. Josephson
Albin Michel
Table
Avant-propos
...............................................................................................................4Préface, par le professeur Brian D. Josephson
...................................................... 5Introduction ............................................................................................................. 7
1. Itinéraire d
un chercheur gâté .......................................................................102. Être ou ne pas être... publié dans
Nature........................................................ 253. La contre-enquête ...........................................................................................38
4. Les rats quittent le navire................................................................................44
5. Censure scientifique........................................................................................54
6. Le champ des molécules .................................................................................65
7. Le sérum contaminé ....................................................................................... 75
8. La tête sur le billot...........................................................................................83
9. La biologie numérique....................................................................................95
10. Scientistes, intégristes, rigolades et diffamation ........................................104
Conclusion............................................................................................................116
Postface, par Jérôme, Laurent et Vincent Benveniste
...................................................120Avant-propos
Jacques Benveniste a terminé sa route le 3 octobre 2004. À la fin des années
90, notre père avait entrepris la rédaction de cet ouvrage ; il conservait ce manuscrit
à portée de main, l
alimentant régulièrement de ses réflexions et corrections.Il aurait souhaité le faire paraître à une date symbolique, par exemple au
lendemain d
une " monumentale " publication scientifique (pourquoi pas dansNature
?) qui aurait marqué la reconnaissance et lacceptation définitive de sesdécouvertes. Le destin en a décidé autrement ; nous avons résolu de porter ce
texte à la connaissance du public.
Jérôme, Laurent et Vincent Benveniste
5
Préface
par le professeur Brian D. Josephson
1J
ai rencontré Jacques Benveniste pour la première fois lors dun colloqueaux Bermudes, quelques mois avant la parution de son article très controversé,
publié par
Nature en 1988. À lépoque, jétais loin dimaginer la tournure queprendraient les événements. Par la suite, nous sommes restés en contact et Jacques
m
a tenu informé de la progression de ses recherches. En mars 1999, àmon invitation, il est venu donner une conférence à Cambridge dans le cadre
du colloque général du département de physique. Nous l
avions convié à décrireses travaux, conscients de leur intérêt scientifique et des conséquences potentiellement
considérables induites par leurs résultats. Ces derniers ne manquaient
pas de surprendre, mais le laboratoire Cavendish de Cambridge a été le
cadre de nombreuses découvertes étonnantes durant les cent vingt-cinq dernières
années. Malgré la controverse entourant ces travaux, nous avons décidé de
ne pas suivre le troupeau et de ne pas ignorer ou censurer de telles recherches.
Lors de son intervention, le docteur Benveniste a décrit des expériences au
cours desquelles un signal biologique est enregistré sur le disque dur d
un ordinateur,transmis par internet en un autre lieu d
expérimentation où les effetsspécifiques de la molécule source sont alors restitués sur un système biologique.
Benveniste avait apporté du matériel d
expérience et il a reproduit devant nousses plus récentes expériences. Celles-ci se sont avérées aussi probantes que possible,
compte tenu du temps limité dont nous disposions.
Notre laboratoire a filmé la conférence et je projetais de publier cet enregistrement
un jour prochain, lorsque Jacques Benveniste aurait reçu le prix Nobel
" pour l
élucidation des mécanismes biologiques relatifs à la structure del
eau ". Mais cette distinction est décernée aux scientifiques seulement de leur1
Le professeur Brian Josephson est lauréat du prix Nobel de physique 1973 pour ses travaux sur les supraconducteurscouplés, appelé aussi " effet Josephson ". Il fait partie du prestigieux laboratoire Cavendish de
l'université de Cambridge.
6
vivant. C
est bien dommage. Je suis persuadé que la contribution scientifique dudocteur Benveniste sera un jour reconnue à sa juste valeur.
Que nous dit la science sur la possibilité de l
existence de la " mémoire del
eau " ? Les scientifiques qui ne sont pas érudits en matière deau tendent à enavoir une vision naïve : un liquide composé de molécules H
20 plus ou moins isolées,en mouvement. En fait, l
eau est bien plus complexe, avec des moléculesindividuelles s
agglutinant temporairement pour former un réseau. Que cesmolécules puissent interagir de façon à produire un mécanisme permettant la
mémoire de l
eau naurait rien dinconcevable. Les scientifiques bien informésau sujet de l
eau prennent beaucoup plus au sérieux la proposition de mémoireque ceux qui ne le sont pas. En biologie également, les scientifiques bien informés
admettent l
importance de la structure de leau.Enfin, je voudrais souligner les qualités personnelles de Jacques Benveniste,
sa détermination à continuer ses recherches malgré tous les obstacles, et sans
jamais se départir de son sens de l
humour. Ceux qui affectent de croire queBenveniste était condamné au déclin dès lors qu
il saventurait en dehors desdomaines conventionnels où il avait recueilli tant d
approbation et de succès, setrompent totalement.
Professeur Brian D. Josephson
7
Introduction
28 juin 1988 : la revue britannique
Nature, la plus influente des revues scientifiquesgénéralistes au monde (avec sa concurrente américaine
Science), publieun article intitulé : " Dégranulation des basophiles humains par de très hautes
dilutions d
un anti-sérum anti-IgE. " Le titre est parfaitement obscur pour legrand public, pourtant la rédaction en chef de
Nature a pris soin de diffuser cetexte aux grands médias de la planète, comme chaque fois qu
un article importantest publié dans la revue. Dans tous les pays, la presse donne un formidable
écho à cet article et traduit en termes courants le contenu de l
article : leaupourrait conserver un souvenir, une empreinte, de substances qui y ont transité.
Cela représente une véritable révolution scientifique, à la tête de laquelle me
voici bombardé. Quelques semaines plus tard, à la suite d
une " contreenquête" menée dans mon laboratoire par une équipe de
Nature dans desconditions particulièrement choquantes, la revue décide que les résultats de
mes expériences n
ont aucune réalité. Commence alors pour moi un processusde marginalisation qui me conduit de la direction d
une unité de recherches del
Inserm1 comptant plusieurs dizaines de personnes à celle dun laboratoire indépendantpour lequel je dois trouver moi-même les crédits de fonctionnement.
Ce laboratoire est une ancienne annexe en préfabriqué située sur le parking
de l
unité que je dirigeais.21, 22 et 23 janvier 1997 : le quotidien
Le Monde revient sur cette affaire. Troisjours de suite et sur six pleines pages, le journaliste Éric Fottorino retrace ce
" roman-feuilleton chez les scientifiques ". L
enquête, fouillée et honnête, estremarquable. Mais sa lecture provoque chez moi un condensé des impressions
et des émotions, bonnes et, plus souvent, mauvaises, que j
ai ressenties au longde ces huit dernières années. Ce ne sont pas les écrits d
Éric Fottorino qui induisentce malaise, mais les inepties proférées par bon nombre des " scientifiques
" qu
il a interviewés pour les besoins de son enquête et dont il a retranscritles propos. De soi-disant scientifiques et de pseudo-chercheurs donnent gravement
leur avis sur mes travaux relatifs aux hautes dilutions (la mémoire de
1
Institut national de la santé et de la recherche médicale.8
l
eau) sans avoir assisté à mes expériences, ou même sans en avoir lu attentivementles résultats ; certains vont jusqu
à maccuser de fraude scientifique, sansen apporter le moindre commencement de preuve
.J
ai donc estimé quil était temps pour moi de livrer dans le détail ma véritésur le dossier de la mémoire de l
eau, de raconter les manuvres, les coups bas,les lâchetés, les lâchages et les insultes dont j
ai été lobjet depuis dix ans. Je necherche nullement à passer pour une victime ou à régler mes comptes. J
ai vécuquinze ans d
une aventure passionnante ; si je ne souffrais pas du mal de mer, jepourrais la comparer à un tour du monde en solitaire, pour l
excitation permanenteet les frayeurs occasionnelles. Car il faut dans cet exercice être assez lucide
avec soi-même j
aime la compétition dans la recherche, la bagarre scientifique,la baston intellectuelle, dans le respect des règles déontologiques.
" Mort aux cons ! " m
écrit un scientifique de mes amis en quittant avec dégoûtune position très officielle (ce qui ne l
empêche pas de continuer à siéger,sans rire, à l
Académie des sciences). Je suis plutôt daccord avec cette pétitionde principe. Mais, pris et appliqué au pied de la lettre, ce mot d
ordre constitueraitun génocide scientifique. Une telle affirmation traduit-elle mon arrogance,
ma paranoïa ? L
arrêt de tout progrès en physique théorique depuis lesannées 30, le surplace, par-delà les exploits technologiques, de la science en général
et de la biologie en particulier, suffiraient à donner un début de justification
à ce massacre intellectuel programmé. Pourquoi cette léthargie ?
J
esquisserai trois explications.1) Le règne du
Big Science/Big Business/Big Organization.La subordination, en dernier ressort, de la recherche à l
argent date du ProjetManhattan (fabrication de la bombe A) qui a entraîné la mainmise du gouvernement
américain sur la recherche, l
injection de capitaux énormes et lacréation de gigantesques structures économico-scientifiques. Cette prédominance
du business peut expliquer l
accueil réservé aux travaux sur les hautesdilutions, susceptibles de bousculer les grands équilibres de l
industrie pharmaceutique.La liberté de pensée est par ailleurs compromise par les grandes revues
scientifiques qui outrepassent leur nécessaire fonction de diffusion des
connaissances en opérant une censure des idées qui dérangent ou une déstabilisation
de leurs auteurs. Il est vrai que si l
on pouvait compter sur la pressepour faire les révolutions (scientifiques ou autres), ça se saurait.
2) La psychologie de la soumission aux maîtres et aux vérités intangibles
d
une Science triomphante.Il en résulte une sélection par la soumission : pour assurer sa carrière dans
ces grands organismes, il faut au préalable faire allégeance. Les maîtres de la
9
Science (professeurs apparatchiks, lauréats de prix Nobel) ne vivent que par
leurs idées. Plus que leurs recherches ou leurs réalisations concrètes, ces idées
cette idéologie constituent leur substance. Le non-aboutissement des travaux
qu
ils sont censés mener importe peu.3) La réification et l
instrumentalisation de la Science, déesse sécularisée,seul espoir d
une humanité inquiète face aux grands défis en matièred
environnement et de santé.Conséquence : dans un système où la parole médiatisable pèse infiniment
plus que l
obscure action quotidienne, un lauréat Nobel peut impudemment etimpunément affirmer n
importe quoi dans nimporte quel domaine situé auxantipodes de sa spécialité.
Bien au-delà de mes difficultés personnelles, ces facteurs expliquent le Grand
Froid qui a saisi la Science française dans les années qui précédèrent la seconde
guerre mondiale. C
est pourquoi, si jentends parler ici de mon cas (ma carrièrede chercheur a été bloquée par l
affaire de la mémoire de leau), mon proposse doit d
être plus large. Je me suis heurté, et me heurte encore, à des institutionsgardiennes d
une Science officielle hors laquelle il nest point de salut.Mes recherches, et les développements de ces recherches vers des domaines annexes,
sont victimes d
un système dévaluation conçu pour défendre les dogmes,les paradigmes imposés par l
état actuel des connaissances scientifiques. Jem
emploierai donc à décrire et à dénoncer ces procédures de blocage, de censureet de verrouillage, car c
est lavenir de toute la recherche en biologie (etdonc en biomédecine, ce qui peut concerner directement chacun d
entrenous) qui est en cause. Or cette biologie connaît une crise. Elle est patente au
niveau mondial, mais plus prononcée dans notre pays à cause de l
archaïsmedes institutions et du mode de pensée français. Je crois que nous ne pourrons
sortir de cette crise que si nous brisons le carcan de la pensée scientifique unique
(et inique) qui nous régit actuellement.
10
CHAPITRE 1
Itinéraire d
un chercheur gâté" Mon jeune ami, pourquoi voulez-vous que je fasse de la recherche alors que
les Américains s
en chargent très bien ? " Nous sommes en 1965 et cest ungrand patron d
endocrinologie qui énonce benoîtement devant moi ce pointde vue aux allures de catastrophe nationale, assez représentatif de l
état despritdu milieu médical français à l
époque. Pour ma part, jai déjà derrière moi uneexpérience de plus de dix années de médecine hospitalière en tant qu
externepuis interne des Hôpitaux de Paris. A la différence, je crois, de beaucoup de
chercheurs, j
ai " fait le tour " de la médecine classique. Jai connu les servicesde réanimation des cancéreux, les nuits de garde aux urgences à l
époque oùcela signifiait être le seul et unique médecin présent dans tout l
hôpital. Aprèssix ans d
internat, jai limpression davoir tout vu, quaucun cas clinique, aucuneurgence ne peut plus me surprendre.
Certes, le patron en question me propose de me " nommer ". Être " nommé
", cela signifie devenir professeur, empocher un double salaire (chef de service
et enseignant), sans compter les activités de consultation privée. La belle
vie, quoi ! Tout cela parce que j
avais fait preuve dun certain espritd
organisation au milieu du bordel ambiant quest alors (et encore en grandepart aujourd
hui) le fonctionnement technique des services hospitaliers. Lespatrons de médecine hospitalière aiment la médecine, les malades, tout le travail
directement lié au diagnostic et à la thérapeutique. Mais, à de rares exceptions
près, ils sont complètement indifférents à l
organisation de l" entreprise "hôpital. C
est ainsi quà cette époque (le milieu des années 60), je contribue àintroduire à l
Assistance publique (les Hôpitaux de Paris) le système de prescriptionencore en vigueur aujourd
hui. Il apparaît tellement élémentaire quej
en épargnerai au lecteur la description. Mais, par rapport au système " bordelogène" sans doute en vigueur depuis le Moyen Âge, il s
agissait dune véritablerévolution. Pourtant, je n
avais fait quimaginer le principe dune fiche de prescriptionindividuelle en tirant des lignes sur une feuille de carton (quelle audace
!). Il a suffi de deux articles consacrés à cette question dans la presse médicale
pour que je devienne un expert international. J
en ris encore.11
Ma vie professionnelle paraît à son apogée ou au point mort, comme on voudra.
Bref, comme la France de l
époque, je mennuie. Cest sans doute pour cetteraison que je réponds à une annonce relevée dans la salle de garde d
un hôpitalparisien. Un chercheur du CNRS de Villejuif
1 recrute un interne pour" faire de la recherche " en immunologie. Lors de notre première rencontre, je
ne peux m
empêcher de lui demander pourquoi il souhaite embaucher un interne: " Parce que les internes ne brillent pas par leur intelligence, ni par leur
créativité, mais ils sont travailleurs, me répond-il. Quand on a réussi le concours
de l
Internat des Hôpitaux de Paris, cela signifie que lon peut rester des annéesassis sur une chaise à ingurgiter le programme (c
est-à-dire toute la médecine)."
Ainsi prévenu, j
entame mes recherches en immunologie à lInstitut du Cancerdu CNRS de Villejuif, à mi-temps. J
occupe par ailleurs un poste de chef declinique à l
hôpital de lInstitut Gustave-Roussy, sur le même campus. Et assezrapidement, je commets quelques résultats qui auront plus tard les honneurs du
Journal of Immunology
, revue américaine de référence dans son domaine. Je reviendraiplus loin sur l
importance que doit (ou que devrait) revêtir pour toutchercheur le fait de voir le fruit de ses recherches publié au plus haut niveau.
En Mai 68, le mouvement de contestation n
épargne pas les hôpitaux. À Villejuif,cela me donne l
occasion de mengueuler copieusement avec AndréLwoff, homme " de gauche " mais autoritaire s
il en fut, co-lauréat du prix Nobelde médecine 1965, avec François Jacob et Jacques Monod, pour leurs recherches
sur la biologie moléculaire. Une bonne manière d
amorcer une carrièrede chercheur. J
enfonce le clou au début de lannée suivante en adressantau journal
Le Monde une " tribune libre " dans laquelle je mets en causel
organisation mandarinale du système scientifique et médical français2. Publiéepar le quotidien, cette tribune fera quelque bruit. Je n
en resterai pas là et signeraiplusieurs textes critiques sur le même thème.
La même année, je pars pour la Californie. Un poste de chercheur à plein
temps m
a été proposé par la Scripps Clinic and Research Foundation, un centrede recherche médicale de réputation mondiale, installé à La Jolla, une banlieue
chic de San Diego. Dès mon arrivée, je suis surpris par le climat de liberté
qui règne au sein de cette riche fondation. Je suis ainsi témoin d
une scène inimaginableen France. Le patron de la Scripps est Frank Dixon, un des pionniers
de l
immunologie, lun des scientifiques les plus influents des Etats-Unis, amipersonnel du président Nixon. Comme tous ses confrères, il donne régulièrement
des conférences de présentation de ses recherches les plus récentes. Ces
1
Il s'agit de Jean-Claude Salomon, qui voudra bien m'excuser de jeter son nom à la vindicte publique et privée,en tant que responsable de ma présence gênante dans l'appareil de recherche français.
2
" Politique, politique de santé et promotion médicale ", Le Monde, 2 janvier 1969.12
réunions, ouvertes à tous, se déroulent toujours dans une atmosphère détendue.
À l
issue de sa présentation, un jeune thésard qui vient dintégrer le centre,mais est déjà connu comme un petit génie, lève la main. Dixon lui accorde
la parole.
" Monsieur, dit le jeune type, ce que vous venez de raconter est un tissu de
c...
Eh bien, jeune homme, répond Dixon sans s
énerver, vous allez devoirnous le démontrer. "
L
étudiant pose son Coca, sapproche du tableau, vêtu dun short et dun teeshirt.Tout juste revenu de la plage, il a encore les cheveux mouillés. En quelques
minutes, il démontre que les résultats présentés par Dixon sont effectivement
entachés d
erreurs flagrantes. " Vous venez de marquer un point ", lâcheDixon pour seul commentaire.
Il y avait dans l
attitude de ce jeune chercheur un peu de larrogance des universitairesde la côte Est (il sortait d
Harvard), mais il fallait oser. En France, unétudiant qui contesterait publiquement, même avec beaucoup plus de courtoisie,
les travaux d
un mandarin, un lauréat de prix Nobel par exemple, verrait sacarrière brisée net.
À la Scripps Clinic, un certain nombre de thèmes de recherche sont proposés.
L
un dentre eux retient mon attention : il consiste à étudier et à approfondirune observation qui contredit un principe alors dominant de la biologie. Selon
ce paradigme, chaque cellule a sa fonction, un point c
est tout. Ainsi, parmiles composants du sang, certains globules blancs éliminent les bactéries ; d
autresglobules blancs produisent les anticorps ; les globules rouges transportent
l
oxygène ; les plaquettes sanguines permettent la coagulation, etc. Les cellulesde types différents ne sont pas censées " collaborer " les unes avec les autres. Or
une série d
expériences menées dans un laboratoire du groupe de recherchesauquel je suis affecté tend à montrer que la coopération entre globules blancs et
plaquettes sanguines favorise la création de lésions rénales.
Après deux ans de travail sur ce thème, je parviens à isoler chez le lapin un
médiateur, une substance chimique qui passe d
une cellule à une autre en véhiculantdes informations. C
est ce médiateur qui autorise la coopération des globulesblancs et des plaquettes. Je décris le médiateur, la façon de le produire, et
lui donne un nom :
platelet-activating factor (PAF), facteur dactivation des plaquettes1.Et non seulement mes recherches confirment la possibilité d
une collaborationentre des cellules de natures différentes, mais en outre le médiateur que
j
ai isolé est de nature lipidique. Pas de chance, il sagit encore dune (petite)1
La dénomination scientifique complète de ce médiateur est PAF-acether.13
hérésie scientifique : il était admis jusqu
alors que les médiateurs ne pouvaientêtre que des protéines.
En outre, ces travaux permettent de préciser la nature exacte des globules
blancs étudiés (des basophiles, déjà). Cela tend à prouver que des cellules apparemment
" spécialisées " dans le déclenchement d
allergies contribuent à créerdes pathologies inflammatoires, notamment rénales et articulaires
1.En 1972, je publie cette découverte dans le
Journal of Experimental Medicine,l
une des plus prestigieuses revues internationales dans le domaine de la recherchemédicale.
En 1973, quelques mois après mon retour en France, j
intègre lInserm, auniveau plutôt modeste de chargé de recherches. Je suis affecté à l
unité 25, spécialiséeen immunologie et dirigée par le professeur Jean Hamburger. Au regard
de mes titres, de mon expérience et des articles publiés, j
aurais sans doutedû obtenir un poste de maître de recherches, à 5 000 francs par mois au lieu de
3 500. Pourquoi ce traitement de défaveur ? J
ai une petite idée sur la question.Lors de mon séjour à La Jolla, j
ai rencontré un professeur de médecine françaisdu centre Inserm de l
hôpital Saint-Louis à Paris, un des hauts lieux de larecherche médicale française (et l
un de ses principaux centres de pouvoir). Jaipassé quelques heures à expliquer mes travaux au professeur en question et, accessoirement,
à l
écouter dégoiser des vacheries sur bon nombre de ses collèguesfrançais. Quelques semaines plus tard, il m
a proposé de manière fortcondescendante un poste à Saint-Louis. Selon ses propres termes, j
aurais eu àma disposition " un coin de paillasse et pas d
aide technique2 ". Plongé dansl
ambiance américaine, jai naturellement, et naïvement, refusé cette offre. Erreurfatale : au lieu d
accepter et de me prosterner devant tant de magnanimité,je commettais un crime de lèse-mandarin.
Quelque temps plus tard, lorsque je passe le concours d
entrée à lInserm, lemême professeur est membre de la commission chargée d
examiner les dossiersdes postulants. Voilà peut-être une des raisons pour lesquelles je suis nommé
chargé et non maître de recherches. J
ai le sentiment que dès cette période,pour une partie du groupe Inserm de l
hôpital Saint-Louis, je ne suis pas... enodeur de sainteté. Mon affectation à l
unité de Jean Hamburger ne peut arrangerles choses : Hamburger est, à l
époque, lennemi intime et le grand rival deJean Bernard, patron du groupe Inserm de Saint-Louis.
1
Trente ans plus tard, ces découvertes n'ont pas vraiment été intégrées dans le corpus des connaissances enimmuno-pathologie et encore moins en thérapeutique. Il faut dire que la recherche sur les mécanismes qui
créent les maladies a disparu, au profit presque exclusif de la biologie moléculaire. J'en reparlerai plus loin.
2
C'est-à-dire pas de techniciens de laboratoire affectés aux manipulations courantes.14
En 1974, un de mes articles sur le médiateur PAF-acether est publié dans
l
hebdomadaire britannique Nature. Jy explique que le PAF, que jai identifiéchez le lapin lors de mes travaux à La Jolla, est également présent chez l
homme.En 1977,
Nature mouvre à nouveau ses colonnes pour un article dans lequelje précise la structure de ce médiateur.
Ces travaux et publications me permettent de gravir rapidement les échelons
à l
Inserm et de rattraper mon " retard ". Je crée à lintérieur de lunité 25 ungroupe informel baptisé " immuno-pathologie (pathologie : étude des maladies)
de l
allergie et de linflammation ". Traditionnellement, linflammationfait l
objet de peu de recherches en France (alors quil nexiste pas de maladiesans composante inflammatoire). Elle ne serait " pas assez spécifique ", prétendent
certains, qui considèrent en fait que c
est un thème trop médical, tropconcret. Remarque édifiante d
un responsable de lunité à laquelle je suis affecté,à l
hôpital Necker : " Nappelle pas ton groupe "allergie". Cest trivial, ça fait"maladie". Appelle-le plutôt "hypersensibilité immédiate" ou quelque chose
dans ce goût-là. "
Je commence à comprendre. En France, à cette époque, étudier ce qui rend
les gens malades, c
est nul. Même à lInserm. Une rapide étude me confirme lephénomène : pour l
année 1978, la comparaison des intitulés des unités del
Inserm avec les statistiques de morbidité (pourcentage de malades dans la population)et de mortalité en France donne un rapport inversement proportionnel.
On trouve par exemple plus d
une dizaine dunités dont les travaux concernentla transplantation rénale, un problème qui touche " seulement " quelques
milliers d
individus en France. Lallergie quant à elle fait lobjet de très peud
études de recherche fondamentale. Pourtant, elle est déjà à lépoque un problèmemajeur. Par la suite, le développement de l
urbanisation en fera une maladieen progression constante, surtout chez les plus défavorisés. La mortalité
due à l
asthme a plus que doublé durant les quinze dernières années. Le coûtéconomique (traitements, absentéisme) est énorme. À l
heure actuelle, la quasitotalitédes produits actifs est produite par des firmes étrangères. Et il n
y a plusd
unité Inserm dédiée à titre principal à létude de lallergie, depuis la fermeturede l
unité 200 que jai créée en 1980 et dirigée jusquà sa fermeture en 1993.Dès mes débuts à l
Inserm, japplique les méthodes de recherches que jaiobservées à La Jolla. Lorsque des collègues uvrant dans une discipline que je
connais présentent des résultats de recherches, je n
hésite pas à émettre sur cestravaux des critiques, constructives à mon sens, mais souvent mal perçues. Ce
n
est pas du mauvais esprit, ce doit être la règle en matière de recherche.Conséquence : dans le milieu scientifique, le nombre de mes ennemis et de
ceux qui me traitent d
" emmerdeur " ou de " rouleur de mécaniques " progresseavec les années. J
alimente moi-même la tendance, il est vrai, en signant15
dès 1974 dans
Le Monde une tribune libre (encore une) où je dénonce violemmentle scandale des pratiques de la médecine privée au sein de l
hôpital public,qui, depuis, n
a fait que croître et embellir avec le soutien actif de la droiteet résigné de la gauche.
Je suscite par ailleurs une certaine crainte car, en tant que dirigeant de la section
Biologie de la commission de la recherche du Parti socialiste entre 1975 et
1980, je suis considéré par certains collègues comme un possible ministre de la
Recherche ou un directeur de l
Inserm en puissance, si la gauche arrive au pouvoir.Je sais que ce ne sera pas le cas, mais eux ne le savent pas.
Ainsi, un jour de 1978, le professeur Jean Hamburger, grand patron à l
hôpitalNecker et fort influent à l
Inserm, me convoque dans son bureau : " Benveniste,où voulez-vous être nommé ? " me demande-t-il. Je feins de ne pas comprendre
: " Mais, monsieur, je suis déjà nommé... à l
Inserm. "En fait, peut-être pour se débarrasser de moi, il me propose un poste de professeur
agrégé... en province. Cela me permettrait de cumuler un traitement
confortable et des vacations très rémunératrices, et reviendrait à doubler mon
salaire. Je refuse l
offre.Assez paradoxalement, je conserverai de bonnes relations personnelles avec
Hamburger. Nous aurons toujours des discussions assez libres et je ne lui demanderai
jamais aucune faveur, à la différence des courtisans qui, à de rares exceptions
près, constituent son entourage. L
affection amicale quil me porte,conjuguée à mon statut d
épine dans le pied de certains médiocres du lieu, mepermettra quelques mois plus tard de négocier mon départ vers une unité
d
immunologie en création à Clamart.En 1980, je crée dans ces mêmes locaux de Clamart ma propre structure,
l
unité 200 de lInserm, spécialisée dans limmunologie de lallergie et de linflammation.De nouveau, j
ai droit à quelques remarques méprisantes. La plusreprésentative émane d
un chercheur lequel en particulier na jamais rien découvert de l
Institut Pasteur (la Mecque de la recherche française en immunologie)." Le problème avec vous, Benveniste, c
est que vous faites de la recherchemédicale. Nous, ici, nous faisons du fondamentâââl
1. "Mes recherches portant sur le médiateur PAF-acether et sur l
histamine, lunedes substances responsables de l
allergie2, ont abouti en 1979 à la publicationdans les
Comptes rendus de lAcadémie des sciences (CRAS) dun article précisant lastructure du PAF. De toute l
histoire des Comptes rendus de lAcadémie des sciences,cette contribution deviendra l
un des deux articles les plus cités par les revues1
On sait désormais qu'au sein de l'Institut Pasteur, Luc Montagnier a dû faire face à l'hostilité de ce genre decrétins prétentieux dans ses recherches sur le sida tout au long des années 80-90, pour se retrouver finalement à
New York.
2
Les allergiques en connaissent bien l'antidote : les antihistaminiques.16
scientifiques internationales
1. Pas trop mal pour de la recherche bassement" médicale ".
Entre mon retour en France en 1972 et la création de l
unité 200, jai eumaintes fois l
occasion de me heurter aux us et coutumes du milieu de la recherchefrançaise. L
appartenance à une école ou une chapelle scientifique yest quasiment obligatoire, avec tout le système d
allégeances et de renvois dascenseurque cela suppose. Or, dans ce milieu, je suis plutôt considéré comme
un électron libre qui ne s
est jamais placé dans le sillage daucun professeur oumandarin. C
est donc dune part à la reconnaissance de mes travaux (cest-àdireleur publication dans des revues scientifiques de haut niveau), d
autre partà mon appartenance au PS et au pouvoir que l
on my prête (bien à tort, je lerépète) que je dois mon ascension au sein de l
Inserm.Je l
ai dit, les chapelles scientifiques ne sont pas seulement des courants théoriques.Leur influence politique s
exerce par lintermédiaire de centres de pouvoirqui pèsent lourdement sur l
attribution de moyens matériels, laffectationdes chercheurs et le déroulement de leurs carrières. Comme dans n
importequel domaine d
activité, les pouvoirs en place ont une tendance naturelle à vouloirs
y maintenir. À cet effet, ils combattent la constitution de nouveaux pôles,mais aussi toute découverte émanant d
un intrus dans le système ou relevantd
une discipline jugée " inférieure ". Un ami chercheur de lindustrie pharmaceutiquea baptisé ce comportement la " politique de la carabine " :
" Tout le monde est accroupi sous la table, explique-t-il. Dès que l
un des participantsquitte cette position pour exprimer une idée originale ou novatrice,
tous les autres se redressent, lui tirent dessus et replongent à l
abri. "Ne peut-on pas établir un rapport entre ces pratiques et le bilan désastreux
de la recherche française dans le domaine pharmaceutique ? Tenter d
empêcherun concurrent d
émerger, cela peut à la rigueur être considéré comme légitimeen matière économique ou politique ; dans le domaine de la recherche,
c
est nier la raison dêtre du système.La communauté scientifique française s
est donc organisée autour de clivagesthéoriques, politico-géographiques et administratifs. Selon ces clivages et en
fonction de leur humeur, les personnalités au pouvoir classent les chercheurs
ou groupes de chercheurs en : bon/mauvais ; prestigieux/mineur ; orthodoxe/
hérétique ; prometteur/définitivement perdu pour la cause ; doit recevoir
une subvention ou une distinction/peut aller se faire voir.
1
Comme cela ressort de l'article de E. Garfield, " Citation perspective on Jacques Benveniste. Dew process atlast ? ",
Current Contents, 1989, vol. 32, pp. 3-10. Current Contents est une publication américaine qui recense etpublie chaque semaine le nombre de citations des articles scientifiques.
17
Premier clivage, la recherche fondamentale par opposition à la recherche
appliquée. Dans le domaine médico-scientifique et de la biologie, il existe en
France une hostilité de l
establishment scientifique envers tout ce qui concernela recherche appliquée. Avant la guerre, au contraire, la médecine française et
ses grandes écoles prospéraient dans les domaines cliniques. Les laboratoires de
recherche étaient peu nombreux. Par la suite, les mandarins ont compris que
pour garder le pouvoir, il leur fallait faire de la recherche. C
est dans cette voieque se sont engagées deux grandes figures de la médecine française d
aprèsguerre,Jean Hamburger et Jean Bernard.
Mais à partir des années 50-60, la recherche appliquée devient l
objet dunecertaine forme de mépris. C
est de la sous-recherche, cest vulgaire. Cest médical.Les études fondamentales prennent le dessus en termes de prestige et de
crédit(s). Exemple : depuis une trentaine d
années, la biologie se doit dêtre" moléculaire ". Contrairement à ce que l
adjectif pourrait laisser croire, ce quel
on désigne par " biologie moléculaire " consiste à observer non pas les moléculesdes organismes vivants en général, mais exclusivement les molécules des
gènes, c
est-à-dire lADN et lARN. Cette dénomination de " biologie moléculaire" représente en fait un hold-up sémantique sur l
ensemble de la biologie ;il faudrait logiquement parler de " génétique moléculaire ". Il ne suffit donc pas
de faire de la recherche en biologie sur des molécules pour faire partie du
" club " de la génétique moléculaire. Quoi qu
il en soit, il est infiniment plusprestigieux de travailler sur l
ADN (acide désoxyribonucléique) qui entre dansla composition des chromosomes du noyau cellulaire, que sur la cellule ellemême.
Parmi les disciplines qui relèvent de cette biologie moléculaire, c
estl
étude des processus internes au cerveau qui constitue actuellement en Francele fin du fin de la recherche en biologie. Cela explique la prédominance " politique
" de la neurobiologie, même si, après plus de trente ans de recherche, elle
n
a pratiquement apporté aucune réponse aux interrogations sur les fonctionscérébrales, la pensée consciente, et que si peu de progrès ont été réalisés dans le
traitement des maladies du cerveau (psychoses, Alzheimer, sclérose en plaques).
Quand des avancées ont eu lieu en ce domaine, elles ont très rarement découlé
de la recherche fondamentale.
Exemple frappant du mépris dans lequel est tenue la recherche médicale, celui,
déjà cité, du professeur Luc Montagnier. Le découvreur du virus du sida
n
était pas un chercheur en virologie moléculaire (recherche fondamentale,biologie moléculaire), c
est-à-dire celui qui identifie les gènes des virus, maisplutôt un taxonomiste. Il s
attachait à classifier les virus en les étudiant par desprocédés " dépassés " comme la microscopie électronique (recherche médicale
appliquée). De plus, il n
appartenait pas au groupe dominant, celui des troisprix Nobel 1965, Lwoff-Monod-Jacob, et de leurs affidés, condition
sine qua non18
de survie à Pasteur. Quand Montagnier a découvert le virus du sida et l
a annoncéaux instances dirigeantes de l
Institut Pasteur, il a dans un premier tempsété éconduit. Selon un témoin direct, Montagnier et ses résultats ont été rejetés
dans les mêmes termes que ceux qui seront utilisés à mon égard à propos de la
mémoire de l
eau : " Ce nest pas possible. "L
absence de clairvoyance, ou tout simplement douverture desprit, de certainsmandarins de Pasteur a entraîné, pour la recherche sur le sida en général
et pour les équipes françaises en particulier, un retard de plusieurs années. Résultat
: en 1997, sur la douzaine de médicaments administrés aux sidéens dans
le cadre des trithérapies, pas un seul n
est français.Autre distinction, les thèmes nobles et les autres. Au nombre des premiers,
on l
a vu, on compte la neurobiologie, cest-à-dire létude du fonctionnement etdes dysfonctionnements du cerveau et du système nerveux central. Il faut préciser
" central " car l
étude des maladies de la moelle épinière est beaucoupmoins bien considérée. C
est périphérique, médical, donc sans intérêt intellectuel.Autant travailler sur les troubles liés aux règles ou le rhume de cerveau.
Troisième type d
opposition, la région parisienne contre la province. A compétenceségales, il est assez rare qu
un chercheur totalement lié à une région deFrance puisse faire la même carrière et bénéficier des mêmes honneurs et des
mêmes pouvoirs que ses collègues parisiens. Le recensement des découvertes
scientifiques françaises depuis deux siècles pourrait même aboutir au théorème
suivant : les chances de voir une découverte reconnue sont inversement proportionnelles
au carré de la distance qui sépare le chercheur de la place du Panthéon.
C
est en effet dans les Ve et VIe arrondissements de Paris que lon trouveles lieux les plus cotés. Tout d
abord, lÉcole normale supérieure, rue dUlm.Son laboratoire de biologie n
est pas parmi les plus productifs, mais il jouit duprestige de Normale Sup. Rue des Écoles, les professeurs au Collège de France
ne donnent certes que des cours suivis par des auditeurs libres, mais des laboratoires
et des moyens importants sont mis à leur disposition et à celle de leurs
étudiants. Un peu plus à l
ouest, quai Conti, lAcadémie des sciences semploieconsciencieusement à coopter les petits maîtres bien en cour afin de dévaler le
classement des académies nationales, dont elle occupait une des premières places
en compagnie de la Royal Society de Londres au début du XX
e siècle.L
hôpital Saint-Louis, situé rive droite, tire son prestige des succès remportéspar Jean Bernard et par Jean Dausset (prix Nobel de médecine 1980). L
hôpitalest un centre de pouvoir à lui seul, mais aussi une pépinière de chercheurs qui
ont essaimé et constitué un réseau cohérent. Quelques mois avant le déclenchement
de l
affaire de la mémoire de leau, une confidence dun chercheurdont la femme travaille à Saint-Louis me confirmera la puissante influence de
cette institution :
19
" Je ne comprends pas comment tu fais pour survivre avec Saint-Louis contre
toi, m
expliquera-t-il. Ah bon ? J
ai Saint-Louis "contre" moi ? Mais quest-ce que jai pu faire quidéplaise à Saint-Louis ? "
Illustration du pouvoir de ce véritable lobby que représente Saint-Louis : en
1997, la présidente du conseil scientifique de l
Inserm est issue de ce groupe,tout comme le directeur du secteur sciences de la vie (biologie) du CNRS. Inserm
et CNRS sont deux organismes qui distribuent de l
argent et des postes dechercheurs permettant la création d
unités et déquipes de recherche.Il existe encore un autre centre de pouvoir, moins localisé, celui des médecins
hospitalo-universitaires. Au-delà du cursus classique des praticiens, ils ont
obtenu l
agrégation de médecine. Cela leur confère le titre de professeur etleur permet d
exercer à la fois des fonctions hospitalières, des activitésd
enseignement et, dans le cadre dun " troisième " mi-temps, parfois, souvent,trop souvent, de pratiquer la consultation privée. C
est ainsi que la rémunérationmensuelle globale de certains médecins hospitalo-universitaires peut atteindre
150 000 francs
1 ou plus. À titre de comparaison, le salaire mensuel àplein temps d
un directeur de recherche Inserm en fin de carrière atteint aumaximum 30 000 francs
2. Détail important : pour les hospitalo-universitaires quiprétendent en outre à des nominations honorifiques, mieux vaut être rattaché à
un hôpital parisien.
L
Institut Pasteur, rue du Docteur-Roux, sur la rive gauche, est un dinosaurede la recherche en biologie. En très nette perte de vitesse dans les années 60, il
a été sauvé par le prix Nobel de médecine attribué à Lwoff, Monod et Jacob. Le
triumvirat en a profité pour prendre le pouvoir à Pasteur. L
institut, fondationprivée, vit des dons et legs qu
il recueille, mais bénéficie en outre de subventionsde l
Inserm et du CNRS, et de contrats passés avec les laboratoires pharmaceutiques.Du groupe proche des Nobel 1965, un jeune chercheur émergera
: Jean-Pierre Changeux, spécialiste en neurobiologie. Son appartenance à
Pasteur et sa spécialité lui valent fort logiquement d
être élu au Collège deFrance et à l
Académie des sciences. Cela le conduira également à la présidencedu conseil scientifique de l
Inserm et à prendre la succession de Jean Bernard àla tête du comité consultatif national d
éthique en 1992. Lexemple de cumulest caricatural. La boucle est bouclée. Autre illustration : François Gros, également
issu de Pasteur et du groupe Lwoff-Monod-Jacob, sera conseiller à Matignon
pour les questions de biologie à l
arrivée de la gauche au pouvoir, puisdeviendra Secrétaire perpétuel de l
Académie des sciences.1
23 000 euros.2
4 500 euros.20
Dans un vaste jeu de chaises musicales, une cinquantaine d
individus trustentles fonctions de direction de ces institutions. Ils siègent également (et se passent
la rhubarbe et le séné) aux instances dirigeantes de la Fondation pour la recherche
médicale (organisation privée qui recueille des dons privés et redistribue
ces fonds) et bien d
autres comités, conseils et associations caritatives.En 1981, je ne fais pas partie de ces quelques dizaines de hiérarques de la recherche
française et n
en éprouve pas le besoin. En revanche, je compte profiterde mon engagement au PS pour influer sur la politique scientifique des socialistes.
Je n
ai aucun intérêt personnel à en tirer puisque mon unité existe etfonctionne bien, mais j
ai envie dessayer de combattre, avec mes moyens, cequi, à mon sens, paralyse la recherche. Je m
aperçois assez vite que ma positionpolitique au Parti socialiste est encore moins solide que je ne l
imaginais. Pourplusieurs raisons ; d
abord, je nai pas participé aux luttes de pouvoir internesau parti ; ensuite, bien que très proche du Ceres de Jean-Pierre Chevènement,
j
ai défendu des positions intermédiaires et pragmatiques qui nétaient pas toujourstrès appréciées. Pour caricaturer ma position, les rocardiens me prennent
pour un chevènementiste et vice versa. Cela m
était égal, car je nai jamais envisagéde carrière politique. À l
automne 1981, lorsque Jean-Pierre Chevènement,ministre de la Recherche et de la Technologie, me demande, après beaucoup
d
hésitations, de collaborer avec lui, je deviens " consultant extérieur " du ministèrepour les questions de biologie et plus précisément de médicaments. La
fonction suppose quelques après-midi de présence par semaine rue de Grenelle
et peu ou pas de rémunération (à la différence d
un conseiller technique, postequi implique un engagement à plein temps et rémunéré).
Pendant les deux années durant lesquelles j
occupe cette fonction de " MonsieurMédicament " du ministère, je m
emploie à convaincre les firmes pharmaceutiquesfrançaises de combler les vides béants de notre industrie du médicament,
notamment en matière d
inflammation et dallergie. Et, plutôt que de sedisperser en rachetant des maisons de parfums et autres cosmétiques certes lucratifs
pour les actionnaires, je leur suggère de se concentrer sur leur métier :
les médicaments et la recherche. Ce qui me vaut d
être promptement rappelé àl
ordre par un directeur de cabinet du ministère, qui confondait sans doutepharmacie et drugstore. On voit aujourd
hui les résultats.Par ailleurs, je suis plutôt opposé à la politique dite de " mobilité ", un terme
en vogue à l
époque pour désigner le renforcement de la collaboration entre larecherche et l
industrie. Je suis évidemment convaincu de la nécessité dunetransmission des idées entre ces deux secteurs, mais la politique que Chevènement
et les directeurs d
organismes de recherche souhaitent mettre en uvre21
implique également une mobilité des hommes. Or un système d
allers et retoursdes chercheurs et des salariés entre le public et le privé est à mon avis trop
lourd et peu productif. L
exemple du Japon, où la mobilité des hommes est trèsfaible et la circulation des idées très forte, me conforte dans ma position. À
l
époque, nous émergions en outre de quinze années de pensées pompidolienneet giscardienne. Or le mot d
ordre " Enrichissez-vous ! " ne sappliquantguère à la recherche, les organismes sont déjà exsangues et vont encore être saignés
par le monstrueux développement de la structure administrative.
Je m
oppose également à Jean-Pierre Chevènement et à lensemble de sesconseillers sur l
opportunité du grand colloque de la recherche qui doit se teniren 1982. Cette grand-messe a pour objet de consulter les chercheurs sur les réformes
à engager dans le secteur. Elle va entraîner le ralentissement ou l
arrêtde l
activité des laboratoires pendant plusieurs mois et la rédaction dune avalanchede rapports que personne ne lira. La recherche française en ressortira
dans le même état qu
auparavant, sauf pour une mesure dramatique : la fonctionnarisationdes personnels de tous les organismes de recherche dépendants
du ministère. Cette réforme est adoptée sous la pression des syndicats dominés
par le Parti communiste. Le régime précédent, dérogatoire de la fonction publique,
procurait aux chercheurs une stabilité d
emploi largement suffisante.Conséquence de cette mesure et de l
absence de toute " culture dentreprise "dans ces organismes, une bonne partie des chercheurs, désormais nommés à
vie, arrêteront du jour au lendemain de travailler. Je le constaterai moi-même
dans mon laboratoire. Nous n
avons pas fini den payer les conséquences. Lamobilité, objectif déclaré de la réforme, est demeurée à un niveau dérisoire. Les
chercheurs, ligotés par leur statut de fonctionnaires, sont interdits de création
d
entreprise.Même la recherche étrangère en a indirectement pâti : les Anglais et les
Américains rigolent tellement à la simple mention de " chercheurs fonctionnaires
" que leur rendement en est affecté...
Je manifeste enfin mon désaccord avec le ministère quant aux modalités
d
organisation de lanniversaire des vingt ans de lInserm qui aura lieu en 1984.Des professeurs seront acheminés depuis les États-Unis vers Paris en première
classe, et c
est un Américain qui présidera les cérémonies anniversaires duninstitut de recherche français. Sous un gouvernement de gauche ! Il s
agit enfait, pour les chefs de file des différentes coteries qui structurent l
Inserm, de sefaire bien voir de prestigieux scientifiques américains susceptibles de peser sur
l
attribution de futurs prix Nobel à des chercheurs français. Mauvais calcul.En acceptant cette tâche de consultant, j
entendais faire valoir ce qui est àl
époque (et reste encore aujourdhui) mon point de vue sur les carences de larecherche en France. Mon diagnostic peut s
exprimer en une comparaison très22
simple. En 1938, l
armée française aurait dû aligner son mode dorganisationsur celui de l
armée la plus efficace au monde, celle de lAllemagne ; en 1981, larecherche française qui, dans le domaine de la biologie ou des médicaments,
n
a pas produit de découverte importante depuis les années 60, devrait sinspirerdes appareils de recherche américain et britannique quant à leur structure :
des organismes de petite taille, souples, décentralisés, délocalisés et autonomes
par rapport aux lobbies politico-scientifiques. Les structures centrales ne sont
que de gros " machins " inutiles et budgétivores car généreusement pourvus en
postes administratifs. Ces lignes Maginot de la recherche devraient être démantelées.
Qui aura le courage politique de le faire ?
Dès la première année de mes activités de conseiller, je comprends que je ne
serai pas entendu, que je ne parviendrai pas à bousculer les institutions de la
recherche, ni à faire évoluer un tant soit peu les murs féodales du milieu. Je
m
attaque à trop forte partie et ma position au sein du PS est trop isolée. Desurcroît, dans le choix de leurs conseillers scientifiques, le président de la République
et les ministres semblent se ficher royalement du PS et s
alignent surles équilibres figés de l
establishment scientifique. Ainsi, lorsquil sera questionde réformer les sociétés savantes (associations de chercheurs regroupés selon
leur spécialité : société française d
immunologie, etc.), une enquête seraconfiée à... Jean Bernard, le mandarin des mandarins. C
est dire que rien nabougé et que rien ne bougera.
En exagérant à peine, je pourrais conclure que l
une des rares mesuresconcrètes que je réussirai à faire adopter est... ma propre nomination au conseil
scientifique de l
Inserm, la plus haute instance collective de linstitut. Certainsde ses membres sont en effet désignés par le ministère à partir d
une liste surlaquelle j
inscris tout simplement mon nom. Les autres membres sont élus parles chercheurs. Ayant toujours refusé de participer aux jeux de pouvoir qui caractérisent
le fonctionnement de l
Inserm, je naurais jamais pu accéder auconseil par la voie élective. Personne n
aurait voté pour moi.Dès ma nomination au conseil scientifique, je démissionne de mes fonctions
de consultant du gouvernement et j
ai pendant quatre ans le petit plaisir de fairepartie de cette haute instance dans laquelle l
establishment scientifique admetdifficilement ma présence. Par la suite, une anecdote me confirmera à quel
point les individus placés aux commandes de la communauté scientifique ont
intégré les pratiques de dosage des nominations. Sans que je demande rien, le
conseil scientifique me nomme représentant de l
Institut au CSCRT (Conseilsupérieur consultatif de la recherche et de la technologie). Or, alors que j
étaisencore conseiller du ministère, j
avais contribué à définir les critères de compositionde ce conseil, qui réunit quarante représentants du monde de la recherche
et de l
industrie. Le CSCRT a pour vocation de remplacer ce que lon appe-23
lait le conseil des sages de la défunte Délégation générale à la recherche scientifique
et technique. J
avais préalablement fait valoir que ce conseil, groupe restreintde sept ou neuf personnes, remplissait parfaitement son rôle d
animation,mais mon avis n
avait pas été pris en compte.Le fait de siéger au conseil scientifique de l
Inserm me donne loccasiond
apporter à cet organe mes connaissances des rouages administratifs acquiseslors de mon passage au ministère. Il me permet aussi de participer aux débats
sur les nominations aux postes à responsabilité et de pousser quelques coups de
gueule.
Le bilan de cette période pendant laquelle j
ai très marginalement conseillédeux ministres de la Recherche (Chevènement puis, dans une moindre mesure,
Laurent Fabius) est donc plutôt maigre : ma propre nomination au conseil
scientifique de l
Inserm et quelques coups de pouce à des chercheurs talentueux,gênés dans leur carrière par une trop grande indépendance d
esprit ouun " mauvais choix " de leur thème de recherche (en clair : un thème ne comportant
pas de biologie moléculaire). J
ai un jour mis en balance ma démissionpour éviter le pire à un chercheur de l
hôpital Bichat qui avait le malheur detravailler sur les neutrophiles (globules blancs du sang qui constituent la piétaille
peu glorieuse de la lutte contre les infections). Une fois les turbulences de
la polémique sur la mémoire de l
eau venues, il se rangera du côté de mes détracteurs...J
ai par ailleurs gardé de bonnes relations personnelles avec certains de cesministres de gauche. Ils me croient certainement honnête, un peu naïf. Ils
m
écoutent parfois, mais ne prennent aucunement en compte mon point devue. Je ne pense pas que Jean-Pierre Chevènement me tienne rigueur de mon
opposition constante à tout ce qui pouvait ôter ses chances à la recherche française.
Depuis, il a peut-être mesuré l
ampleur de léchec, et à quel point il étaitillusoire de demander aux chercheurs installés dans le système de le réformer à
l
occasion dassemblées générales dignes de Mai 68. Lidée des états générauxde la Recherche était bonne en soi. Il y manquait " seulement " le tiers état.
Dès avant l
arrivée de la gauche au pouvoir, je ne métais pas privé dexprimerma position sur la politique scientifique des socialistes. En 1977, lors d
uncolloque intitulé " Science et pouvoir ", j
avais " agressé " le premier secrétairedu PS, François Mitterrand, en l
interpellant sur son groupe dexperts quicourt-circuitaient (déjà) le parti. La suite a montré à quel point j
avais tortd
avoir raison. Rapporteur à ce colloque, javais osé émettre lhypothèse selonlaquelle, du point de vue du citoyen de base, il n
y aurait guère de différenceentre intellectuels de gauche et de droite. Dans les deux cas, la prise de pouvoir
24
sur les choses et les personnes relèverait du même principe : elle s
effectueraitdu haut vers le bas. En énonçant ce constat (cette prédiction) pessimiste, j
avaisdéclenché la fureur de certains de mes amis, surtout ceux qui, appelés plus tard
à de hautes fonctions, allaient essentiellement faire le jeu des lobbies hâtivement
repeints en rose...
25
CHAPITRE 2
Être ou ne pas être... publié dans
NatureAu début des années 80, l
unité 200 de lInserm (U 200) que je dirige compteplus d
une vingtaine de personnes (ce nombre sélèvera jusquà cinquante auplus fort de l
activité de lunité). Nous sommes installés à Clamart, près de lhôpitalAntoine-Béclère. L
un de nos axes de recherche consiste à observer lecomportement des cellules responsables de l
allergie, notamment un type deglobules blancs du sang appelé (polynucléaires) basophiles
1.Les basophiles sont sensibles à certains antigènes auxquels le patient est allergique
(pollens, poussière, blanc d
uf, que lon dénomme allergènes) et invitro (en éprouvette) à des anticorps comme l
anti-immunoglobuline E (anti-IgE), en présence de laquelle ils libèrent différentes substances, dont les granules.
On dit alors que les cellules " dégranulent ". Dans nos travaux, nous pratiquons
fréquemment un test que j
ai mis au point entre 1970 et 1975 et qui a étéutilisé par la suite et jusqu
à aujourdhui par un certain nombre de laboratoiresd
analyse clinique et de recherche fondamentale dans le monde2. Il se déroulede la façon suivante : on fait agir de l
anti-IgE (un anticorps) sur un échantillonde sang humain dont la concentration en basophiles a été préalablement mesurée.
Après dix à quinze minutes, l
expérimentateur ajoute à léchantillon unmélange d
alcool et dun colorant appelé bleu de toluidine. Leffet est double :l
alcool tue les basophiles et fige définitivement leur état ; le bleu de toluidinecolore les basophiles ou plus exactement leurs granules. Ceux des basophiles
qui ont été activés, ayant perdu leurs granules, ne fixent pas le colorant. A
l
issue de la manipulation, lexpérimentateur compte au microscope la quantitéde basophiles colorés, qui sont visibles, et en déduit le nombre de ceux, invisibles,
qui ont été activés. Ce procédé est appelé " test de dégranulation des basophiles
".
1
Ce qui signifie : dont les granules des sortes de grains intracellulaires réagissent aux colorants basiques(alcalins) ; par opposition aux éosinophiles qui " prennent " les colorants acides et aux neutrophiles qui se colorent
mal.
2
Ce test a fait l'objet du brevet Inserm n° 75-20-273, déposé en juin 1975 : " Procédé et composition métachromatiquepour la numération des leucocytes et plus particulièrement des basophiles. "
26
Les basophiles activés libèrent également de l
histamine. Par un mécanismede rétroaction très courant en biologie, cette substance inhibe le processus de
dégranulation provoqué par l
anti-IgE. Si lon procède à un apport extérieurd
histamine, on peut donc inhiber volontairement la réaction de dégranulationet vérifier que l
expérience fonctionne bien " dans les deux sens ".À cette même époque (1980), l
unité 200 accueille régulièrement des étudiants,dont Bernard Poitevin qui prépare une thèse en biologie sur le médiateur
PAF-acether. En 1981-82, il me fait part de son souhait de réaliser des expériences
à partir de produits à " hautes dilutions ". Parallèlement à ses activités
de chercheur, Poitevin est médecin homéopathe et il désire étudier par des expériences
in vitro les effets de ces très faibles doses de principes actifs qui se situent
en dessous du seuil d
efficacité généralement admis. Lhoméopathie estun univers auquel je suis totalement étranger et je me souviens parfaitement de
ma première réaction : " Essaie si tu veux. Mais ça ne donnera rien, les hautes
dilutions, c
est de leau. "Je n
ai à ce moment-là aucune raison de croire en la possibilité dune activitébiologique de type moléculaire en l
absence de molécules.Pourtant, à l
occasion de ses premières expériences sur des produits à hautesdilutions, Poitevin obtient quelques résultats troublants. Ma curiosité s
en trouvepiquée. D
autant que dautres chercheurs de lunité, Élisabeth Davenas, jeuneétudiante en sciences, et Francis Beauvais, médecin-chercheur, constatent
eux aussi des réactions surprenantes. Au fur et à mesure qu
ils diluent une solutioncontenant de l
anti-IgE, les effets de lanticorps sur les globules blancs basophilescommencent par diminuer puis, au-delà d
un certain seuil de dilution(la neuvième dilution décimale), ils reprennent de façon inexplicable. À ce niveau
de dilution, un principe actif n
est plus censé agir à cause du faible nombrede molécules encore présentes.
Pour comprendre ce que sont les hautes dilutions, il faut imaginer le dispositif
: le technicien introduit une dose de principe actif (par exemple l
anti-IgE)dans un tube à essais (appelons-le tube numéro 1) contenant de l
eau désionisée,c
est-à-dire purifiée des sels quelle contient. Pour obtenir la première dilutiondite " décimale ", il prélève à l
aide dune pipette neuve 1/10 (par exempleune goutte) de la solution d
anti-IgE dans le tube numéro 1, qui est ensuite jeté.Le prélèvement est déposé dans un nouveau tube, numéro 2, qui contient 9/10
(neuf gouttes) d
eau désionisée. La pipette de prélèvement est jetée et le tubenuméro 2 est violemment agité pendant quinze secondes (pas cinq, ni dix) au
moyen d
un appareil électrique appelé vortex. Pour obtenir la deuxième dilutiondécimale, l
expérimentateur réitère la manuvre : à laide dune nouvellepipette, il prélève une goutte dans le tube numéro 2 et la transfère dans le tube
numéro 3 qui contient neuf gouttes d
eau désionisée, etc. Pour chaque opéra-27
tion de dilution, le technicien utilise donc une nouvelle pipette jetable et un
tube neuf d
eau désionisée. Jinsiste sur ce fait : les tubes utilisés à chaque staden
ont jamais contenu la moindre molécule dun principe actif quelconque.Nous verrons plus loin que cette précision n
est pas triviale.C
est en faisant réagir des basophiles humains au liquide obtenu par la neuvièmedilution (1/1 000 000 000
e de la dose utilisée pour un test de biologieclassique) que mes deux collaborateurs constatent une reprise d
activité.Comme il est de coutume lorsqu
un résultat aussi déroutant est relevé, ÉlisabethDavenas et Francis Beauvais reprennent les expériences en s
efforçantd
éliminer les risques derreur, dailleurs peu nombreux vu la simplicité de laprocédure. Ils effectuent également des expériences " en aveugle " réalisées
grâce à un " codage " des tubes. Une personne ne participant pas à l
expérienceattribue un numéro différent à dix tubes et garde cette numérotation secrète.
Un seul tube contient le produit hautement dilué et les neuf autres de l
eau désioniséeou des réactifs qui ne provoquent en principe aucun effet de dégranulation.
Dans le jargon des laboratoires, on appelle ces tubes témoins des
" contrôles ". Pour que le lecteur comprenne l
importance de ces contrôles, onpeut dire qu
ils sont léquivalent des placebos pour les tests de médicaments surl
être humain. Lors des expériences en aveugle, les chercheurs testent donc lescontenus des dix tubes sans connaître leur nature et notent les résultats. La
numérotation codée des tubes est ensuite dévoilée. Ces expériences en aveugle
doivent confirmer les expériences " en ouvert " : le contenu du tube supposé
actif doit provoquer la réaction recherchée, les solutions des tubes contrôles
sont censées rester sans effet.
À l
issue des vérifications ainsi effectuées par léquipe, les expériences enaveugle corroborent bel et bien les observations réalisées en ouvert.
Ma première interprétation de ces résultats fait appel aux règles de la biologie
classique : il existerait des allergènes plus puissants qui se disperseraient à
plus haute dilution que les autres ; et/ou des basophiles réagissant aux fortes
doses de réactif et d
autres sensibles à de très faibles doses. Les secondes" prendraient le relais " des premières, ce qui expliquerait une remontée de la
courbe d
activité, cette " deuxième courbe ", comme nous lappelons alors.Mais nous constatons au fil des dilutions une " troisième " puis une " quatrième
" courbe. Les pics et chutes d
activité alternent dans certaines expériencesjusqu
à la cent vingtième dilution décimale (1 x 10-120)1. Pourtant, si lon raisonneen termes statistiques, au-delà de la quinzième ou de la dix-huitième dilution
décimale (10
-15 ou 10-18), soit les solutions correspondantes ne contiennentpas assez de molécules d
anti-IgE pour obtenir une réaction, soit elles ne renfermentplus aucune
molécule de lanticorps.1
C'est-à-dire une dilution par un chiffre de 1 suivi de 120 zéros.28
Entre-temps, Bernard Poitevin m
a mis en rapport avec le docteur MichelAubin, directeur scientifique des Laboratoires homéopathiques de France
(LHF). Aubin me propose d
effectuer sous contrat avec LHF un programme derecherche étudiant les effets de médicaments homéopathiques, qui sont par définition
composés de substances à haute dilution, sur le processus de dégranulation
des basophiles.
Dès cette période (1984-85), lors de congrès et dans des articles, seul et en
collaboration avec Bernard Poitevin, je commence à faire état de ces résultats
qui posent problème au regard des fondements de la biologie traditionnelle,
selon lesquels il ne peut exister d
activité biologique hors la présence de moléculesdu principe actif. Je présente notamment aux participants d
une tableronde organisée par une revue médicale les travaux réalisés sur les effets d
inhibitionde la dégranulation des basophiles provoqués par de hautes dilutions
d
Apis mellifica, produit obtenu à partir de labeille écrasée. Lévocation de cettesubstance fait souvent sourire les profanes, les sceptiques et un certain nombre
de malveillants imbéciles. Pourtant, son action allergique découle du simple fait
qu
elle contient plusieurs substances couramment utilisées en pharmacologieclassique, dont l
histamine et la mellitine. Cela nest guère différent de certainsextraits de plantes, très actifs voire mortels.
Différents journaux et revues se font l
écho de ces résultats, ce qui provoqueun début de polémique. Il va de soi que le milieu de l
homéopathie réagit trèsfavorablement à ces nouveautés. Car ses tenants n
ont jamais réussi à prouver nià expliquer les effets des très faibles doses de médicaments. Dans les milieux
médicaux et scientifiques, ils font figure au mieux de doux rêveurs, au pire de
charlatans. L
intérêt des homéopathes pour ces recherches sur les hautes dilutionsest d
autant plus fort quelles émanent dune unité Inserm, que je suis unscientifique reconnu et, cerise sur le gâteau, étranger à leur cercle. Les laboratoires
Boiron
1, avec lesquels jai également été mis en contact par Bernard Poitevin,me proposent une collaboration. La signature de contrats annuels avec
Boiron, auxquels s
ajoute la rémunération par cette entreprise de chercheurs ettechniciens travaillant dans mon laboratoire, me permet de poursuivre et de
développer mes recherches. Je précise qu
il sagit là dune procédure normaleet très courante, encouragée depuis 1981 par la direction de l
Inserm. Lescontrats passés avec Boiron et LHF, comme tous ceux, très nombreux, que mon
unité a conclus avec l
industrie pharmaceutique, ont tous été cosignés par ladministrationde l
Inserm.À l
inverse, des médecins hostiles à lhoméopathie, comme le rhumatologueMarcel-Francis Kahn, enragent de me voir collaborer avec l
" ennemi ". En mars1
Après avoir racheté les Laboratoires homéopathiques de France en 1988, Boiron deviendra le plus importantfabricant de médicaments homéopathiques français.
29
1985, je participe à l
émission de TF1 " Droit de réponse " consacrée aux médecinesparallèles. Alors que je me borne à présenter les résultats inexplicables des
expériences sur les hautes dilutions, Marcel-Francis Kahn me prend à partie
avec une virulence qui m
étonne de la part dun ami de longue date, anciencollègue d
internat. Elle ne métonne plus, maintenant que je sais quil ne sagitpas d
un débat scientifique mais dune guerre de religion. Pendant la Saint-Barthélemy, les cousins s
étripaient bien au nom de leur ectoplasme respectif,alors...
Quant à mon état d
esprit à cette période, il est assez bien résumé par despropos recueillis par
Le Monde : " Jassume totalement ces résultats. Il ne sagitsurtout pas d
en tirer des conclusions quant à lefficacité thérapeutique de cesdifférents produits. Un effet biologique a été trouvé. Ni plus, ni moins
1. "Au printemps 1986, je fais parvenir à la revue britannique
Nature un articlecosigné par Bernard Poitevin, les autres chercheurs de Clamart et moi-même,
dans lequel nous exposons les résultats de nos recherches sur les hautes dilutions.
Sans entrer dans le détail, le principe des expériences relatées dans
l
article est le suivant : nous mélangeons une dose dhistamine à de leau, puisnous diluons cette solution selon le processus de dilution décimale, jusqu
à unezone de dilution dans laquelle les tubes à essais ne peuvent plus contenir de molécules
d
origine du réactif. Nous introduisons ensuite ces hautes dilutionsd
histamine dans des tubes contenant des globules blancs basophiles, puis nousajoutons des doses classiques (on les appelle aussi " pondérales ") d
anti-IgE,destinées à déclencher la dégranulation des basophiles. Nous pouvons constater
que l
histamine à haute dilution inhibe la dégranulation des basophiles. Or,compte tenu de l
absence théorique de molécules dhistamine dans les hautesdilutions, cet effet ne devrait pas exister.
La réaction de John Maddox, le rédacteur en chef de
Nature, est négative.Mais comme il ne peut refuser brutalement et catégoriquement l
article dungroupe dont le responsable a déjà publié quatre papiers importants dans sa revue,
il multiplie les atermoiements.
À plusieurs reprises, les éditeurs de
Nature me transmettent les remarquesformulées par leurs
referees (littéralement des " arbitres ", en fait des consultantsscientifiques-relecteurs dont les auteurs des articles ne connaissent pas
l
identité). Je réponds patiemment à toutes les observations et fournis les précisionsqui me sont demandées. Certes, je commence à me demander sérieusement
si ces tergiversations ne sont pas des échappatoires. Mais je joue le jeu car
il est fréquent que plusieurs mois, parfois un an, s
écoulent entre la présentationd
un article à une revue et sa publication. Mon record personnel est de1
Voir Le Monde, 6 mars 1985.30
trois ans d
attente, pour une contribution proposée au Journal of Clinical Investigationdans les années 70.
Pourquoi cet acharnement à faire publier des résultats d
expériences dansune revue, aussi influente soit-elle ? se demandera le lecteur peu informé des us
et coutumes de la communauté scientifique. Il s
étonnera également de me voirénumérer dans le détail les articles que j
ai signés, leurs thèmes et la renomméeplus ou moins forte des revues. Il ne s
agit point là dune marque de vanité.Pour un chercheur, la publication des travaux dans les revues scientifiques de
haut niveau est la
seule reconnaissance qui vaille, le seul moyen de porter à laconnaissance d
autres chercheurs létat davancement de ses recherches, deconfronter ses résultats à ceux d
autres équipes. À ce sujet, les universitaires britanniquesont, non sans humour, inventé l
adage suivant : " publier ou périr "(
publish or perish). Pour filer la métaphore musicale, on pourrait également direqu
un chanteur classique, sil veut être reconnu, doit se produire à la Scala deMilan ou au Metropolitan de New York plutôt qu
à lAlcazar de Rodez.Tandis que les discussions se prolongent avec
Nature, nous réalisons des dizainesde nouvelles expériences sur les hautes dilutions. Mais le principe des observations
évolue. Elles sont désormais axées sur l
activation de la réaction dedégranulation des globules blancs par de hautes dilutions d
anti-IgE et non plussur l
inhibition de la dégranulation par de hautes dilutions dhistamine. Celaprésente l
avantage de supprimer une étape expérimentale (celle de lactivationdu processus par de l
anti-IgE à dose classique), ainsi que les multiples réactions" contrôles " correspondant à cette étape, et autant de risques d
erreurs. Nousrenforçons par ailleurs la détection des causes d
artefact, cest-à-dire les résultatsobtenus par un accident opératoire ou un biais méthodologique. Dans cet objectif,
nous vérifions que les hautes dilutions d
anti-IgE ne contiennent plus aucunemolécule de principe actif, grâce à des membranes filtrantes qui retiennent
les molécules au-delà d
une certaine taille, inférieure à celle des moléculesd
anti-IgE. Nous prêtons une attention renforcée aux effets produits sur les basophilespar les solutions contrôles. Il en existe deux types : l
eau désionisée témoinet des solutions d
anti-IgG, réactif voisin de lanti-IgE mais qui ne provoquepas de dégranulation des basophiles. Les nouvelles expériences produisent
des résultats identiques à ceux des précédentes : ni l
eau désionisée témoin, niles solutions d
anti-IgG hautement diluées et agitées ne produisent deffet surles basophiles, quel que soit le niveau de dilution.
Nous constatons par ailleurs que l
activité des solutions dhistamine et danti-IgE à haute dilution est supprimée par une exposition aux ultrasons. Ce n
estpas le cas pour les solutions contenant des molécules de ces principes actifs (doses
pondérales).
31
Cela tend donc à prouver que l
activité spécifique des substances à haute dilutionrepose sur un principe différent de celui des doses classiques. Une autre
manipulation confirme cette spécificité : lorsque les solutions d
histamine hautementdiluée sont portées à une température de 70
°C pendant une heure, leuractivité est supprimée, tandis que les solutions à doses pondérales demeurent
actives
1.John Maddox, auquel j
ai fait parvenir une nouvelle version de notre articlequi prend en compte les expériences d
activation (et non plus dinhibition) dela dégranulation, me fait savoir qu
il ne pourra être accepté quà la conditionque les expériences aient été préalablement reproduites par un autre laboratoire
que le mien. Cela constitue une extraordinaire entorse, une exorbitante
exception aux usages en vigueur dans le milieu scientifique. Lorsqu
un articleest soumis pour publication à une revue scientifique, les lectures et demandes
de précisions effectuées par les
referees suffisent à la rédaction en chef ou au comitéde rédaction pour décider si l
article peut ou non être publié. Cest unerègle absolue. Malgré cela, j
accepte les conditions posées par Nature et, pour lesbesoins de la publication, je demande à trois laboratoires, situés en Italie, au
Canada et en Israël, de reproduire les expériences menées à Clamart. Les chercheurs
s
exécutent rapidement. À Milan, lun de mes anciens étudiants pratiquela dégranulation des basophiles en routine. Quelques jours lui suffisent pour
obtenir à haute dilution des courbes démonstratives. Les chercheurs de Toronto
et de Tel-Aviv viennent à Clamart s
initier à la méthode et, avec plus oumoins de difficultés, ils parviennent finalement à des résultats significatifs. Un
autre laboratoire implanté à Marseille me communique des résultats très positifs.
Le " grand patron " d
allergologie qui le dirige passera sous la table aupremier coup de vent. Beaucoup plus tard, j
apprendrai que, sans que je sois aucourant, un laboratoire situé dans l
est de la France a obtenu des résultats plutôtmeilleurs que les nôtres. Le responsable de ce labo, pourtant très médiatisé,
n
en fera état quen janvier 1989, en petit comité et dans lindifférence générale.Sans commentaire.
En avril 1988, après de nouvelles lectures par des
referees, Nature se décide finalementà accepter le principe de la publication de l
article.Entre-temps, tandis que
Nature tergiverse, jai publié en compagnied
Élisabeth Davenas et Bernard Poitevin deux articles sur les hautes dilutionsdans le
European Journal of Pharmacology (lune des deux meilleures revues de1
Les hautes dilutions d'anti-IgE perdent également leur activité en cas de chauffage prolongé à 70°. Mais l'observationn'a pas la même portée puisque les doses pondérales du même produit sont elles aussi sensibles au
chauffage.
32
pharmacologie au monde) et le
British Journal of Clinical Pharmacology. Ces articlesde 1987 et 1988 n
ont été ni contestés ni contredits. Pourtant, le premierdépasse de beaucoup le cadre des expérimentations in vitro puisqu
il rapportedes expériences en aveugle effectuées sur des souris auxquelles nous avons fait
ingérer de hautes dilutions de silice. Après sacrifice des souris et prélèvement de
globules blancs macrophages, nous avons constaté qu
après activation les macrophagesdes souris ayant absorbé les hautes dilutions de silice libéraient de
plus grandes quantités de PAF-acether que ceux des autres animaux. Ces travaux
réalisés en aveugle ont été traités par ces deux revues selon les règles habituelles
de la déontologie académique. Leurs éditeurs ont respecté un des principes
fondateurs de la démarche expérimentale : un résultat est un résultat et ne
doit être jugé qu
en tant que tel. Les critères de jugement ne doivent pas varierselon les répercussions potentielles de ce résultat. N
étant pas un adepte de lamédiatisation à tous crins, à l
inverse de beaucoup de mes collègues qui annoncentdepuis vingt ans dans la grande presse des progrès décisifs " à venir " ou
" imminents " dans la lutte contre le cancer ou d
autres maladies, je norganiseaucun battage autour de ces articles officialisés par des revues à comité de lecture.
À la fin du mois de mai 1988 se tient à Strasbourg un congrès d
homéopathiedevant lequel je présente les travaux sur la dégranulation des globules blancs
basophiles par de très hautes dilutions d
anti-IgE. " Tout se passe comme si, disjeen conclusion, l
eau se souvenait davoir vu la molécule. "Ai-je employé les termes " mémoire de l
eau " ? Je ne men souviens pas. Desjournalistes, dont Jean-Yves Nau du
Monde, assistent à ma conférence et en rendentcompte dans leurs journaux. C
est sous la plume de lun dentre eux queviendra pour la première fois l
expression " mémoire de leau ". Les articles del
époque font foi de mon extrême prudence : jexplique lors du congrès que jene comprends pas les résultats que j
observe et que je ne peux en fournir uneexplication.
Quelques jours plus tard,
Le Monde publie un article consacré à mes recherches,non sur les hautes dilutions mais sur le médiateur PAF. Le journaliste a
interviewé des scientifiques français de l
Inserm à lhôpital Saint-Louis et del
Institut Pasteur. Lorsquil les a interrogés sur le PAF-acether, il a obtenu à plusieursreprises des réactions similaires : " C
est encore une c... de Benveniste. "L
auteur de larticle, le journaliste Franck Nouchi, relève judicieusement quecette c... a pourtant été reprise et citée par des dizaines d
articles de revues internationales.Les plus grands groupes pharmaceutiques y travaillent encore ac-
33
tuellement
1. Rétrospectivement, le " paranoïaque " que je suis en tire la conclusionqu
une partie de la communauté scientifique était dans les starting-blockspour se " farcir " Benveniste.
À la mi-juin 1988, John Maddox, vraisemblablement titillé par les articles de
presse consécutifs à ma conférence au congrès d
homéopathie de Strasbourg,me contacte d
urgence alors que je suis en voyage aux États-Unis. Il propose depublier l
article à la fin du mois, mais impose une condition supplémentaire : jedois accepter le principe d
une mission dexpertise chargée de vérifier la qualitédes expérimentations. Elle serait déléguée dès le mois de juillet à Clamart. Je
suis de nouveau surpris par cette exigence inouïe, mais, pris de court et ne voulant
pas renoncer alors que je touche au but, je l
accepte. Vu lurgence, cestpar télécopie que je dois expédier les réponses aux ultimes objections des
refereesde
Nature, réponses rédigées dans lavion qui me conduit au Canada.L
article intitulé " Dégranulation des basophiles humains induite par de trèshautes dilutions d
un antisérum anti-IgE " paraît dans le numéro 333 de Naturedaté du 30 juin 1988. Il est cosigné par treize auteurs, parmi lesquels Élisabeth
Davenas et Francis Beauvais (qui font partie de mon unité), ainsi que les responsables
des laboratoires italien, israélien et canadien qui ont reproduit les
expériences. Bernard Poitevin, le médecin homéopathe qui a travaillé à Clamart,
Philippe Belon, directeur scientifique des laboratoires Boiron, cosignent
également le texte, tout comme Jean Sainte-Laudy, un chercheur qui a étudié la
dégranulation des basophiles au sein de l
unité 200 quelques années plus tôt.Mon nom apparaît en dernière position, ce qui signifie que j
ai coordonnél
ensemble des recherches.Quelques jours avant la publication, la rédaction en chef de
Nature, selon sonhabitude en cas d
événement important, inonde les autres rédactions dépreuvesde l
article et engage un processus de médiatisation dont on ne cessera parla suite de m
attribuer la responsabilité.Le texte est annoncé par un éditorial signé de John Maddox, intitulé
" Quand croire à l
incroyable ". Le rédacteur en chef de Nature y exprime laplus vive circonspection quant au contenu de l
article. La position de Maddoxpourrait être résumée ainsi : " On publie, même si on n
y croit pas, et on va vérifier." Son éditorial se termine par la phrase suivante : " Le principe de réserve
qui s
applique ici veut tout simplement que, quand une observation inattendueimplique qu
une part substantielle de notre héritage intellectuel soit abandonnée,il est prudent de se demander plus attentivement qu
à lhabitude sil
observation nest pas incorrecte. "1
En novembre 1997, j'apprendrai qu'une firme anglaise a introduit auprès des autorités sanitaires de l'Unioneuropéenne et des Etats-Unis une demande d'autorisation de mise sur le marché pour un anti-inflammatoire
anti-PAF susceptible de soulager et de sauver la vie de patients atteints de pancréatite aiguë.
34
On peut juger que cette considération relève du bon sens le plus élémentaire.
Et pourtant, elle mérite qu
on sy arrête. En réalité, ce bon sens-là est une loid
exception, une condamnation à mort de toute recherche innovante, de touteavancée scientifique, parce qu
il apprécie les résultats dune expérimentationnon pas en fonction de
ce quils sont, mais en fonction de leurs conséquences. Silpeut exister un effet biologique sans molécule de principe actif, cela signifie
que les connaissances accumulées depuis deux siècles en physique et en biologie
sont dépassées, incomplètes ou fausses. Et alors ? La découverte de la rotondité
de la Terre, du fait qu
elle tourne autour du Soleil et non le contraire, ou,plus récemment, l
avènement de la relativité générale, de la physique atomiqueou de la mécanique quantique ont bien occasionné la relégation d
une partiedes savoirs antérieurs. Et si l
on considère quune hypothèse scientifique nouvelledoit être jugée à l
aune de ses conséquences sur la validité des connaissancesde l
époque, il faut également admettre quelle peut être appréciée en fonctionde ses répercussions sur le système économique (comme le pensait l
illustreLyssenko). On pourrait aussi, pendant qu
on y est, estimer la validité dune découverteen fonction de sa compatibilité avec les valeurs de la religion dominante.
Ça s
est déjà vu.À la fin de notre article, une " réserve éditoriale " de la rédaction en chef remet
une couche de scepticisme et annonce que des enquêteurs vont vérifier la
reproductibilité de mes expériences, " avec l
aimable collaboration du Dr Benveniste". La manipulation est lancée.
Malgré les réserves de
Nature, le texte déclenche un séisme scientifique. Dansle monde entier, les journaux consacrent des dizaines d
articles à ce qui apparaîtcomme une révolution en chimie et en biologie, une découverte qui fait
date dans l
histoire de la science contemporaine. Les demandes dinterviews desjournaux, radios et télévisions se succèdent à un rythme effréné. Tout au long
de cette période, j
essaie de faire preuve dune certaine prudence, de préciserque je vais avoir besoin d
aide de la part de scientifiques travaillant dans desdomaines et disciplines que je ne maîtrise pas. Dans un texte publié par
Le Monde1quelques jours après l
article de Nature, je donne mon point de vue sur lesbouleversements du mode de pensée scientifique qu
impliquent nos résultats etsur nos doutes passés :
" Nous-mêmes, dès la constatation des premiers résultats, tout au long de la progression
de cette recherche, et lorsque nous les présenterons publiquement, avons
ressenti et ressentirons une angoisse, infime quantité de doute présent quelque
part. C
est ce qui nous a conduits à recommencer encore et encore ces expériences1
" Un autre monde conceptuel ", Le Monde, 30 juin 1988.35
avec une rigueur rarement atteinte par les protocoles expérimentaux en biologie
(...).
Ces précautions ont permis d
atteindre une certitude absolue de lexistence deces effets. Pourtant ceux-ci sont tellement incroyables et angoissants que nous ne
pouvons nous empêcher de dire fréquemment : "Ces résultats, s
ils existent..." Maisl
obligation première dun scientifique est de constater expérimentalementl
existence dun phénomène reproductible et ensuite seulement de sinterroger sursa signification et son mécanisme.
(...) Rejeter des résultats étranges alors même qu
ils sont vérifiables expérimentalement(nous ne mentionnons ici, bien sûr, que des essais pratiqués dans des
conditions expérimentales rigoureuses par des chercheurs expérimentés) sous le
prétexte que l
"on naccepte pas ce que lon ne comprend pas" serait une attituderétrograde, antiscientifique, trop répandue chez beaucoup de chercheurs, qui recouvrent
leur pusillanimité, leur conformisme, leur stérilité scientifique sous le
manteau de la rigueur cartésienne. Cette situation explique d
ailleurs largement lagrande difficulté de la France à faire partie des pays de tête de l
innovation en biologie.Très schématiquement, l
ensemble des résultats expérimentaux que nous avonsobtenus tant sur des cellules isolées in vitro que chez l
animal entier démontre sansaucune discussion possible que l
on peut obtenir des effets biologiques spécifiquesavec de très hautes dilutions de substances actives.
L
incertitude qui règne actuellement sur lorigine précise de ce phénomène indiqueque nous devons maintenant aller dans trois directions :
1) confirmer ce phénomène dans d
autres systèmes biologiques. Nous avons obtenuquelques résultats épars mais qui demandent à être confirmés. Ils indiquent
cependant clairement qu
il sagit dun phénomène général ;2) utiliser nos systèmes biologiques pour, par des manipulations physicochimiques,
étudier les comportements de ces activités inhabituelles ;
3) enfin, entreprendre des coopérations multidisciplinaires internationales, notamment
avec des physiciens et des chimistes capables de nous donner peut-être un
jour la solution du problème. "
Dans les jours qui précèdent et suivent la parution de l
article de juin 1988, jem
inquiète aussi de préparer la visite de la " commission denquête " dépêchéepar
Nature. Il me faut encore une fois préciser que cette exigence de Nature estabsolument contraire aux usages scientifiques. Si la rédaction en chef n
était paspersuadée du sérieux de la découverte, pourquoi éditer notre texte
avant la visitede la commission ? John Maddox répondra plus tard qu
il a cédé à la pression,à mon insistance à voir l
article publié. Je ne conteste pas avoir persévéré,deux ans durant et malgré les exigences toujours plus démesurées de Maddox,
pour que l
article fasse lobjet dune publication. Cette attitude de constanceest, ou devrait être, celle de tout chercheur engagé dans l
inévitable parcoursdu combattant de la démarche expérimentale. La décision d
accepter larticle36
n
a dailleurs été prise par Nature quaprès que jai répondu à toutes les objectionsdes
referees consultés. Enfin, si le rédacteur en chef de la plus influente revuescientifique internationale (et sans doute l
une des plus conservatrices) napas suffisamment d
autorité pour éconduire un groupe de chercheurs dont lestravaux lui paraissent à tort ou à raison dépourvus de tout fondement scientifique,
il devrait peut-être changer de métier.
Autre hypothèse : peut-être s
agissait-il pour John Maddox de laisser décollerce qu
il considérait comme une théorie pseudoscientifique justifiant lhérétiquehoméopathie, pour mieux la faire exploser en plein vol. Je me suis toujours
demandé si Maddox n
a pas souhaité livrer le combat de sa vie, soutenu par lestablishmentscientifique, contre la " fausse science ". D
aucuns ont dit aussi quela certitude du scandale annoncé, la publicité faite à la revue et l
accroissementdes ventes qui en a résulté ne seraient pas étrangers à cette situation.
John Maddox me fournit la composition de la commission d
enquête. Luimêmeen sera l
un des membres (alors que sa spécialité est la physique) et il seraaccompagné de deux Américains, Walter Stewart et James Randi. Les deux
noms me sont inconnus et ce n
est que quelques jours avant leur visite que japprendsqui ils sont : Stewart, un expert en fraude scientifique ; James Randi,
l
illusionniste qui prétend avoir démasqué le magicien Uri Geller (je ne sais qui,de Geller ou de moi, en doit être le plus flatté).
Lorsque je prends pleinement conscience du pedigree des " experts ", je suis
tenté de refuser leur venue, pour plusieurs raisons. La première est que Maddox
se place clairement dans l
hypothèse de la fraude, comme le prouve la présenced
un illusionniste dans léquipe. Comme si jallais mamuser à cacherdans ma manche, puis à verser subrepticement dans les tubes à essais quelques
gouttes d
anti-IgE. La personnalité de Stewart, lexpert anti-fraude, pose encoredavantage de problèmes. Tout d
abord, il a été lun des referees de Nature pourl
article sur la dégranulation des basophiles et ne sest pas opposé à sa publication.Ensuite, il est l
un des protagonistes de la déplorable affaire Baltimore, dunom d
un prix Nobel dimmunologie américain que Stewart a accusé de fraudequelques mois auparavant
1. Dans un article de Nature publié, ironie du sort,dans le même numéro que notre texte, John Maddox se montre d
ailleurs plutôtcritique quant au rôle joué par Stewart dans la mise en cause de David Baltimore.
Il explique notamment que Stewart et le scientifique américain avec lequel
il est associé dans la " chasse aux fraudes " n
ont à leur actif aucune publicationscientifique substantielle, qu
ils ne sont que des gardiens auto-désignésde la conscience scientifique. Et c
est pourtant le même Stewart, hystériquechasseur de sorcières, que John Maddox décide de me coller dans les pattes, en
1
Baltimore et son équipe seront réhabilités en 1996 et Walter Stewart a, fort heureusement, disparu de la scène.37
compagnie d
un magicien pour relever le niveau. Ne manquaient plus que leséquilibristes et le montreur d
ours.Légitimement hostile à la venue dans mon laboratoire de ces minables Pieds
Nickelés, je n
en suis pas moins bel et bien coincé. En premier lieu, Nature représenteune immense autorité scientifique. Comme un fervent catholique auquel
le pape demanderait son portefeuille, je ne suis pas censé imaginer qu
il vabarboter mon argent, remplacer mes papiers d
identité par des faux et me livrerà la police des murs scientifiques. Ensuite, si je refuse la vérification, on m
accuserad
avoir quelque chose à cacher.Je prends finalement la décision d
accueillir la commission, après concertationavec mes collaborateurs et les cosignataires de l
article qui, ne doutant pasde la validité des expériences, tentent de se persuader qu
on ne peut pas trouverde fraude là où il n
y en a pas.38
CHAPITRE 3
La contre-enquête
C
est dans une ambiance tendue que les trois experts de Nature débarquent àClamart, le 4 juillet 1988. Nous devons réaliser plusieurs séries d
expériences,réparties sur cinq jours.
Pendant les deux premières journées, quatre séries sont effectuées. L
une nefonctionne pas, mais trois autres sont concluantes. Celle qui est réalisée en
aveugle donne même les meilleurs résultats. Je sens que John Maddox et ses
comparses sont troublés. Le troisième jour, une série d
observations se dérouleen aveugle
1 avec un système de codage des tubes mis au point par James Randi.Ceci donne lieu à un épisode révélateur de l
état desprit de la fine équipe.Randi établit la liste des codages des tubes, puis il l
entoure de papier daluminiumet glisse le tout dans une enveloppe qu
il fixe au plafond à laide de rubanadhésif. Le lendemain au moment du décodage, il constate que l
échelle trèscourte et légère utilisée pour coller l
enveloppe au plafond, échelle dont il avaitrepéré l
emplacement exact, a été déplacée. Lexplication est simple : ma collaboratriceYolène Thomas, pénétrant le lendemain dans son laboratoire et apercevant
cette échelle dressée en plein milieu de la pièce, avait jugé logique de la
replacer là où elle reposait d
habitude. En récupérant lenveloppe, Randi relèveégalement que le rabat de l
enveloppe sest décollé, mais il conclut tout demême que la liste des codes n
a pas été consultée. Ces détails figurent dans lecompte rendu de
Nature, avec les effets dévastateurs que cela peut produire surles lecteurs. Ceci est d
autant plus navrant que la première expérience effectuéeen aveugle avec le système de codage folklorique de Randi fonctionne parfaitement.
La courbe correspondante est tellement satisfaisante et conforme à nos
expérimentations les plus réussies que j
en fais la remarque à haute voix. Dansl
article à venir de Nature, mes propos seront " reformulés " de la façon suivante: " Nous n
en avons jamais vu de semblable [dexpérience semblable] jusquàmaintenant. " Phrase que je ne peux avoir prononcée puisque l
une des1
L'expression " en aveugle " n'est en fait pas adaptée à la situation puisque les codages étaient connus d'unedes parties, à savoir les enquêteurs de
Nature, équipe comprenant un illusionniste ! Une procédure réellementen aveugle aurait supposé un deuxième codage par des tierces personnes.
39
courbes illustrant l
article de Nature du mois de juin, et certains des résultats obtenuspar l
équipe italienne, sont similaires à la courbe en question.Progressivement s
installe un climat carrément délétère. À plusieurs reprises,Stewart pique de véritables crises d
hystérie, au point de hurler contre on ne saittrop quoi. John Maddox doit intervenir et lui dire de se calmer.
Pendant ce temps, et tandis que se déroule une expérience en aveugle décisive,
James Randi se livre à des tours de passe-passe et fait tourner les aiguilles de
montres sans y toucher, déclenchant des rires dans le dos des opérateurs en
plein travail. Je regrette vivement d
avoir ouvert mon laboratoire à ces trois zigotoset je me retiens difficilement de les flanquer à la porte.
Cette tension a pour effet principal de déconcentrer ma collaboratrice Élisabeth
Davenas. Elle est une excellente opératrice pour des expériences délicates,
capable de compter pendant une journée entière des basophiles les yeux rivés à
son microscope, ce qui donnerait des maux de tête à tout un chacun au bout de
quelques minutes, a fortiori si un agité lui crie dans les oreilles pendant la
manuvre. Mais Élisabeth est aussi une jeune femme extrêmement sensible,
peu faite pour la polémique et le combat. En, occasions, je la sens au bord des
larmes. À un moment critique, je lui envoie à travers la vitre du laboratoire un
petit baiser pour l
encourager et la réconforter. Nos puritains anglo-saxonss
interrogent à haute voix sur les relations que jentretiens avec ma collaboratrice.De l
influence des ondes affectives virtuelles sur le destin des basophiles...Durant les deux dernières journées, les conditions expérimentales sont rendues
encore plus difficiles par le volume de manipulations qui nous est demandé,
deux ou trois fois plus que notre rythme habituel. Alors que les premières
expériences plutôt positives se sont succédé selon une cadence raisonnable,
il faut soudain accélérer le mouvement, avec les risques que cela comporte.
J
ajoute que, contrairement aux usages, aucun protocole de déroulement desobservations ne m
a été préalablement communiqué par John Maddox. Je suispour une part fautif de ne pas l
avoir exigé. Il sensuit que lordre, le rythme etles modalités des expériences peuvent à tout moment être modifiés par les
pseudo-experts. À titre d
exemple, sous prétexte déviter les fraudes, WalterStewart exige de procéder lui-même au remplissage des puits d
expériences lorsde certaines séries de manipulations, alors qu
il na aucune habitude de latechnique employée.
Et ce qui devait arriver arrive. Les dernières séries donnent des résultats non
utilisables : pour deux d
entre elles, les tubes témoins (qui ne contiennent pasd
anti-IgE hautement dilué) produisent des résultats fous ; pour la troisième, latotalité des résultats est illisible.
Un soir de cette semaine, je me suis rendu à dîner à l
invitation du ministrede la Recherche Hubert Curien, en compagnie de John Maddox, d
une quin-40
zaine de scientifiques français du plus haut niveau, du directeur général de l
InsermPhilippe Lazar et de l
éphémère ministre de la Santé Léon Schwarzenberg.En me rendant à ce dîner, j
espérais trouver de la part de la communautéscientifique française le soutien qui me faisait cruellement défaut jusqu
alors.J
aurais en effet souhaité que le ministre ou les autorités politico-scientifiquesdésignent une équipe d
experts reconnus chargés de me conseiller, de déterminerquelles vérifications je devais effectuer et vers quelles hypothèses
d
interprétation des résultats je devais, ou ne devais pas, me diriger. Au cours durepas, j
ai très vite compris que je ne pouvais compter sur aucune aide, et quej
avais été convoqué à ma propre exécution publique. À un moment, jai ététout bonnement accusé par un professeur du Collège de France (qui porte un
nom illustre, mais ne semble pas avoir fait de découvertes justifiant sa position
dans l
establishment scientifique, ni sa morgue) de " déshonorer la communautéscientifique française ". Entendre par là : priver certains de mes compatriotes
nobélisables de leur éventuelle distinction.
Je suis désormais seul, abandonné aux chiens par une " communauté " scientifique
française vassalisée, coca-colonisée, apeurée, planquée sous la table. Cette
communauté qui n
avait produit depuis trente ans quun nombre très limitéde travaux scientifiques majeurs s
estimait " déshonorée " parce que leau semontrait capable de mimer une activité biologique spécifique. Tout comme au
XIX
e siècle, lélite scientifique française jugeait inepte (et sans doute " déshonorante") l
idée que des engins plus lourds que lair puissent voler ou que desmétéorites parcourent l
atmosphère1.La publication du dossier de " contre-enquête " dans le numéro du 28 juillet
1988 de
Nature confirme mes pressentiments les plus pessimistes. Sous le titre" Hautes dilutions, une illusion
2 ", larticle, signé Maddox, Randi et Stewart, affirmeque l
" hypothèse selon laquelle leau pourrait être marquée par le souvenirde solutés y ayant transité est aussi fantaisiste qu
inutile ". Tout en reconnaissantque la commission d
enquête forme " un groupe hétéroclite " etqu
aucun de ses membres ne possède " une expérience personnelle dans ledomaine étudié par l
unité 200 de lInserm ", les trois signataires descendent enflammes nos expérimentations.
Premier de leurs griefs, Maddox et ses amis se disent " surpris de constater
que les expériences ne marchent pas toujours ". Pincez-moi, je rêve. Comment
1
" Les pierres ne tombent pas du ciel, a dit un jour Lavoisier, membre de l'Académie des sciences, car il n'y apas de pierres dans le ciel. "
2
" High Dilution Experiments : a Delusion ", Nature, 1988, 334, pp. 287-296.41
des experts, autodésignés il est vrai, peuvent-ils proférer une telle ineptie à propos
de biologie ? Aucune expérience complexe de biologie ne fonctionne dans
100 % des cas, même pas la grossesse. En ce qui concerne les hautes dilutions,
j
ai toujours précisé publiquement que je ne pouvais garantir 100 % de réussite,mais plutôt des résultats largement significatifs en tendance.
Une telle ignorance des réalités scientifiques doit sans doute être mise au
compte de l
" absence dexpérience personnelle dans le domaine étudié " deMaddox, Randi et Stewart. Le problème est que le ton de l
article est donné.Les enquêteurs sont bien obligés de convenir que quatre expériences sur sept
ont donné des résultats positifs ou plutôt, on notera la nuance, " considérés
comme positifs par le Dr Benveniste ", mais la suite du rapport tend vers un but
unique : instruire à charge, détruire nos résultats par tous les moyens.
Quant à l
aspect le plus scandaleux de ce rapport, les lecteurs de Nature nepourront même pas en prendre connaissance. Lorsque l
article relatant lacontre-enquête est achevé, quelques jours avant la parution, John Maddox me le
fait parvenir afin que je puisse exprimer mes remarques et contestations dans
un texte qui sera publié dans le même numéro de la revue. Je prends connaissance
du manuscrit de Maddox
and Co, et y relève la phrase suivante : " Nouscroyons que la plupart des expériences de Benveniste, dont les résultats sont
considérés comme significatifs, sont des artefacts ou des erreurs statistiques.
Mais cette remarque ne concerne manifestement pas toutes les données (comme
la quatrième série d
observations). "La quatrième série, comme je l
ai indiqué plus haut, a été effectuée en aveugleet a donné d
excellents résultats, semblables aux courbes publiées dans larticledu mois de juin 1988. Dans ma réponse, je pointe la double contradiction
que renferme cette phrase :
1) si une des séries a fonctionné et qu
elle nest pas entachée dartefacts oud
erreurs statistiques, cest donc bien la preuve quun phénomène existe ;2) cette phrase est en contradiction avec tout ce que le reste du rapport tend
à démontrer.
La réaction de
Nature est radicale : le passage est purement et simplement retiréde la version publiée. On trouve donc dans ma réponse un commentaire
sur une phrase, essentielle, qui n
existe pas dans la version publiée du rapportdes " experts ".
Au final, l
article de Nature nest quune série dapproximations et de contrevéritésflagrantes. Quelques exemples supplémentaires : les auteurs de la contreenquête
ont constaté que, selon les expériences (et donc selon l
origine du sangemployé), la position des pics d
activité, cest-à-dire les points hauts de la courbedont la forme est celle d
une ligne brisée, nétait pas exactement la même.N
importe quel étudiant en première année de biologie sait que le sang dun42
patient ne réagit pas exactement comme le sang d
un autre et que les échantillonsprélevés sur un même individu peuvent présenter une réactivité différente
selon le moment où le prélèvement a été réalisé. Dans le domaine de l
allergiequi est celui de nos expériences, c
est encore plus évident car tout le monden
est pas sensible aux mêmes allergènes, ni à la même dose de tel allergène.Mais non contents d
enfoncer ces portes ouvertes, John Maddox et ses amisnous attribuent des conclusions inverses de celles que nous avons écrites noir
sur blanc dans l
article du mois de juin, afin de mieux pouvoir nous contredire.Il faut ici se reporter au texte. Nous précisions que " la répétition des vagues de
dégranulation induite par l
anti-IgE était reproductible mais les pics de dégranulationpouvaient se déplacer d
une ou deux dilutions avec chaque nouvelleséquence d
anti-IgE et selon chaque échantillon de sang1 ".Autrement dit, les courbes qui représentent les chutes et les reprises d
activitéau fur et à mesure des dilutions d
anti-IgE ne sont pas exactement superposablesselon que les basophiles proviennent de tel ou tel sang. Contradiction flagrante
: dans leur compte rendu de juillet 1988, les trois auteurs écrivent que
nous avons présenté les pics d
activité " comme des phénomènes se produisantde façon périodique et
dont la position est reproductible ". Et les contre-enquêteursde conclure que leurs résultats ne corroborent pas cette affirmation et que les
cahiers de résultats de l
unité 200 (où sont notées les données de toutes les expérienceset que j
ai mis à leur disposition) confirment que la position des picsvarie d
une expérimentation à lautre. Que dire de plus ?Autre argument de choc de ces Sherlock Holmes au rabais, ils nous reprochent
de ne pas tenir compte, dans les résultats que nous publions, des échantillons
de sang dont les basophiles ne dégranulent pas, ce qui fausserait les statistiques.
Or je suis bien placé pour savoir que le test de dégranulation des basophiles
humains, dont je suis l
inventeur, ne fonctionne que sur environ 50 % dela population. C
est un des critères qui séparent les allergiques des autres sujets.Notre article de
Nature précisait dailleurs qu" aucune dégranulation des basophilesaux hautes dilutions ne pouvait avoir lieu si elle n
apparaissait pas auxconcentrations classiques ". Il est évident que lorsque l
anti-IgE à dose pondéralene produit pas d
effet sur un échantillon, je ne vais pas perdre mon temps àtenter de faire réagir le même sang à de hautes dilutions de ce même réactif.
Reprocherait-on au patron d
une écurie de Formule 1 de ne pas tenir compte,pour le calcul de la vitesse moyenne des automobiles, des séances auxquelles
une voiture n
a pas participé faute davoir démarré ?Je relève également autre chose de la part de Maddox. Il semble découvrir
" avec consternation " que les salaires de deux cosignataires de l
article de juin1988, et ses propres frais d
hôtel, ont été assurés grâce à un contrat passé avec1
Nature, op. cit., 333, juin 1988.43
les laboratoires homéopathiques Boiron. Il est tout à fait exact que les salaires
d
Élisabeth Davenas et Francis Beauvais étaient pris en charge par Boiron. Maiscela appelle de ma part deux observations : d
une part, le nom de Philippe Belon,directeur scientifique de Boiron, figure parmi ceux des signataires, ce qui
est bien le signe que je n
ai rien à cacher sur ce plan ; dautre part, les contratspassés entre des laboratoires publics (Inserm, CNRS, etc.) et des firmes pharmaceutiques
ou industrielles sont des pratiques fréquentes. En France, comme
on l
a vu plus haut, ces contrats sont même encouragés par les autorités de tutelledepuis 1981. Ils représentent en général plus de la moitié du budget de
fonctionnement des équipes Inserm. L
unité que je dirige a également passédes contrats avec des entreprises pharmaceutiques portant sur les traitements
classiques, non homéopathiques, de l
allergie. Ceux-ci représentaient à lépoque90 % de ses activités. Les recherches que nous avons réalisées et publiées
dans les domaines correspondants n
en ont pas pour autant été considéréescomme viciées.
En fait, les critiques de Maddox et sa bande sont d
autant plus revanchardesqu
ils nont pas trouvé ce quils étaient venus chercher : la fraude. Ce domainede la fraude semble bien être d
ailleurs le seul dans lequel Maddox, Randi etStewart avec pour ce dernier les colossales réserves qu
implique laffaire Baltimore1 étaient censés détenir quelques compétences. Mais, selon le plan préconçu
de l
opération, le résultat de lenquête se devait dêtre négatif. Il ny apas de fraude ? Qu
à cela ne tienne, on va bien trouver autre chose. Et à partirde quelques séries d
expériences menées dans une ambiance de soupçon et deflicage, on conclut à la non-reproductibilité pour cause d
" erreurd
échantillonnage " ou de " biais statistique " dans linterprétation des résultats.Sans égard pour les centaines d
observations réalisées depuis cinq ans à Clamart,ni pour celles des laboratoires canadien, israélien et italien, dont les résultats
n
ont pas même été vérifiés ou seulement consultés par Nature." Publier ou périr ", telle est, comme on l
a vu, la devise des scientifiques anglais." Publier
puis périr ", telle devait être, selon Nature, la vocation de monéquipe.
1
Voir chapitre 2, p. 35.44
CHAPITRE 4
Les rats quittent le navire
Après la publication des conclusions de la contre-enquête de
Nature, le venttourne nettement en notre défaveur, et les girouettes avec lui. Certes, les médias
français, en particulier les grands quotidiens, rendent compte assez fidèlement
du climat détestable dans lequel elle s
est déroulée, des préjugés hostiles et desméthodes maccarthystes des enquêteurs. Pourtant, la grande majorité des journaux,
télévisions et radios remet en cause ce qui était annoncé quelques semaines
plus tôt comme une avancée scientifique révolutionnaire.
Nombre de scientifiques français restés en retrait lors de la parution de notre
article dans
Nature se réveillent alors pour demander à lInserm et aux autoritéspolitiques ma révocation pure et simple, au motif que je jette " le déshonneur
sur la recherche française ".
Certains de ceux qui ont réagi à l
article du mois de juin avec un esprit scientifiquementouvert croient utile de " préciser " leurs propos. Ainsi le chimiste
français Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie 1987, estimait le 30 juin dans
LeMonde
que les résultats publiés dans Nature étaient " troublants, très très troublants". Il explique dans
Science et Vie du mois daoût : " Troublé ne veut pasdire "ébranlé". Disons que j
ai été choqué. " En voilà un qui a manqué une carrièrede sémanticien ou... d
homme politique. Jean-Marie Lehn insistait dans LeMonde
sur le fait que " la chasse aux sorcières nexiste pas dans le domainescientifique ". Il ne prend pas la peine de réitérer ou de préciser ces derniers
propos dans la session de rattrapage de
Science et Vie.Autre type d
attitude, lexplication par lartefact. Les hypothèses, souventcontradictoires entre elles, s
accumuleront plusieurs années durant. Par exemple,un biologiste du CNRS propage dès le mois d
août 1988 la thèse de lacontamination des tubes. Selon lui, si, lors de centaines d
expériences, les hautesdilutions d
anti-IgE ont produit une dégranulation des basophiles, cest grâceà la persistance d
un " bouchon " de molécules à la surface de chaque dilutionsuccessive. Pour qu
à la cent vingtième dilution décimale (une dilution parun facteur de 1 suivi de 120 zéros) il reste encore des molécules dans la solution,
il faudrait que la pipette ait recueilli à chaque opération de dilution la ma-
45
jeure partie du " bouchon " de molécules flottant à la surface du liquide, malgré
l
agitation à laquelle chaque tube est soumis. Je précise que le liquide estextrait à la pipette non pas au niveau supérieur de la solution mais à un niveau
intermédiaire, et que les pipettes et les tubes sont remplacés pour chaque opération
de dilution. Cette théorie de la contamination par le " bouchon " ne
tient donc pas un instant ou alors elle doit s
appliquer à toute la chimie et labiologie. Il n
empêche que de nombreux collègues mont demandé si javaispris en compte cette hypothèse. Comment l
aurais-je pu ? Comment vérifier laprésence d
un bouchon de molécules ? Au bout de combien de temps ce supposébouchon se reconstitue-t-il après l
agitation ? La théorie selon laquelle lesmolécules se regroupent en bouchon dans les tubes à essais, et ce exclusivement
lors des expériences conduites dans mon laboratoire, ne constitue-t-elle pas ellemême
un bouleversement des paradigmes de la biologie et de la physique ?
L
accumulation dhypothèses fantaisistes est un moyen très utilisé dans denombreuses affaires similaires, pour qui veut démolir à coup sûr une recherche
qui ne lui convient pas sur le plan idéologique. Et dans le même temps où l
onorganise soigneusement la raréfaction des moyens de recherche, on demande
toujours plus de vérifications extravagantes. Ces attitudes sont favorisées par la
fragilisation scientifique et, on l
espère, psychologique, de lhérétique. Dès lors,n
importe quel fruit sec de la recherche, pour peu quil dispose dun vague accèsà quelque commission ou quelque média, se permet avec hauteur et componction
de prodiguer de graves conseils, alors même qu
il rampe et avalen
importe quelle billevesée, dès lors quelle sort de la bouche dun chien coifféd
une casquette portant la mention " professeur ", de préférence en anglais.Très curieusement, cette attitude est partagée par beaucoup d
amis sincères quicroient bien faire en dispensant leurs conseils. Certains ont été bons à prendre,
d
autres nous ont fait perdre un temps considérable. Il est fortement conseilléau candidat hérétique de se plier sans barguigner à la moindre de ces sollicitations,
fût-elle de répéter ses expériences sur un pied, en équilibre sur un fil tendu
entre les deux tours de Notre-Dame. Le moindre de ses refus attesterait son
incapacité à se plier aux règles de la communication scientifique.
Parmi les signataires de notre article collectif de
Nature, le responsable du laboratoirede Toronto cesse de donner signe de vie pendant quelques mois, tandis
que les responsables du groupe de Milan m
assurent de leur soutien etconfirment leurs résultats. D
autres comme Jean Sainte-Laudy, qui a mis aupoint un test de dégranulation des basophiles inspiré du mien, prennent leurs
distances progressivement.
46
L
attitude la plus curieuse est sans doute celle du professeur Jacques Charpin,allergologue à l
université de Marseille, qui travaille à reproduire certaines demes expériences d
inhibition de la dégranulation des basophiles par de hautesdilutions d
histamine. Son laboratoire a obtenu des résultats intéressants,confirmés dans un courrier qu
il ma adressé en 1987. Durant lété 1988, jaiindiqué dans des interviews à la presse l
existence de cette équipe et de ses travaux.Mais ce professeur, sollicité par les journalistes après la publication de la
contre-enquête de
Nature, refuse de confirmer ces conclusions favorables car,indique-t-il, " nous n
avons encore pas obtenu de résultats décisifs, ni positifs, ninégatifs, mais nous poursuivons
1 ". Curieusement, un collaborateur de Charpinexplique quant à lui : " Nous, par exemple, nous avons fait les mêmes expériences
que Benveniste et nous avons à présent des résultats qui confirment les
siens. Mais cela ne nous paraît pas suffisant pour publier
2. " Étrange discordance.Selon moi, il y a plus qu
une nuance entre ne pas avoir de résultats et nepas oser les publier par crainte de se faire incendier. Il me semblerait plus courageux
de renouveler les expériences en collaboration avec d
autres équipesdans le monde et de publier collectivement les résultats en précisant : nous
avons constaté un phénomène ; s
il est réel, cest trop important pour que nousn
en fassions pas état ; sil nexiste pas, cela signifie que nous nous sommestrompés. Mais nous avons accompli notre travail, tout notre travail, rien que notre
travail.
L
erreur est le moteur de la recherche. De quoi, de qui ont-ils si peur ? Dixans plus tard, il semble que les résultats de l
équipe ne soient toujours pas " suffisants" à ses propres yeux.
Un autre groupe de chercheurs, dirigé par le botaniste Jean-Marie Pelt, de
l
Institut européen décologie de Metz, fera également état dexpériences positivessur les hautes dilutions, dans le cadre discret d
un colloque au début del
année 1989. Linformation sera reprise par lhebdomadaire VSD et... par lemensuel
Newlook ! (Pour ceux qui ne le connaissent pas ou prétendent ne pas leconnaître, il s
agit dun magazine de charme.) Interrogé par le journaliste Michelde Pracontal, Jean-Marie Pelt expliquera qu
une de ses collaboratrices aeffectué une expérience proche des miennes, dans le cadre d
un contrat avecles laboratoires Boiron, sans que, pour plus de clarté et de cohérence technique
sans doute, je sois mis au courant.
" L
expérience a marché, admettra Jean-Marie Pelt, mais nous navons rienpublié, parce que j
ai comme règle de ne publier quaprès une recherche approfondie.Or il ne s
agit pas dune orientation dominante de mon laboratoire,et nous n
avons pas poursuivi dans cette voie. Je crois que nos résultats sont in-1
Le Quotidien du médecin, 27 juillet 1988.2
Libération, 29 juillet 1988.47
téressants, mais avant d
échafauder une nouvelle physique, il faut creuser pourvoir si les faits résistent. Personnellement, je n
ai jamais parlé de la mémoire del
eau, ce nest pas mon sujet1. "J
ai par la suite consulté les résultats en question. Ils étaient nombreux et plutôtmeilleurs que les miens, largement suffisants pour être publiés. On trouve
souvent dans les revues du plus haut niveau la mention suivante : " Nous montrons
une expérience, représentative de six. " Chez Jean-Marie Pelt, il y en a eu
des dizaines, pratiquement toutes positives. Voilà un labo de renommée internationale,
dont le directeur a un accès facile aux médias, qui reçoit un contrat
de la firme Boiron, laquelle me soutient (certes, plus pour longtemps). Or l
objectiflogique de Boiron devrait être de crédibiliser scientifiquement son domaine
d
activité, lhoméopathie, violemment contesté. Ou alors je ne comprendsplus rien. Les études confirment qu
il y a une activité à haute dilution,donc que Boiron ne vend pas que de l
eau et du sucre, et lon sempresse de lesenterrer. Gribouille serait-il lyonnais ?
L
année suivante, Jean-Marie Pelt confirmera tout de même sans réserve mesrésultats à l
occasion dune manifestation organisée par lassociation Sciences-Frontières à Puy-Saint-Vincent. C
est toujours ça.Dès l
automne 1988, en lespace de quelques semaines, je deviens un paria dela Science. Pratiquement aucun scientifique français n
accepte de voir son nomassocié au mien, même et surtout s
il obtient sur les hautes dilutions des résultatscomparables à ceux de mon équipe.
Dans les milieux de l
homéopathie, on ne maccorde quun soutien minimal,pour ne pas dire hautement dilué. En juin 1988, dans l
euphorie qui suit la parutionde l
article de Nature, les laboratoires Boiron, dont le directeur scientifiqueest cosignataire de l
article, mont annoncé que des crédits illimités étaientdésormais à ma disposition. Un mois plus tard, la direction de l
entreprise estimeque si l
Inserm ne me soutient pas, Boiron ne peut pas non plus me soutenir.Le contrat qui lie mon unité aux laboratoires homéopathiques pour 1988
sera reconduit pour les six premiers mois de 1989, puis brutalement interrompu
en juin. Les rats quittent le navire.
Je pensais pouvoir au moins compter sur le soutien de l
Inserm, or, le 27 juillet1988, au moment où le contenu de la contre-enquête de
Nature est révélé, ladirection publie un communiqué dans lequel elle affirme notamment : " La
publication complémentaire paraissant dans le numéro de
Nature du 28 juillet1988 et les divers commentaires qui l
accompagnent confirment lInstitut dansson principe de réserve, inspiré par le respect de la liberté de la recherche. En
particulier, l
administration de lInserm nestime pas dans son rôle dintervenir1
Michel de Pracontal, Les mystères de la mémoire de l'eau, La Découverte, 1990, p. 115.48
dans la polémique qui aujourd
hui oppose le Dr Benveniste et les éditeurs de larevue sur les procédés que
Nature a utilisés. "Ainsi donc, la direction générale de l
Inserm " nestime pas dans son rôle "d
intervenir dans la polémique qui moppose à Nature, alors même que plusieursannées de recherches et des centaines d
expérimentations menées ausein d
une unité Inserm sont remises en cause par une ou deux expériences négatives,réalisées dans les conditions que l
on a vues, par une commission denquêtebritannique composée d
un journaliste-physicien, dun chasseur de fraudeset d
un magicien. Essayons dimaginer une équipe de la société Boeing" enquêtant " dans les usines de l
Aérospatiale à Toulouse sur lavarie techniqued
un Airbus...Certes, Philippe Lazar, le directeur général de l
Inserm, avec lequel je naipas toujours eu d
excellents rapports, semble vouloir laisser reposer les choseset renvoie l
évaluation des travaux de lunité 200 à léchéance " légale " del
examen quadriennal1 prévu au début de lannée 1989. Mais pour contrer efficacementles effets ravageurs de l
enquête bâclée publiée par Nature, il eût éténécessaire qu
une autre commission denquête, sérieuse celle-là, fût immédiatementdésignée. Sa composition aurait pu être établie en concertation entre
l
Inserm, mon équipe et éventuellement dautres partenaires comme le CNRSet l
Académie des sciences. Un protocole rigoureux de vérification de mes expérienceset des observations conduites dans les laboratoires étrangers aurait
permis de rééquilibrer la situation. Mais, en totale convergence avec les mandarins
de la recherche française, ceux que j
avais rencontrés quelques semainesauparavant chez le ministre de la Recherche, la direction de l
Inserm refuse lacréation " à chaud " d
une telle commission. Business as usual, comme sil
intrusion dune bande de chasseurs de primes dans un laboratoire dépendantde l
État était monnaie courante.Lorsque, dix ans plus tard, dans le journal
Le Monde, deux lauréats de prixNobel parleront à huit reprises de fraude à propos de mes travaux
2, aucune enquêtene sera entreprise, ni par l
Inserm ni par les ministres de tutelle (Rechercheet Santé), sur cette accusation de forfaiture envers un haut fonctionnaire.
Le milieu scientifique français, qui ne sait plus depuis longtemps ce qu
est unerecherche innovante, a définitivement adopté la politique de l
édredon devantun saut quantique effrayant (pour ceux qui ne se donnent pas les moyens de le
comprendre).
Quant à mes rapports avec l
Inserm, je ne perds rien pour attendre. La procédured
évaluation va bien avoir lieu en 1989. Ce qui, pour nimporte quelleunité Inserm, relève de la routine, voire, lorsque l
on fait partie du bon lobby,1
Chaque unité de l'Inserm fait l'objet d'un bilan tous les quatre ans.2
Cf. chapitre 10.49
d
approbation automatique, prend dans le cas de lU 200 une tournure exceptionnelle.Les conclusions de l
évaluation aboutissent à une véritable tentativede " censure institutionnelle ", selon l
expression de Michel Schiff1.Dans un premier temps, la commission scientifique n
° 2 de lInserm se réunitau début de l
année 1989 et examine les travaux de lunité. Elle juge favorablementl
ensemble des travaux consacrés au PAF, le médiateur chimique del
allergie que jai découvert en 1972 et sur lequel lunité 200 a continué à travaillertout au long des années 80. En revanche, comme on pouvait s
y attendre,elle émet les plus vives réserves sur les expériences concernant les hautes dilutions.
En conclusion de son rapport, la commission explique :
" (...) L
équipe ne semble pas être immédiatement prête à utiliser dautresmodèles biologiques que celui de la dégranulation des basophiles.
" (...) Les interprétations biophysiques éventuelles des observations expérimentales
dépassent actuellement les compétences de l
équipe telle quelle estconstituée. Pour toutes ces raisons, il est évident que cette problématique ne
peut évoluer que très lentement. Il semble donc urgent que le problème "change
de mains". "
Ces conclusions appellent plusieurs commentaires. D
abord on observera leflou des expressions utilisées, qui recoupe exactement celui de la pensée.
Qu
est-ce quune " problématique [qui] ne peut évoluer que très lentement " ?Une lecture dans une boule de cristal ? Et que signifie " changer de mains " ?
Sur le fond, que nous ne soyons pas à ce moment-là en mesure d
" utiliserd
autres modèles biologiques que celui de la dégranulation des basophiles " estévident. D
une part, nous sommes au début dune recherche fine et complexe.D
autre part, je vois mal comment nous aurions pu étendre nos études àd
autres modèles biologiques. Devant le tollé déclenché par nos premièresconclusions et par la contre-enquête de
Nature, nous avons été contraints de répéternos expériences sur la dégranulation pour prouver la réalité de nos résultats.
Et de ce fait, nous n
avons pas eu le loisir de mettre au point dautres systèmesexpérimentaux (ce qui est le cas aujourd
hui).Quant à l
idée selon laquelle les " interprétations biophysiques éventuellesdes observations " dépassent nos compétences, c
est exactement ce que jem
épuise à répéter depuis que je fais état publiquement des expériences dehautes dilutions. J
ai plusieurs fois demandé que des équipes interdisciplinairesviennent m
aider à interpréter ce que jobservais, mais personne ne sest manifesté,surtout pas à l
Inserm. Les institutions scientifiques se devaient dem
accorder des moyens supplémentaires, en matière grise et en argent, au lieude m
étrangler ; de mapporter leur collaboration plutôt que de misoler.1
Un cas de censure dans la science, L'affaire de la mémoire de l'eau, Albin Michel, 1994, pp. 119 et suivantes.50
En fait, si on lit entre les lignes du rapport en tentant d
évacuer le charabia,on comprendra que ces " experts " expriment en réalité une position qui pourrait
se résumer ainsi : nous sommes en présence de résultats d
expériences quenous ne comprenons pas et que personne ne peut pour le moment expliquer.
Or un phénomène que l
état de nos connaissances ne nous permet pasd
expliquer ne peut exister. Il est donc urgent que Benveniste arrête de travaillersur un tel sujet et que le problème tombe dans les oubliettes de l
histoire dela Science.
Le rapport de la commission scientifique de l
Inserm indique que la médiatisationdes résultats et les polémiques induites risquent de nuire à l
image del
équipe, " à limage de lInserm et plus généralement à limage de la communautéscientifique française ". Comme je l
ai déjà indiqué, cela pourrait signifierque nos apparatchiks craignent que la polémique ne prive la biologie française
d
un éventuel prix Nobel. Parallèlement, cela leur fournira un argument : si leslauréats des prochains Nobel de biologie ne sont pas français, cela résultera des
agissements de Benveniste et non pas de la faiblesse de la recherche nationale.
Autre inconvénient que redouterait la commission, la dimension médiatique
de la polémique entourant les travaux sur la mémoire de l
eau " nuira probablementau recrutement de chercheurs pour cette équipe dans les organismes
publics et rendront plus difficile la recherche d
un emploi industriel pour lesjeunes doctorants ". Sur la question du recrutement de thésards issus de mon
unité, l
avenir, comme on le verra, donnera raison à la commission. Rétrospectivement,une telle prescience m
apparaît admirable.Avant que le conseil scientifique, instance délibérative suprême de l
Inserm,ne se prononce sur l
avenir de lU 200, jadresse au nom de lensemble del
équipe un courrier de protestation motivé contre les mesures que recommandela commission
1. Notre réaction contribue sans doute à ce quunedeuxième commission d
évaluation soit mise en place pour fournir au conseilscientifique des éléments de décision complémentaires. Une mesure exceptionnelle.
Cette deuxième évaluation est conduite par quatre membres du conseil scientifique.
Autre disposition peu courante, l
Institut sollicite par ailleurs lavis dedeux immunologistes anglo-saxons, un Britannique et un Américain, Henry
Metzger. Le choix de ces experts ne me paraît pas innocent. Le Britannique me
jalouse, parfois publiquement, depuis la découverte du médiateur PAF-acether.
Il n
a à son actif aucune avancée majeure et le froggy que je suis lui tape sur les1
Comme les occasions de rire ne sont pas si fréquentes, je précise que la présidence de cette commission scientifiquen
° 2 est assurée par le responsable d'une unité Inserm qui, au moment où la commission remet son rapport,vient d'être fermée.
51
nerfs. Les seuls Français qu
il tolère sont les carpettes qui linvitent à présiderleurs " congrès " avec grands hôtels et restaurants chic.
" Benveniste, tu es un bon chercheur, mais un très mauvais homme de marketing,
m
a-t-il dit un jour à Washington. Bien, lui ai-je répondu, chacun son métier. Moi, la science. Toi, le marketing.
"
Rires aux alentours et verdissement du cuistre.
Quant à Metzger, son opinion sur mes recherches est forcément hostile et
tout le monde le sait. Consulté en tant que
referee par la revue Nature avant lapublication de notre article sur la dégranulation des basophiles, il a émis un avis
négatif sur l
opportunité de cette publication. En outre, dans les semaines suivantla parution, il a soi-disant tenté de reproduire l
expérience de dégranulationet les résultats de cette tentative ont fait l
objet dun courrier adressé à Nature.Ce texte a été publié dans le même numéro de la revue que la contreenquête
de Maddox, Stewart et Randi. En réalité, alors que mes recherches
consistaient à observer
un des signes de la dégranulation, la non-coloration desbasophiles, Metzger cherchait à constater une libération de médiateurs chimiques
de type amines, dont la fameuse histamine. Ce phénomène fait effectivement
partie du processus de dégranulation, mais n
est pas celui que nous noussommes attachés à détecter dans le cadre des expériences relatées dans
Nature.Dans le processus de dégranulation des basophiles, la libération d
histamineintervient seulement à un stade avancé et suppose une réaction plus nette et
plus complète que celle que nous obtenions avec des réactifs très dilués. A aucun
moment, nous n
avons prétendu que les hautes dilutions provoquaient toutela gamme
des effets entraînés par les concentrations classiques. En outre, Metzgera utilisé des mastocytes (globules blancs contenus dans les tissus) prélevés
sur des rats, alors que mes expériences portaient sur des basophiles (globules
blancs du sang) prélevés sur l
homme. Ses expériences portaient enfin sur desmastocytes transformés (rendus cancéreux pour qu
ils se développent mieux) etnon sur des cellules saines. Quelques légères différences.
En d
autres termes, Metzger, qui prétendait apprécier la reproductibilité demes expériences grâce à une manipulation présentée comme analogue, était
parti à la recherche d
un phénomène différent de celui que nous avions constaté,en utilisant un autre type de cellules ne provenant pas du même type d
organismevivant. En toute rigueur scientifique, il en avait tiré la conclusion que
mes expériences ne fonctionnaient pas ! Cela peut paraître hallucinant de la
part d
un membre éminent du NIH (National Institute of Health), léquivalentaméricain de l
Inserm en beaucoup plus puissant, mais cest pourtant ainsi queles faits se sont déroulés. En raison du poids scientifique de Metzger, les consé-
52
quences néfastes de son compte rendu d
expériences paru dans Nature, aussimal fichu soit-il, ont été considérables.
Un deuxième rapport d
évaluation de lunité 200 est donc établi, aprèsconsultation de ces deux anglo-saxons scientifiques. Sur la base de ce rapport, le
conseil scientifique de l
Inserm se prononce en juillet 1989 pour le maintien del
unité 200, mais recommande également de " différer le renouvellement dumandat du directeur en raison du caractère insuffisamment structuré du programme
et des perspectives scientifiques, et de l
insuffisance des réponses donnéesaux objections scientifiques graves qui lui ont été opposées ". Vu mon rôle
dans la création et le fonctionnement de l
U 200, cest une condamnation àmort.
En juillet 1989, je rencontre le directeur général de l
Inserm, Philippe Lazar.Il me remet à cette occasion une longue lettre dans laquelle il m
annonce lemaintien de l
unité 200 jusquau terme normal de son existence administrative1,ainsi que le renouvellement temporaire de mon mandat de directeur jusqu
àla fin de l
année 1989, contrairement à ce que demande la motion duconseil scientifique. Et Philippe Lazar précise : " (...) Sous réserve de la qualité
scientifique de leurs travaux, la liberté des chercheurs dans le choix de leurs
hypothèses et de leurs modalités de travail ne saurait être limitée que par le respect
des règles du droit commun et par le respect de l
éthique et de la déontologie.Il faut, dès lors, que nous acceptions d
assumer les conséquences éventuellesde ce refus délibéré de toute censure idéologique, garant irremplaçable
de toute créativité. "
Ce genre de rappel est en général un très mauvais présage. Après de longues
recommandations sur les nécessaires vérifications des expériences de hautes dilutions
auxquelles je dois désormais m
atteler, Philippe Lazar, en complète cohérenceavec son petit préambule sur la censure, comme on pourra en juger,
me conseille de renoncer, " pour un temps, à [m
] exprimer sur ce sujet en dehorsde revues scientifiques de haut niveau ".
Je ne suis donc que provisoirement reconduit à la tête de l
unité que jaicréée, à condition de fermer ma gueule. Un dossier de presse consacré à la décision
de l
Inserm est remis le lendemain aux journalistes lors dune conférencede presse à laquelle je ne suis pas convié, au mépris de toutes les règles administratives
qui imposent que des appréciations surtout si elles sont négatives sur
l
activité dun fonctionnaire ne puissent être rendues publiques sans son accord.Ironie de l
actualité, à côté de larticle du Monde du 11 juillet 1989 quiannonce cette semi-sanction, un papier signale la promotion au grade de com-
1
La durée de vie d'une unité de l'Inserm est limitée à douze ans.53
mandant d
un autre fonctionnaire dynamiteur, sans doute plus prompt que moià la boucler : il s
agit de lex-" fausse épouse " Turenge, impliquée dans laffairedu
Rainbow Warrior.54
CHAPITRE 5
Censure scientifique
En cette année 1989, je me retrouve donc bien seul, mais fort déterminé à
poursuivre mes recherches sur les hautes dilutions. Je suis sommé de démontrer
la reproductibilité (pourtant déjà acquise) de ces expériences, sous peine de
voir mes recherches condamnées à être exclues du champ de la science par des
gens qui en sous-main déploient toute leur énergie pour que les moyens de
produire les preuves de cette reproductibilité me soient retirés. A partir de cette
période, en effet, les crédits de fonctionnement de l
U 200 alloués par lInsermont tendance à diminuer. Comme par hasard. Progressivement, les contrats passés
entre mon unité et les firmes pharmaceutiques, qui représentent des ressources
comparables en importance aux crédits publics, ne sont pas renouvelés,
bien que la plupart portent sur les traitements de l
inflammation et de lallergieà doses classiques et non pas homéopathiques. Un incident me confirme l
ostracismedont je suis désormais l
objet : un haut responsable dune des plus importantesfirmes pharmaceutiques françaises me propose de venir donner dans
cette entreprise une conférence de présentation de mes travaux sur les hautes
dilutions. Je le préviens que l
organisation dune telle réunion va sans doute serévéler impossible pour lui. Il se récrie en protestant de la liberté de parole qui
règne dans cette société. Quelques semaines plus tard, il m
expliquera par courrierqu
il se débat " comme un diable dans un bénitier " pour obtenir que jepuisse venir parler de mes recherches. L
invitation ne me parviendra jamais.Le " procès " qui m
est intenté (sans avocat, sans respect des droits de la défense)m
apparaît dautant plus injuste que lexigence de reproductibilité, à laquelleje me suis soumis, me semble prématurée à ce stade de mes recherches.
Tout au moins dans les termes réducteurs où elle est posée. Je me trouve en effet
dans une phase d
élaboration, qui nécessite des tâtonnements et la correctionde certaines erreurs. Dans l
histoire des sciences, aucun programme de recherche tant soit peu novateur na fonctionné de façon reproductible du premier coup.
C
est lessence même de la recherche que ces erreurs, ces chassesfiévreuses au détail qui coince ou qui fait que ce que l
on a vu hier napparaîtplus aujourd
hui. Exemple : il a fallu vingt-cinq ans pour reproduire55
l
expérience initiale dOtto Loewi sur la transmission chimique de linflux synaptique,une des avancées les plus improbables et les plus fécondes de la physiologie
moderne
1. Aujourdhui, le phénomène dit de la mémoire de leaufonctionne tous les jours dans mon labo, avec une technique si simple que nous
la mettons à la disposition de tous sur internet.
Mais, en 1989, malgré les affronts, les lâchages, les collègues qui m
évitent oune me saluent plus, je continue à reproduire mes expériences de dégranulation
des basophiles à haute dilution en cherchant par tous les moyens à trouver la
faille, l
erreur, lexistence dun biais opératoire qui pourrait expliquer linexplicable.Je prends en compte les critiques qui ont été soulevées par Nature quant
à de supposées erreurs d
échantillonnage. Je fais sélectionner des échantillonsde sang afin qu
ils contiennent un nombre suffisant de basophiles et je préciseraidésormais dans les comptes rendus d
expériences destinés à publication queseuls les échantillons de globules blancs basophiles qui réagissent à doses classiques d
anticorpssont utilisés pour les expériences de hautes dilutions.
Au cours de l
année 1989, au moment où ma position à la tête de lunité 200est menacée, je reçois le renfort d
Alfred Spira, lun des meilleurs spécialistesfrançais de la statistique appliquée à la biologie, directeur de l
unité 292 de lInserm.Spira n
est pas un ami personnel, mais nous nous connaissons depuis unevingtaine d
années et nous sommes côtoyés quelques années auparavant auconseil scientifique de l
Institut. Quelques jours après que Le Monde a relaté lesdifficultés rencontrées par mon équipe, il envoie au même journal une " tribune
libre " : " Lorsqu
un chercheur pose des questions qui remettent en causeles savoirs établis, il fait son travail, tout son travail, écrit Spira. Vouloir l
empêcherde poursuivre ses investigations, alors qu
on na pas démontré quil étaitdans l
erreur, est une limitation indéfendable de sa liberté, de notre liberté2. "Spira décide de m
apporter sa collaboration et, puisque Nature a critiqué mesméthodes statistiques, il m
aide à élaborer un protocole de recherche très rigoureuxet des outils de traitement statistique inattaquables. Le nombre
d
expériences, les méthodes de codage, le choix du matériel, lorganisation,l
ordre et la durée des opérations de manipulation, les délais : tout est rigoureusementprévu et codifié de façon extrêmement détaillée. Ce protocole prend en
compte les remarques et suggestions méthodologiques (sensées) qui m
ont étéadressées depuis le début de l
affaire de la mémoire de leau. Il sagit pour moiet mon équipe de pouvoir convaincre ceux qui ont rejeté ou écarté nos travaux
sur des critères de méthodologie.
1
Cf. chapitre 10, p. 110.2
" Recherche et vérité ", Le Monde, 13 juillet 1989.56
De nouvelles séries d
expériences dactivation et dinhibition de la dégranulationdes basophiles sont effectuées en aveugle à Clamart, selon le nouveau
protocole. Les tubes sont codés par une collaboratrice d
Alfred Spira, présentechaque jour à l
unité 200. Les résultats sont quotidiennement transmis à lunité292, puis décodés et analysés par son équipe. Pendant ces quelques mois, la tension
est vive dans le labo, car Spira ne nous livre pas sur-le-champ le décodage
de la numérotation des tubes testés par Élisabeth Davenas. Nous ne devons être
informés de la nature de nos résultats qu
à lissue des expériences et del
analyse statistique des données. Sans men avertir, et comme je lapprendraipar la suite, Alfred Spira fait en outre superviser son travail par un autre statisticien.
À l
issue des expérimentations, les résultats confirment lexistence dun effetde dégranulation à hautes dilutions. Dans le courant de l
année 1990, ÉlisabethDavenas, Alfred Spira et moi-même cosignons donc un article que nous proposons
à
Nature et à la revue américaine concurrente Science. Toutes deux refusentde le publier. Dans le cas de
Nature, cest dautant plus scandaleux que cette séried
observations prend en compte toutes les remarques relatives aux erreursde méthodologie soulevées dans la contre-enquête conduite en juillet 1988 par
le rédacteur en chef John Maddox. Ce dernier prétend en outre ne pas connaître
l
équipe de biostatisticiens dAlfred Spira, alors que ce groupe, installé à Villejuif,jouit d
une renommée internationale.Un article reposant sur ces expériences sera finalement publié dans les
Compterendus de l
Académie des sciences de Paris, dans des conditions rocambolesques. LesComptes rendus
ne constituent pas une revue de grande importance internationale.Ils ont suivi en cela le destin de l
Académie des sciences, lune des premièresinstances scientifiques au monde au début du
XXe siècle, qui nest plus denos jours qu
une académie un peu " provinciale ", sans impact international. Lefonctionnement de sa revue, les
Compte rendus, présente deux particularités. Enpremier lieu, l
article doit être parrainé par un membre de lAcadémie dessciences, ce qui explique que l
on y trouve assez peu de textes révolutionnairesou même innovants. Ensuite, les papiers proposés sont, sous réserve d
acceptation,publiés assez rapidement en comparaison avec les délais de plusieurs mois
qu
imposent les grandes revues. Cela peut être utile à un chercheur qui sentqu
il est sur le point de se faire " griller " par un concurrent qui travaille sur lemême thème. Dans notre cas, il ne s
agit dailleurs pas de publier rapidement,mais de publier " tout court " le fruit de longs mois de labeur. Autre bonne raison
de proposer l
article aux Comptes rendus, un texte déplorable, intitulé " La"Mémoire de l
eau" : remarques sur le test utilisé ", y est paru au printemps57
1990. Ce texte est signé du chimiste Jean Jacques. Il a été c
est triste à dire parrainé par le prix Nobel de chimie Jean-Marie Lehn. Dans son article, Jean
Jacques suggère que la réaction des basophiles, qui se traduit entre autres par
une perte de coloration, serait due uniquement à l
agitation des tubes contenantles dilutions successives du produit actif, l
anti-IgE. Pour simplifier, JeanJacques estime que le colorant utilisé pour le comptage des basophiles serait
sensible à une oxygénation des liquides de dilution, oxygénation produite par
l
agitation des tubes. Daprès lui, dans le cas des solutions à très hautes dilutions,là où il n
y a plus de molécules danti-IgE, ce serait donc lagitation ducolorant qui produirait la dégranulation des basophiles et non une quelconque
mémoire que l
eau aurait conservée du passage de lanti-IgE. Mais il suffit derelire correctement l
article de Nature pour sapercevoir que les solutions" contrôles " (dont les tubes initiaux, avant dilution, ne contiennent que de
l
eau désionisée ou des réactifs auxquels les basophiles ne sont pas sensibles)sont soumises à agitation
tout comme les solutions actives. Ce ne peut donc être laseule agitation
du mélange basophiles + solution active (ou contrôle) + colorantqui produit la réaction.
Je ferai remarquer son erreur à Jean Jacques quelque temps plus tard dans
une réunion où le hasard nous réunit. " Ah bon, je ne savais pas que les tubes
contrôles étaient agités ", me répondra-t-il en prenant un air catastrophé tandis
que la sueur perle à son front.
Si Jean Jacques m
avait simplement téléphoné, je lui aurais expliqué son erreur.Mais une fois son article publié et présenté par un lauréat Nobel, quelle
tristesse (bis) ! , le mal est fait. Je décide donc de proposer à l
Académie dessciences un article rédigé conjointement par mon équipe et celle d
Alfred Spira,en vue d
une publication dans les Comptes rendus. Comme un parrainage estnécessaire, je décide de faire appel au parrain de l
article de Jacques, Jean-MarieLehn. Par une très courte lettre, le prix Nobel de chimie m
informe de son refus,qu
il justifie par le fait que la biologie nest pas sa spécialité. Je ne peuxtrouver meilleure analyse de cette attitude que celle de Michel Schiff : " Le refus
que lui adressa ce chimiste illustre bien les liens entre censure scientifique et
rapports de force. Après avoir déclaré que "l
information finit toujours par êtrepubliée si un travail est réalisé avec une méthodologie correcte", l
éminent chimistese retrancha derrière un alibi formel lié à son domaine de compétence.
Ainsi, il aurait été compétent pour juger de la pertinence de l
article de Jacquesen tant que critique des expériences sur les hautes dilutions. Par contre, il
n
aurait pas été compétent pour juger des expériences elles-mêmes1 ! "1
Op. cit., p. 144. Michel Schiff fait référence à une interview de Jean-Marie Lehn parue dans Le Monde du 30 juin1986, déjà évoquée au chapitre précédent.
58
Pour obtenir publication de notre article, je dois avoir recours au parrainage
d
un autre chimiste, le professeur Pierre Potier, lun de mes rares soutiens possiblesau sein de l
Académie des sciences. Potier me rapportera plus tard la scènecocasse qui se produit lors de l
examen des textes proposés aux Comptes rendus:
" Quel est le c... qui a osé présenter ce texte ? demande Jean-Pierre Changeux,
éminent professeur de neurobiologie au Collège de France et farouche
opposant à mes travaux
1. C
est moi, monsieur. Avez-vous des remarques à formuler ? " répond Potierqui n
a cure du pouvoir des mandarins.Grâce au soutien de Potier, l
article est finalement accepté par lAcadémie,après la procédure classique d
examen par des referees. Ces derniers produisentd
ailleurs des observations fort rigoureuses auxquelles nous apportons les réponsesnécessaires. Simultanément, des pressions sont exercées sur Alfred Spira
pour qu
il ne sassocie pas à cet article.La parution est programmée au premier trimestre 1991. Comme je crains
que l
Académie ne fasse traîner les choses, je demande les coordonnées del
imprimeur sous prétexte de vérifier la bonne lisibilité dune courbe ou duntableau. L
imprimeur minforme que le texte est en cours dimpression et meconfirme la date de publication. Mais au jour prévu, la revue ne paraît pas.
J
apprendrai plus tard que la direction des Comptes rendus a fait pilonner lesexemplaires imprimés lors d
un premier tirage pour faire rajouter lunique paragraphesuivant :
" Les secrétaires perpétuels indiquent que cette Note est publiée au titre du
droit de réponse
à une note de M. Joan Jacques intitulée La "Mémoire de leau" :Remarques sur le test utilisé
2 (...). "La précipitation a été telle que " Jean " est devenu " Joan ". Le but de la manuvre
est, oserais-je dire, clairement confusionniste : faire passer notre article,
fruit de longs mois de travail, pour un simple " droit de réponse " au sens légal
du terme. Selon la législation en vigueur dans la presse, le droit de réponse
suppose le respect d
un certain formalisme (délais, lettre recommandée au directeurde la publication, réponse d
une longueur égale au passage qui met encause la personne, etc). Or, lorsqu
une revue scientifique spécialisée publie unarticle relatif aux travaux d
un chercheur et que celui-ci souhaite y répondre, iln
a jamais besoin de recourir à cette procédure légale. Pour leur part, les revuespublient les réponses au titre du débat qui doit naturellement s
instaurer dansla communauté. Ainsi
Nature jallais dire " même " Nature a certes refusé des1
Voir plus loin, p. 58.2
Cette note accompagne l'article qui est intitulé " L'agitation de solutions hautement diluées n'induit pas d'activitébiologique spécifique ", Jacques Benveniste, Élisabeth Davenas, Béatrice Ducot, Béatrice Cornillet, Bernard
Poitevin et Alfred Spira, C. R. Acad. Sci., Paris, 1991, t. 212, Série II, pp. 461-462.
59
contributions que je lui ai spontanément proposées, mais a toujours accepté
mes textes en réponse à des articles publiés dans ses colonnes et concernant
mes travaux. Je n
ai jamais été contraint dactionner une quelconque procédurede droit de réponse.
En limitant la portée de notre article, mes ennemis au sein de l
Académie dessciences les tenants de la Science officielle ont voulu, de façon mesquine, se
venger de l
avoir laissé publier dans les Comptes rendus. Si lon se place selon leurpoint de vue, celui de la censure scientifique, ils ont de très bonnes raisons
d
enrager à ce propos. Notre article nest pas une simple réfutation de la grotesquehypothèse de Jean Jacques. Au prétexte de cette clarification, nous exposons
les résultats de plusieurs mois d
expériences et démontrons que le réactifanti-IgE à haute dilution dans de l
eau désionisée provoque bien une dégranulationsignificative des basophiles humains. A l
inverse, les deux " contrôles ",c
est-à-dire dune part leau distillée et dautre part lanti-IgG (anticorps auquelles basophiles ne sont pas sensibles), hautement dilués dans de l
eau désioniséeet également soumis à agitation, ne provoquent pas de réaction. Nous montrons
aussi que l
Apis mellifica (produit obtenu à partir de labeille écrasée, contenantentre autres du venin et donc de l
histamine), hautement dilué et agité dans del
eau salée, inhibe la dégranulation, tandis que la seule eau salée diluée et agitéen
entraîne pas deffet significatif.Que pouvons-nous faire, dire ou écrire de plus ? Rien. Ce n
est dailleurs pasla peine. Bien qu
il ait été largement commenté dans la presse, notammentdans
Le Monde, larticle des Comptes rendus ne modifie en rien la position deceux qui ont condamné sans procès, et définitivement, les expériences de dégranulation
des basophiles à hautes dilutions.
J
ai la nette impression que toutes les preuves et justifications que je pourraiavancer à l
appui de cette thèse seront considérées comme irrecevables, sansfaire l
objet dune analyse rigoureuse. Nombreux seront les scientifiques françaisen proie à cette " double constance " : ils refusent d
assister à mes expériencesou d
en lire les comptes rendus, mais se permettent de les condamnerpar des arguments dépourvus de la moindre parcelle de scientificité. L
exempletype est celui du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, issu du groupe Pasteur,
professeur au Collège de France, ancien président du conseil scientifique de
l
Inserm, successeur de Jean Bernard à la présidence du Comité nationald
éthique (excusez du peu). Avant laffaire de la mémoire de leau,j
entretenais avec Changeux des rapports plutôt cordiaux. Il mavait fait part unjour de son étonnement admiratif en apprenant que j
avais signé un article dansle
Proceedings of the National Academy of Science, la revue de lAcadémie des sciencesaméricaine, le top-niveau des publications de recherche fondamentale. Le
domaine de recherche dans lequel j
exerçais (inflammation, recherche médi-60
cale) n
était certainement aux yeux de Changeux quune discipline mineure.Dès que la polémique sur la mémoire de l
eau sera lancée, il deviendra lun desdétracteurs les plus virulents de cet aspect de mes travaux. Et l
un des plus influents.Lorsque quelqu
un lui demandera : " Mais, avez-vous au moins assisté àune expérience de Benveniste ? ", sa réponse, cristal d
arrogance bornée, sera :" Pourquoi y assisterais-je puisque c
est idiot ? " Quelle puissance dans le raisonnement! Quelle rigueur dans la démonstration ! Le plus surprenant est que
Changeux, lorsqu
il marrive de le croiser, assure me tenir en très haute estimepersonnelle et scientifique.
Autre illustration plus récente, un ancien secrétaire perpétuel de l
Académiedes sciences, le professeur Paul Germain, en réaction à une longue enquête sur
la mémoire de l
eau publiée en 1997 par un grand quotidien, écrira : " [la directiondu
Monde] aurait-elle voulu semer la confusion sur la nature des résultatsscientifiques, et favoriser chez les lecteurs l
assimilation des sciences aux parasciencesqu
elle naurait pas pu procéder plus efficacement1. "Sur quoi se fonde l
avis du professeur Germain lorsquil traite mes recherchesde parascience ? Pas sur des bases scientifiques, puisque je ne l
ai jamaisrencontré, qu
il na jamais mis les pieds dans mon laboratoire. A-t-il jamais prisconnaissance d
un seul des articles que jai rédigés sur les hautes dilutions ?Une telle réaction relève, selon moi, d
un respect aveugle et intangible del
idéologie scientifique dominante. Dans tout autre champ intellectuel ou social un juge rendant un jugement sans attendus , une telle attitude totalitaire serait
condamnée. Dans le domaine des sciences (comme dans celui... des religions),
elle ne l
est pas.Parallèlement à ce refus d
examiner les arguments et les " offres de preuves "que je produis, je vois toujours défiler de multiples hypothèses visant à expliquer
les résultats de mes expériences sur les hautes dilutions par des artefacts.
J
ai déjà mentionné la théorie du " bouchon " de molécules qui flotteraient à lasurface des tubes et se retrouveraient ainsi présentes dans les dilutions successives
2,et le consternant article de Jean Jacques dans les
Comptes rendus de lAcadémiedes sciences
. Mais je me dois dévoquer une autre hypothèse dartefact fondéesur une " contamination " supposée des tubes à essais par le réactif anti-IgE. Elle
m
a été suggérée par un physicien. En 1991, alors que je suis encore à la recherched
une explication de lactivité des hautes dilutions, je sollicite par courrierl
avis de ce physicien sur lhypothèse dun signal électromagnétique qui seraitémis par les molécules, stocké puis restitué par l
eau3. Dans sa très succinctelettre de réponse, il explique notamment : " Je me demande tout de même si
1
Le Monde, 8 février 1997.2
Voir chapitre 4, p. 44.3
Pour plus de détails sur cette hypothèse, voir chapitre 6, p. 69.61
l
adsorption de protéines à la paroi eau/verre ne bouleverse pas les concentrationsnominales affichées. "
En d
autres termes, il suggère que, lors des expériences de hautes dilutions,des molécules du principe actif de départ demeureraient présentes dans les dilutions
successives car elles adhéreraient au verre des tubes à essais (adsorption)
1
. Comment un scientifique peut-il tenir de tels propos ?Premièrement, le phénomène d
absorption ne peut être un facteur decontamination des tubes ou des pipettes, mais au contraire un facteur
d
élimination des molécules (puisquelles adhèrent au verre). À moins deconsidérer que les molécules choisiraient, à chaque opération de dilution, de se
détacher des parois de verre à l
endroit et au moment précis (ni avant ni après)où est prélevée la goutte de solution destinée à la dilution suivante.
Deuxièmement, le physicien aurait dû, avant de se prononcer en ce sens, se
renseigner sur les protocoles utilisés lors des expériences de hautes dilutions. Il
ne sait pas, parce qu
il na pas cherché à le savoir, que les tubes et pipettes àusage unique (qui, selon lui, retiennent les molécules sur leurs parois) sont jetés
après chaque dilution et remplacés par des tubes et pipettes neufs pour la dilution
suivante. Ces derniers n
ont jamais vu la moindre molécule et si des moléculesen provenance de la dilution précédente se retrouvent adsorbées, elles
seront jetées avec le tube lors de la dilution suivante. Ce système fonctionne
comme un éliminateur de molécules et non l
inverse.Certes, il ne s
agissait que dun échange épistolaire à caractère privé. Mais cephysicien a adopté la même attitude que celle de Jean Jacques et de beaucoup
de ceux qui se sont exprimés lors de la polémique sur la mémoire de l
eau : ilsdonnent un point de vue sur des résultats scientifiques sans avoir examiné les
conditions matérielles de l
expérimentation.Tout cela ne serait pas trop grave si le physicien en question était professeur
de lycée à Oulan-Bator, mais ce n
est pas le cas : il sagit du lauréat du prix Nobelde physique 1991, Pierre-Gilles de Gennes. On peut alors légitimement se
poser la question suivante : De Gennes est-il incapable d
une pensée cohérente? À mon avis, certainement pas. Mais on est ici dans le cas typique de
l
obéissance à lidéologie dominante, une idéologie qui joue pleinement sonrôle : celui d
aveugler les hommes. On retrouve ce même aveuglement danstoutes les guerres de religion ou à propos des grands mouvements politicohistoriques
: Aragon n
était pas un imbécile, il aurait dû (re)connaître plus tôtla réalité de la dictature stalinienne, il ne l
a pas fait.1
Pour m'amuser, j'ai coutume de dire que ce physicien a découvert un nouveau type de molécules : les" gluons ".
62
En France, je n
ai pas été le seul scientifique à travailler sur les hautes dilutionspendant cette période. Une équipe de la faculté de pharmacie de Montpellier
dirigée par un professeur d
immunologie, Madeleine Bastide, leur a égalementconsacré de nombreuses études. Certaines ont été rendues publiques
dès le début des années 80. En 1993, cette équipe a publié un article dans
l
International Journal of Immunotherapy1. Les expériences portaient sur des embryonsde poulets auxquels on avait supprimé un organe permettant la production
d
anticorps. Les embryons ainsi modifiés avaient été ensuite perfusés, pourcertains avec du sérum physiologique (eau salée) témoin, pour d
autres avec detrès hautes dilutions de bursine, substance fabriquée par l
organe retiré auxembryons. Résultat : les poulets issus des embryons ayant reçu du sérum témoin
n
ont pas produit danticorps, tandis que ceux qui avaient été perfusés à la bursinehautement diluée en ont fabriqué, comme s
ils avaient conservé lorganedont ils étaient privés. Le professeur Bastide a en outre constaté que plus la bursine
était diluée (jusqu
à 10-30, bien au-delà du seuil de 10-18 qui correspond à ladisparition des molécules dans les dilutions), plus la capacité de réponse immunitaire
des poulets était restituée.
Lorsque j
ai appris la publication de larticle dans cette revue, plutôt mineuremalgré son titre ronflant, j
en ai adressé copie à différents quotidiens nationauxqui l
ont évoqué. Il sagissait bel et bien là dune forme de reproduction duprincipe des expériences de hautes dilutions. Et pourtant cette étude, publiée à
quelques mois du début d
une série dexpériences conduites par mon équipeen collaboration avec celle de Georges Charpak
2, na eu aucun effet bénéfique,même indirect, pour la reconnaissance de nos recherches.
Autre exemple d
études sur les hautes dilutions, les travaux coordonnés parle professeur Marcel Roberfroid, de l
université de Louvain. Ce biochimiste feraréaliser durant les années 90 trois mille six cents expériences sur le modèle de
l
inhibition de la dégranulation des basophiles par de hautes dilutionsd
histamine. Ces expérimentations sont assez proches de celles effectuées dansmon laboratoire au milieu des années 80
3.Les expériences coordonnées par Roberfroid seront conduites dans quatre
laboratoires européens. Elles seront, semble-t-il, financées par les laboratoires
Boiron. Le biochimiste estime que " l
analyse scientifique globale [de ses résultats]démontre de façon indiscutable un effet de l
histamine diluée4 ". Mais àpropos de mémoire de l
eau, il explique : " Je ne prends pas parti. La science1
International Journal of Immunotherapy, IX (3), pp. 169180, Youbicier-Simo, Boudard, Mekaouche, Bastide etBaylé, université de Montpellier et faculté de pharmacie de Montpellier.
2
Voir chapitre 8.3
La première version de notre article, proposée à Nature en 1986, reposait d'ailleurs sur le processus d'inhibitionde la dégranulation.
4
Le Monde, 23 janvier 1997.63
n
admet pas encore leffet des hautes dilutions. Alors parler de mémoire1... "Curieuse conception de la recherche. Roberfroid a constaté un phénomène,
identique à celui que j
ai observé pendant des années, mais il refuse tout rapprochemententre son travail et les résultats que j
ai obtenus. Première différenceinvoquée par Roberfroid : le test de dégranulation des basophiles qu
ilutilise n
est pas le même que le mien. Il sagit dune méthode mise au point parJean Sainte-Laudy, l
un des treize signataires de larticle paru en juin 1988 dansNature
, le texte qui a déclenché la polémique. Sainte-Laudy sest initié à la dégranulationdes basophiles dans mon laboratoire au début des années 80. Il est
exact que son test de dégranulation des basophiles se distingue du mien en
deux points : il suppose l
utilisation dun autre colorant ; la méthode de comptagedes basophiles fait appel à un trieur automatique de cellules et non à un
décompte au microscope électronique. Ces deux variantes ne sont pas essentielles
quant à la nature du phénomène constaté, mais Roberfroid et Sainte-Laudy
semblent tenir à toute force à ce que leurs recherches ne puissent confirmer les
miennes. Ils s
accrochent également à un deuxième argument assez faible :leurs expériences concernent l
inhibition de la réaction de dégranulation desglobules blancs basophiles grâce à de hautes dilutions d
histamine, alors quecelles qui ont fait l
objet de larticle de Nature reposaient sur lactivation de ladégranulation. A leurs yeux, cela constitue une différence majeure. En réalité,
activation et inhibition de la dégranulation relèvent du même processus et font
appel aux mêmes mécanismes, mais en sens inverse. Dans cette piteuse tentative
de ne pas voir leurs expérimentations comparées aux miennes et leurs noms
associés au mien, Roberfroid et Sainte-Laudy reçoivent le renfort de Philippe
Belon, directeur scientifique des laboratoires Boiron
2. Pour mémoire, PhilippeBelon était également cosignataire du premier article de
Nature. Le monde estdécidément bien petit.
Étrangement, le professeur Roberfroid et les laboratoires Boiron, qui disposaient
des résultats de ces milliers d
expériences réparties sur plusieurs années,n
ont même pas essayé de les faire publier dans une revue de référence. Seul lejournal
Le Monde y fera allusion dans une longue enquête publiée en janvier1997. Encore faut-il préciser que c
est moi qui ai recommandé au journaliste deprendre contact avec cette équipe d
intrépides chercheurs.Pour être tout à fait exact, il semble que ces derniers aient produit quelque
effort en proposant un article à la revue
Lancet qui laurait refusé. Il est vrai quedepuis le début de cette affaire, tout texte hostile à l
hypothèse de la mémoirede l
eau est immédiatement publié, alors que les argumentations en sa faveursont largement censurées. Pourquoi ne pas exposer sur la place publique ces
1
Ibid.2
Voir Le Monde, 23 janvier 1997, p. 14.64
atteintes à la liberté de pensée ? Comment expliquer l
attitude de ces scientifiques(et de la firme qui les finance) qui ont en main de quoi faire tarir les torrents
de boue déversés sur leur activité professionnelle et qui se tiennent cois ?
Je n
en sais rien, cela dépasse mes capacités de compréhension.65
CHAPITRE 6
Le champ des molécules
L
absence de réaction de la communauté scientifique à la parution de notrearticle dans les
Comptes rendus de lAcadémie des sciences me conforte dans le sentimentque je dois changer de stratégie pour faire admettre l
hypothèse dune" mémoire " de l
eau. Comme César raison nest pas comparaison répudiantsa femme parce que la fausse rumeur court qu
elle la trompé, je dois abandonnerla dégranulation des basophiles, ou tout au moins ne plus faire état publiquement
de mes recherches dans ce domaine. Il faut préciser que, plusieurs
années après la publication de l
article initial de Nature (juin 1988) et à linstardu chimiste Jean Jacques
1, divers individus sacharnent encore à vouloir décrédibiliserces expériences. La revue
Nature, qui a pourtant refusé en 1990 les projetsd
articles relatant les expérimentations réalisées en collaboration avecl
unité Inserm de biostatistiques dAlfred Spira, continue à ouvrir ses colonnes àdes chercheurs qui prétendent avoir tenté sans succès de reproduire fidèlement
l
expérience de dégranulation des basophiles. Jai déjà mentionné les " expériences" d
Henry Metzger sur les mastocytes de rats. Parti à la recherche dunphénomène différent de celui que nous avions constaté (la libération d
histamineet non la simple dégranulation), travaillant sur des globules blancs mastocytes
tissulaires tumoraux d
origine animale (et non pas sur des basophiles sanguinssains d
origine humaine), Metzger ô surprise nétait pas parvenu auxmêmes résultats que nous. Dans le même registre, il y aura encore plus fort. En
décembre 1993, un article intitulé " La dégranulation des basophiles humains
n
est pas induite par de très hautes dilutions dantisérum anti-IgE " est publiédans
Nature. Lintitulé de cet article est lexact contre-pied de celui de notre papierde 1988 : " Dégranulation des basophiles humains induite par de très hautes
dilutions d
antisérum anti-IgE. " Les auteurs, MM. Hirst, Hayes, Burridge,Pearce et Foreman, tous issus d
un département de statistique scientifiqued
une université de Londres, affirment avoir reproduit exactement le protocolede 1988. Contrairement aux usages, ils ne m
ont à aucun moment contactépour aborder les questions de méthodologie. Pour reproduire avec quelque
1
Cf. chapitre 5, p. 56.66
chance de succès une expérience réalisée par un autre laboratoire, la pratique
normale consiste à demander au collègue tous les détails nécessaires à
l
organisation de létude, voire de dépêcher un technicien dans son laboratoirepour observer ses expérimentations et se former à ses méthodes. Puis la mise au
point du protocole définitif suppose l
échange dune foule de petites informationsde détail (la nature du plastique des tubes à essais, l
origine et parfois lelot du réactif). C
est pour cette raison quune bonne part de la formation deschercheurs consiste en ateliers de recherche. Réaliser une expérience sur la base
d
indications écrites est aussi peu évident que de préparer, sans formation àla grande cuisine et à partir d
une simple recette, le plat dun chef prestigieux.À plusieurs titres, l
article de MM. Hirst et consorts est choquant. Toutd
abord, les auteurs se gardent bien de faire référence à larticle des Comptesrendus de l
Académie des sciences. Pourtant, le protocole utilisé pour les expériencescorrespondantes a pris en compte les remarques méthodologiques formulées
dans les articles et lettres de chercheurs parus dans
Nature en réaction à notrearticle de juin 1988. Par ailleurs, dans la formulation des conditions d
expérimentationet des conclusions, tout semble mis en uvre pour décourager le
lecteur. Je ne parviens finalement à déchiffrer le texte qu
après plusieurs lectureset relectures attentives avec l
aide dAlfred Spira.Sur le plan du protocole, je finis par relever une quinzaine de points de divergence
mineurs ou importants. Quelques exemples : une étape de centrifugation
des basophiles a été rajoutée
après leur mise en contact avec lanti-IgE (ouavec les solutions contrôles) au prétexte de concentrer les cellules, ce qui, en
fonction de la méthode de coloration que j
ai mise en uvre, est totalementinutile. La centrifugation n
est indispensable que pour la préparation deséchantillons
avant activation. Centrifuger les cellules après ladjonction du réactifou des contrôles introduit une différence essentielle entre leur protocole et
le nôtre. Les conséquences de l
introduction de cette variable ne sont pas mesurablescar personne ne connaît les effets du stress de la centrifugation sur les
basophiles et sur le processus de dégranulation. On ne peut donc parler d
unestricte reproduction de mes expérimentations.
Autre aberration, les auteurs ne fournissent pas les résultats réels des expériences,
mais uniquement une interprétation statistique de ces données. Il est
impossible, même pour un scientifique habitué à déchiffrer des articles de haut
niveau, et notamment les courbes, de savoir quels pourcentages de dégranulation
des basophiles ont été relevés dans telle ou telle série d
expériences. Paradoxalement,Hirst
et al., qui ne donnent pas leurs résultats bruts, nous reprochentde ne pas avoir indiqué dans l
article de juin 1988 les données brutes quenous avons obtenues. Cette affirmation est totalement fausse puisque l
article de1988 mentionne le nombre de basophiles contenus dans chaque échantillon
67
testé et le pourcentage de ces cellules ayant réagi. Par la suite, en réponse à nos
demandes écrites, ils nous signifieront clairement leur refus de nous communiquer
ces données brutes.
Un autre exemple de non-respect de notre protocole constitue par ailleurs
une monstruosité scientifique. Dans les expériences de l
équipe londonienne,les tubes actifs (contenant des hautes dilutions) et les tubes contrôles (liquides
témoins) ont été testés sur des sangs différents, alors que le fondement même
de l
existence des contrôles réside dans la comparaison de leurs effets à ceuxdes produits actifs
dans des conditions exactement identiques. Or, comme je lai déjàindiqué, en matière d
allergologie, les échantillons de sang provenant de deuxindividus, ou même deux prélèvements réalisés sur la même personne à deux
instants différents, réagissent rarement de façon semblable aux mêmes doses
d
un produit donné.En l
absence des résultats bruts, il nous faut des jours de travail, au biostatisticienAlfred Spira et à moi-même, pour démêler ce fatras et tenter de comprendre
la méthode statistique employée par les auteurs. Au prix d
un laborieux décryptage,nous nous apercevons que certains tubes donnent des résultats extrêmement
positifs, ce qui apparaît dans l
article malgré les efforts méritoires desauteurs pour le dissimuler. Mais les résultats positifs sont noyés dans une moyenne
statistique suffisamment large pour les réduire à néant
1. Et jaurai la (trèsrelative) surprise de retrouver inclus dans cette moyenne les résultats négatifs
obtenus en faisant réagir de hautes dilutions d
anti-IgE sur des échantillons debasophiles qui ne dégranulent pas à dose normale de ce même anti-IgE. Pourtant,
depuis cinq ans, j
ai déjà dû rappeler cent fois cette évidence : un sang quine réagit pas à dose pondérale ne peut être sensible aux doses extrêmement diluées.
Dans un admirable exercice de xylolalie (langue de bois), les auteurs (à
moins que ce ne soit le fait de la rédaction en chef de
Nature) ont intitulé " Ladégranulation des basophiles n
est pas induite par de très hautes dilutions... "un texte dont plusieurs passages indiquent exactement le contraire. Dans les
deux dernières lignes du " chapeau " de l
article, ce court texte en caractèresgras censé en résumer la teneur, les signataires indiquent même : " Nos résultats
contiennent une source de variation pour laquelle nous n
avons pas dexplication,mais aucun aspect des données ne correspond aux affirmations antérieurement
publiées (par Benveniste et son équipe). "
Trois commentaires :
1
Un exemple illustre très bien comment le traitement statistique peut annihiler un résultat : si l'on additionnela hauteur des vagues et la profondeur des creux de l'océan au large du cap Horn, on peut parvenir à la conclusion
qu'en termes statistiques, la mer est parfaitement plate.
68
1) De la part de statisticiens aussi aguerris, supervisés par la plus compétente
revue scientifique au monde, un tel embrouillamini dans la description des méthodes,
de telles variations sont étonnantes. Ce comportement est conforme à
l
attitude de Nature depuis le début de laffaire.2) Contrairement à ce qu
annonce le titre, les auteurs ont donc bien constatéun effet des solutions d
anti-IgE à haute dilution sur la dégranulation des basophiles,effet pudiquement baptisé " variations ", mais ils ne peuvent l
expliquer.Notre article de 1988, contre lequel ce texte prétend s
inscrire en faux, ne ditpas autre chose.
3) L
article affirme que les données (que lon refuse de nous fournir à létatbrut) ne concorderaient pas exactement avec celles que nous avons obtenues.
Au vu des dissemblances entre leur protocole et le nôtre, cela n
a rien détonnant.Sur tous ces points et sur quelques autres, j
adresserai, conjointement avecAlfred Spira, une réponse circonstanciée. Elle sera publiée par
Nature quelquesmois plus tard, longtemps après que le mal a été fait.
Si j
accorde ici autant de place à ce pitoyable simulacre de reproduction et àses conclusions biaisées, c
est pour montrer à quel point il est devenu vain des
appuyer sur le test de dégranulation des basophiles pour démontrer la réalitéde l
action des hautes dilutions. Je croyais en la bonne foi de ceux qui, pouradmettre la validité de mes conclusions, demandaient que mes expériences
soient reproductibles. Je ne pouvais imaginer que chaque fois que mon équipe
parviendrait à réitérer ces observations, des critères supplémentaires de reproductibilité
seraient exigés.
Je suis dans l
impasse. Tous les articles que je pourrai proposer sur ce thèmeà des revues de haut niveau n
auront dautre vocation que celle dêtre refusés. Àl
inverse, les textes hostiles, même mal étayés, trouveront toujours leur placedans ces mêmes publications.
Dès 1990, je me mets en quête d
un autre système expérimental. Dans lunité200 comme dans des dizaines de laboratoires de pharmacologie dans le monde,
une méthode fonctionne en routine : le système dit de Langendorff, mis au
point en 1897. Il s
agit dun cur de cobaye " isolé ", ce qui signifie quon lefait fonctionner in vitro. Avant que son cur soit prélevé, le cobaye a été rendu
allergique (dans notre jargon nous disons " immunisé ") à une ou plusieurs
substances. Remplaçant le sang, de l
eau physiologique1 est perfusée en permanenceà travers ce cur afin de mesurer le débit des artères coronaires et ses
variations. Par ailleurs, l
organe reçoit de temps à autre soit des solutions té-1
Essentiellement de l'eau contenant la même concentration de sel que le plasma.69
moins, soit des solutions véhiculant les réactifs à tester, en dilutions classiques
ou à hautes dilutions. Le système de mesure est simple : à intervalles réguliers,
par exemple chaque minute, un tube à essais vide se met en place automatiquement
et recueille le liquide physiologique après son passage par les coronaires.
Les écarts de niveau entre les tubes donnent la mesure de la modification
du flux. Comme la pression de l
eau qui circule à travers le cur est maintenueà un niveau constant, on mesure en fait indirectement le diamètre (la contraction
ou la dilatation) des coronaires.
Grâce à la sensibilisation préalable du cobaye à tel réactif, le cur isolé peut
détecter de manière très fine et très fiable toute trace de la substance en question.
Lorsque celle-ci est introduite dans la solution qui perfuse l
organe, cedernier réagit par un choc allergique. Le débit coronaire s
en trouve modifié.Mais il faut avoir présent à l
esprit que le cur isolé, même provenant dunanimal non immunisé, peut aussi être sensible à de nombreuses substances physiologiques
ou médicamenteuses.
Je décide d
expérimenter les hautes dilutions sur un cur isolé sensibilisé àl
histamine et à lovalbumine, une protéine présente dans le blanc duf. Nousmenons des expériences pendant plusieurs mois et constatons que les perfusions
de solutions très diluées d
ovalbumine ou dhistamine (celles qui se situentau-delà de la quinzième ou de la dix-huitième dilution décimale) produisent
des effets de contraction et de dilatation sur le cur, malgré l
absencesupposée de molécules. Ainsi le flux coronaire de tel cur varie de 25 ou 30 %
pendant les quelques minutes durant lesquelles la solution d
ovalbumine, diluéede dix en dix et agitée vingt fois, est perfusée. L
eau provenant des tubescontrôles, soumise au même traitement de dilution et d
agitation puis administréeen perfusion, n
influe pas ou seulement à une valeur non significative (5 %de variation du débit en plus ou en moins, ce qui correspond à l
erreur de mesureinhérente à toute expérience de ce type) sur le même organe. Ces résultats
se retrouvent avec constance sur plusieurs centaines d
expériences.Au vu des résultats répétés et confirmés obtenus à partir de deux systèmes
expérimentaux (dégranulation et système de Langendorff), la réalité de l
actiondes hautes dilutions m
apparaît donc acquise ; il sagit désormais pour moi depoursuivre et de préciser les hypothèses qui permettraient d
expliquer cette action.Dès les premières années de mes recherches en ce domaine, constatant que
l
effet des hautes dilutions ne pouvait être strictement moléculaire, je métaisorienté vers une explication physique et plus précisément électromagnétique. A
partir de 1988, j
avais suivi de loin les travaux de deux membres de lInstitut de70
physique nucléaire de Milan, Giuliano Preparata et Emilio del Giudice. En juin
1988, l
article de Nature sur la dégranulation des basophiles évoquait succinctementl
hypothèse des phénomènes électromagnétiques, en référence à des recherchesconduites par différentes équipes de physiciens dont celle de Milan.
Dans le cadre de leurs recherches, Preparata et Del Giudice s
étaient employésà expliquer certaines propriétés des liquides et des solides qui ne cadraient
pas totalement avec les lois établies de la physique traditionnelle. Par
exemple, les températures auxquelles l
eau se condense et gèle, et bien dautresconstantes de l
eau, constituent des anomalies au regard de la théorie. Les physiciensitaliens avaient élaboré une théorie dite des " domaines cohérents ", qui
postule que les molécules des solides et des liquides ne sont pas reliées entre
elles seulement par les forces
électrostatiques quexercent les molécules sur leursvoisines, comme il est communément admis. Selon leur modèle théorique, ces
molécules exerceraient également les unes sur les autres des forces, des champs
électromagnétiques
, à longue portée. La théorie de Preparata et Del Giudice a étépubliée pour la première fois en 1988 dans une importante revue de physique
1.Cette hypothèse de l
existence de champs électromagnétiques à longue portéeémis par les molécules, champs qui seraient stockés, conservés, puis restitués
par l
eau, peut expliquer lactivité dune solution dont les molécules sont absentes.Pour le vérifier, je prends contact avec des physiciens du Laboratoire
central du magnétisme du CNRS à Meudon. Nos discussions aboutissent à l
idéesuivante : il est peut-être possible de supprimer l
activité des hautes dilutions enles exposant de façon prolongée à un champ magnétique, ce qui tendrait à
prouver qu
elles renfermaient bien une activité de type électromagnétiqueavant exposition. Nous établissons ensemble un protocole d
expériences :j
enverrai des séries de tubes à essais contenant de lhistamine à dose pondérale(active) et de l
histamine diluée jusquà 10-41 à ce laboratoire2. Sur place, les différentstypes de tubes seront soumis à l
action de champs magnétiques de bassefréquence. Pourquoi des champs de basse fréquence ? pourrait se demander
l
observateur perspicace. Tout simplement parce que nous envisageons en premierlieu d
aller au plus court et au plus simple, en utilisant le courant alternatifdomestique dont la fréquence est de 50 hertz. Après exposition aux champs
magnétiques, les tubes me seront renvoyés afin que je teste les effets des solutions
sur les curs de cobayes. Près de cent expériences sont effectuées en 1990
et 1991 (notamment avec l
histamine, mais aussi avec dautres principes actifs).Ces expériences sont réalisées en aveugle, c
est-à-dire que les tubes que jetransmets au CNRS sont traités par les chercheurs, font l
objet dune numérota-1
E. Del Giudice, G. Preparata, G. Vitiello, " Water as a free laser dipole ", Physical Rewiew Letters, 1988, 61, pp.1085-1088.
2
Précisons encore une fois : en notation logarithmique, 10-41 ne signifie pas une dilution de 41 fois, mais par unfacteur de 1 suivi de 41 zéros.
71
tion codée par eux, puis me sont réexpédiés. À partir de la réaction des curs
de cobayes aux différents liquides qui leur sont perfusés, je constate que les
champs magnétiques annihilent l
effet de lhistamine à haute dilution, tandisqu
ils nont aucun effet sur lhistamine à dose active. Cela tend encore une foisà prouver que l
activité des hautes dilutions présente une spécificité par rapportà celle des doses classiques, et qu
en outre cette activité serait dorigine électromagnétique.Le laboratoire du CNRS en question peut attester la réalité des
résultats de ces expériences en aveugle. Ces chercheurs me l
ont souvent répété: " Les hautes dilutions, nous ne savons pas comment ça marche, mais ça
marche. "
Au printemps 1992, je parle de ces expériences conduites en collaboration
avec le CNRS à un ami électronicien.
" Si c
est un champ électromagnétique qui est émis par les molécules,m
explique-t-il, tu dois pouvoir le faire passer à travers un amplificateur et le fairecirculer. "
Je suis plus que circonspect quant à la possibilité de capter et d
amplifier detels signaux. Car, selon les connaissances de la physique la plus " officielle ", les
atomes, les molécules et les forces électriques qui s
exercent à ce niveau destructure de la matière produisent des vibrations qui se situent dans la gamme
des très hautes fréquences, de l
ordre du térahertz (1012 hertz), proches des infrarouges,juste en dessous de la fréquence des ondes lumineuses. A priori, il ne
saurait donc être question de les amplifier grâce à un matériel conçu pour traiter
le son perceptible par l
oreille humaine, cest-à-dire des ondes de lordre duhertz ou du kilohertz. Pourtant, les expériences conduites au Laboratoire central
du magnétisme semblent établir que les champs présents dans les hautes
dilutions se situent dans les basses fréquences. En outre, je connais vaguement
l
existence dappareils censés transmettre des données biologiques par un amplificateur.Il s
agit dinstallations utilisées par des homéopathes. Lun dentreeux, le docteur Attias, m
avait présenté quelques années auparavant le fonctionnementde sa machine, de la marque allemande Mora. À l
origine, lutilisationde ce type d
appareil est censée aider au diagnostic homéopathique en envoyantde faibles charges électriques aux points d
acupuncture. Selon certainshoméopathes, dont Attias, elle permettrait aussi de transmettre l
activité desubstances homéopathiques, depuis une ampoule contenant une dose de tel
produit placée sur un point de la machine vers une autre ampoule disposée en
un second point.
Cependant, comme souvent dans le mode de la médecine " alternative "
soyons justes, c
est fréquemment le cas aussi en médecine classique , on ne72
trouve guère de publications scientifiques de bon niveau capables d
étayer cesrésultats.
Pour ne négliger aucune hypothèse, mais nanti d
une dose pondérale descepticisme quant aux résultats d
une telle tentative, jexpérimente donc un appareilconçu par mon ami électronicien à partir d
un kit damplification téléphonique1.Le dispositif est le suivant : un capteur sur lequel reposent les tubes
à essais contenant les solutions est relié à un amplificateur. À la sortie de celuici,
les vibrations sont restituées à l
aide non pas dun haut-parleur mais dunebobine électrique. Sur le capteur d
entrée, je place un tube à essais contenantde l
histamine à dose classique (tube source) et, près de la bobine de sortie, untube d
eau désionisée, cest-à-dire purifiée de ses sels (tube receveur). Je laissel
amplificateur fonctionner quinze minutes au volume maximal. À la premièretentative, le contenu du tube receveur, perfusé dans le système de Langendorff,
fait réagir le cur de cobaye isolé. Je me souviens très bien de la réaction de ma
collaboratrice, Yolène Thomas, directeur de recherche au CNRS, lorsque je lui
annonce que je viens de transmettre une activité moléculaire grâce à un fil électrique
: " Cette fois-ci, c
est sûr, sexclame-t-elle (avec cependant un demisourire),tu es complètement givré. "
Comme on l
a dit, les physiciens considèrent que les molécules prises individuellementémettent des vibrations de très hautes fréquences (de l
ordre dutérahertz). L
hypothèse selon laquelle elles émettraient des signaux se situantdans la gamme des ondes sonores (ondes hertziennes et kilohertziennes), ce
qui doit bien être le cas puisqu
un amplificateur téléphonique les transmet, seraitdonc incompatible avec la théorie dominante. Mais cette contradiction peut
être dépassée si l
on prend en considération non pas la vibration (une onde)émise par telle molécule, mais les trains d
ondes, cest-à-dire les milliards de vibrationsémises par une molécule ou un ensemble de molécules
à chaque seconde.On recueille dans ce cas le " battement fréquentiel " de ce train d
ondes,c
est-à-dire la moyenne des différences entre les fréquences. Le battement fréquentielrésume les milliards de vibrations en une seule onde, dont la fréquence
peut très bien relever de la gamme des basses fréquences (hertz et kilohertz).
C
est une théorie ultra-classique en acoustique et en spectroscopie moléculaire.On la trouve dans tous les traités
2.Une analogie, qui nous éloigne fortement de la réalité physique du phénomène,
permettra d
approcher ce qui pourrait se passer ici. La ligne de crête(
skyline) des gratte-ciel de New York, Chicago ou La Défense résume lensemble1
Ce matériel présente également un avantage : son coût modeste. Un appareillage susceptible de transmettredes signaux de très hautes fréquences aurait nécessité des composants complexes et onéreux. À quoi tient la
recherche !
2
C. N. Banwell, Fundamentals of Molecular Spectroscopy, Londres, McGraw-Hill, 1983, pp. 26 et 27.73
des étages de chaque immeuble. Si l
on retire un étage de lEmpire State Building,la skyline n
est plus la même.Dans les mois qui suivent, nous effectuons des dizaines d
expériences detransmission concluantes, à partir d
histamine et dovalbumine principalement.Je précise là encore, au risque de lasser, que l
eau désionisée contenue dans lestubes témoins ne produit aucun effet sur le cur de cobaye. Autre type de
contrôle : pendant quinze minutes, des tubes scellés remplis d
eau désioniséesont disposés à la sortie du système d
amplification tandis quun tube source necontenant aucun principe actif est placé près du capteur d
entrée. Le but de lamanuvre est de s
assurer que ce nest pas le simple passage du courant à traversl
amplificateur qui modifie les propriétés de leau contenue dans les tubesreceveurs. La perfusion de cette solution témoin issue des tubes receveurs
n
induit pas de variations significatives du débit du cur de cobaye.Comme dans le cadre des observations sur les hautes dilutions, les expérimentateurs
de l
équipe prennent soin dagiter les tubes receveurs juste après laphase de transmission. L
agitation napparaît pas comme indispensable pourobtenir une activité des liquides " informés " par le système d
amplification,mais nous constatons qu
elle la renforce.L
avantage de cette transmission dactivité par rapport aux expériences dehautes dilutions, c
est que lon ne peut pas y opposer largument de la contaminationdu matériel d
expérience par le principe actif (la formation dun" bouchon " de molécules ou l
adhérence de ces dernières aux parois des tubesà essais et autres fadaises). Le contact matériel entre le principe actif et les solutions
testées n
a pas lieu ; la chaîne classique des manipulations est rompuepuisque l
activité des molécules est transmise par un fil électrique et des composantsélectroniques.
Le 27 juillet 1992, j
adresse au directeur général de lInserm, Philippe Lazar,un courrier accompagné d
un compte rendu de lune de ces expériences, réaliséeen aveugle. Le codage des douze tubes a été effectué par Michel Schiff, ancien
élève de l
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la villede Paris, un chercheur qui s
intéresse à la controverse sur la mémoire de leau1.Le compte rendu explique comment nous avons correctement identifié comme
" actifs " (ovalbumine ou endotoxine) ou " contrôles " onze tubes sur douze. La
perfusion sur les curs isolés de la solution issue des tubes receveurs fait varier
le flux coronaire de 37 à 93 % lorsque le réactif contenu dans le tube source est
de l
ovalbumine, de 17 à 55 % lorsque la transmission porte sur de1
Il écrira par la suite un livre sur l'affaire. Michel Schiff, Un cas de censure dans la science, L'affaire de la mémoire del'eau, op. cit.
74
l
endotoxine. Les solutions témoins, qui nont pas subi de transmission ou ontreçu de l
information provenant dun autre tube deau, nont pas deffet significatifsur les curs. J
indique à Philippe Lazar que cette expérience nest pasisolée puisque cinquante opérations de ce type ont été antérieurement réalisées.
Et je souligne que, d
après un calcul statistique simple, il y a une chance surquatre mille pour que l
identification des tubes selon leffet des solutions sur lesflux coronaires soit le fruit du hasard.
Dans sa réponse du 18 août, Lazar s
attache principalement à réagir sur unefaute de frappe, mais il me rappelle également la " sensibilité " que déclenchent
mes activités (sensibilité des médias et du monde scientifique, sans doute) et
conclut ainsi : " J
attire très sérieusement votre attention sur le caractère pernicieuxde la diffusion de telles "informations". Si vous deviez persister dans ce
type de comportement, je serais obligé d
en tirer des conséquences sérieuses. "Le moins que l
on puisse dire est que le soutien de lInserm ne mest pas acquisd
avance ! Cela augure mal de la nouvelle procédure dévaluation des travauxde mon unité par le conseil scientifique de l
Inserm, qui doit intervenir audébut de 1993. Au terme de leur douzième année d
existence, toutes les unitésfont l
objet dune telle procédure. Elle a pour fonction de fournir aux organesdirigeants de l
Institut les éléments nécessaires pour décider de lavenir del
unité : fermeture ou reconduction.75
CHAPITRE 7
Le sérum contaminé
Compte tenu de mes rapports avec l
Inserm et de ma position de plus en plusisolée dans la communauté scientifique française, mon avenir à la tête de l
unité200 est donc loin d
être assuré. Mais un élément nouveau va encore envenimermes relations avec l
institution.Au printemps 1992, je travaille à rationaliser la méthodologie des expériences
de transmission d
informations depuis un tube contenant du principe actif (tubesource) vers un tube d
eau (tube receveur) grâce au système damplificationmis au point avec l
aide de mon ami électronicien. Leau que jutilise, à la foiscomme liquide de dilution des principes actifs, comme solution à informer et
comme solution neutre témoin, est de l
eau désionisée par nos soins1. Cette eaudésionisée a un inconvénient : il s
agit dune solution dite " hypotonique ",c
est-à-dire dont la concentration saline est inférieure à celle du plasma sanguin.Elle limite la portée et le nombre de nos expériences car elle ne peut être perfusée
en trop grande quantité sur les curs isolés sous peine de les endommager.
Je décide donc de lui substituer du sérum physiologique, de l
eau salée elle contient 0,9 % de chlorure de sodium stérilisée, utilisée quotidiennement
dans les hôpitaux comme solution pour les produits injectés aux patients. Ce
sérum physiologique, qui n
a par définition aucun effet sur le fonctionnementcardiaque, est disponible en ampoules vendues en pharmacie et en flacons dans
les pharmacies centrales des hôpitaux. Lors des premières expériences, je constate
des résultats médiocres en termes de transmission, mais surtout je remarque
que certains curs de cobayes, contrairement à ce qui devrait s
observer,réagissent à la solution de chlorure de sodium. L
événement prend dautantplus de relief qu
il se produit lors dune expérience en aveugle dont le codageest effectué par Michel Schiff. Ce chercheur s
intéresse à laffaire de la mémoirede l
eau tout en conservant une vision " objective ", et dans tous les cas extérieure,du fonctionnement de l
unité. Leffet provoqué par le sérum physiologiqueme conduit donc à identifier comme tube actif un tube témoin. Sachant
1
Concrètement, l'opération de désionisation consiste à purifier l'eau des différents sels qu'elle contient à l'étatnaturel par un passage sur des résines de filtrage.
76
par expérience que l
on peut toujours tomber sur un cur malade ou fragile, jevérifie si l
organe ne réagit pas à nimporte quelle solution témoin en lui perfusantde l
eau distillée. Celle-ci, contrairement au sérum, na aucun effet.Les expériences suivantes me confirment que le sérum physiologique a bel et
bien un effet sur le débit des curs isolés. Un peu plus tard, un technicien du
laboratoire qui fabrique ce sérum, un peu interloqué, m
annonce quune perfusionde sérum a même provoqué en quelques minutes l
arrêt total et définitifdu cur de cobaye sur lequel il travaillait. Ma première réaction est de demander
au personnel du laboratoire de renforcer les précautions indispensables
dans ce type d
expériences : sassurer que les tubes et les seringues sont bienrincés, que des bulles d
air ne sont pas injectées par mégarde, etc. Malgré lerenforcement des mesures de sécurisation, le phénomène se reproduit sur certains
curs. En affinant nos observations, nous nous apercevons que les problèmes
ne surviennent que pendant une période déterminée, qui s
étend entrele huitième et le onzième jour après l
immunisation du cobaye (sa sensibilisationau réactif qui sera utilisé pour l
expérience). Cette période, pendant laquelleles curs sont le plus sensibles à la substance à tester, est d
ordinaire laplus favorable pour nos expériences.
En quelques semaines, j
acquiers la certitude que cest bel et bien le sérumphysiologique, dont je me suis procuré des flacons à la pharmacie voisine de
l
hôpital Antoine-Béclère à Clamart, qui entraîne cet effet de choc cardiaque.Cette réaction des curs, ce choc cardiogénique, est par ailleurs spécifique des
endotoxines, une famille de toxines contenues dans la paroi de certaines bactéries
et libérées à la destruction de cette paroi. Une telle réaction se produit fréquemment
chez les personnes âgées ou fragilisées par un cancer, une leucémie
ou le sida. Au cours d
une infection banale, les bactéries contenant les endotoxines,au lieu de rester cantonnées au tube digestif, peuvent libérer dans le
sang ces toxines. Celles-ci peuvent provoquer différents troubles comme de la
fièvre ou, chez les patients affaiblis, un choc endotoxique gravissime, le plus
souvent mortel, qui comporte toujours une composante de défaillance cardiaque.
L
effet de ces endotoxines est si bien connu que la totalité des produits intraveineuxsont désormais censés être purifiés de toute endotoxine bactérienne.
On dit alors qu
ils sont " apyrétiques ", cest-à-dire quils ne provoquent pas defièvre.
Pour éliminer les bactéries, le sérum physiologique est filtré et stérilisé par un
chauffage à 120 ou 140
° pendant vingt minutes. Cette stérilisation a pour but detuer les bactéries présentes. À l
issue de ces différentes étapes, il ne reste plus debactéries vivantes dans les solutions. Cela est parfaitement contrôlable par des
procédés chimiques. J
ai mis en uvre ces vérifications et nai trouvé traced
aucune bactérie ni endotoxine dans le sérum physiologique que jutilise. Et77
pourtant, ce sérum produit bel et bien des effets de type endotoxine sur certains
curs de cobayes. Des études que j
effectue sur des ampoules de sérum venduesen pharmacie montrent que certaines d
entre elles sont également contaminées.En revanche, des sérums en provenance des États-Unis et du Canada ne
semblent pas touchés par le phénomène.
En l
absence matérielle des bactéries, jen conclus quil pourrait sagir, là encore,d
un phénomène physique, dune mémoire magnétique de lendotoxinequi demeurerait dans les solutions après destruction des bactéries. En effet, les
endotoxines sont libérées par les bactéries lors de la destruction de celles-ci,
mais elles ne sont pas elles-mêmes forcément détruites en totalité. Il est admis
qu
elles ne peuvent être complètement éliminées par la chaleur humide, maisseulement par un passage à très haute température (220
°), en chaleur sèche. Ilest donc possible que les endotoxines impriment une trace magnétique dans le
sérum lors de leur libération par les bactéries. Deuxième hypothèse complémentaire
de la première : les molécules d
endotoxines restantes, trop peu nombreusespour agir en tant que telles, peuvent en revanche diffuser une empreinte
magnétique activée et amplifiée par les mouvements dus au transport et
à la manipulation des flacons, postérieurement à la stérilisation.
Ainsi que je l
ai déjà expliqué, daprès nos observations, le signal électromagnétiqued
une substance peut être annihilé par un chauffage des solutions à70
° pendant une ou deux heures, ou par une exposition à un champ magnétiqueoscillant. Je procède donc à un tel chauffage des échantillons de sérum
physiologique contaminés et demande au Laboratoire central du magnétisme
du CNRS de soumettre d
autres échantillons à des champs magnétiques. Auterme de ces opérations, et pendant un certain laps de temps, la perfusion du
sérum en question sur les curs ne produit plus de choc. Mais le sérum tiré
d
un flacon chauffé ou soumis à champs magnétiques semble parfois redeveniractif en endotoxines quelques jours après la fin de ces manipulations.
En septembre 1992, lors d
une réunion à lInserm, je fais verbalement état demes doutes sur le sérum contaminé au directeur général de l
Inserm. En labsencede réaction de sa part, je lui confirme par une lettre recommandée datée
du 17 novembre les résultats de mes observations. En voici quelques extraits :
" Monsieur le Directeur Général,
Je vous informe très officiellement des résultats que j
obtiens depuis quelquessemaines. En utilisant, au début à titre de contrôle, le sérum physiologique injectable
(...), nous obtenons sur cur isolé de cobaye immunisé des réactions hémodynamiques
extrêmement puissantes : diminution du flux coronaire (...) et altérations
mécaniques dont la plus frappante est la diminution brutale de la force de contraction
pouvant conduire à l
arrêt du cur.78
(...) Comme le sérum physiologique ne contient sûrement pas d
endotoxine moléculaire,que l
activité que nous avons détectée disparaît à la chaleur et sous leffetd
un champ magnétique oscillant (Laboratoire de magnétisme du CNRS, Meudon-Bellevue), il est plausible qu
il sagit dun transfert de type électromagnétique, soitau cours de la fabrication du sérum, soit au cours du transport par amplification
d
une trace rémanente sur le verre. (...) Jai prévu depuis longtemps la possibilitéd
une telle contamination électromagnétique, je vous le rappelle, dans le silence etl
hostilité générale.Bien que nous ayons plus de vingt expériences allant dans le même sens, je ne
peux affirmer formellement la réalité du phénomène ni son origine exacte. Les
témoins paraissent avoir été faits dans les règles de l
art. Une telle contamination,probablement sans danger sur les sujets normaux, pourrait avoir des conséquences
sur des sujets rendus sensibles par une pathologie concomitante. Il me paraît donc
urgent de prendre sans aucun délai des mesures ad hoc, dont la première devrait
être la création immédiate d
un comité chargé de lévaluation de ces résultats et, lecas échéant, de leur origine et de leurs conséquences. (...)
Dans le cas où je n
aurais pas reçu (de) réponse dici une semaine, je me permettraisd
alerter directement les autorités sanitaires et politiques. Vous comprendrezmon extrême prudence en fonction d
événements tragiques qui font actuellementl
actualité1 (...). "En décembre 1992, je contacte le laboratoire fabriquant le sérum physiologique
que j
ai utilisé dans mes expériences. Le responsable joint au téléphone réfuted
emblée lhypothèse de la présence dendotoxines dans le sérum fabriquépar ses services. Nous convenons cependant de mettre en uvre une recherche
sur les effets de type endotoxine de ce sérum
2. En décembre également me parvientla réponse du directeur général de l
Inserm. Il demande un temps de réflexionet ne s
oppose pas à ce que jalerte les autorités sanitaires et politiquessous ma propre responsabilité. Quelques jours plus tard, il m
informe quunecopie de mon courrier de novembre a été adressée à différents hauts responsables
de l
administration hospitalière.De mon côté, je tente des prises de contact avec la pharmacie centrale des
Hôpitaux de Paris et n
obtiens quun " on vous rappellera ".Au début de l
année 1993, jadresse plusieurs courriers confidentiels au ministrede la Santé Bernard Kouchner et à son chargé de mission pour les questions
médicales et scientifiques. Ces courriers restent sans réponse. Je reçois par
ailleurs du fabricant des produits correspondant au programme de recherche
dont je suis convenu avec les responsables de ce laboratoire, mais je ne peux
démarrer les recherches en raison de la forte diminution des ressources attri-
1
L'allusion concerne le dossier du sang contaminé.2
Le laboratoire effectuera également de son côté une recherche sur une éventuelle contamination par des endotoxinessous forme classique (moléculaire) qui aboutira, comme on s'en doute, à des résultats négatifs.
79
buées à mon unité et de l
hostilité de lInserm quant à mes études sur le sérumcontaminé. Au printemps 1993, la direction ira jusqu
à minterdire de faire étatde mes observations relatives à cette contamination devant une délégation de
l
Inserm chargée dinstruire un dossier administratif sur un autre sujet1. Cetteéquipe compte pourtant parmi ses membres un spécialiste de la physiologie
cardiaque.
Durant la période décembre 1992-janvier 1993, je ralentis le rythme des études
sur le sérum contaminé car, comme souvent en période hivernale, les cobayes
répondent mal aux procédures de sensibilisation. Mais à partir de février
1993, je relève à nouveau une grande quantité de résultats très nets : le fonctionnement
des curs est très fortement perturbé par le sérum. Parfois, les organes
s
arrêtent purement et simplement de battre.Le 12 février, Bernard Kouchner m
indique par lettre quil a demandé auLaboratoire national de la santé (LNS) de mener une enquête sur le sérum
physiologique du laboratoire concerné. Comme je ne suis apparemment pas
associé à cette enquête dont je suis pourtant à l
origine, jinsiste auprès du ministrepour en être mieux informé. Le 16 du même mois, j
envoie à la revuemédicale britannique
The Lancet une communication accompagnée de notes delaboratoire relatant mes études sur le sérum physiologique contaminé. La revue
refuse le texte.
Le mois suivant, je rencontre le directeur du Laboratoire national de la santé.
Nous convenons que je mettrai au point un protocole d
expérimentation. Quelquesjours après que j
ai faxé une première version de ce protocole baptisé Procédureopératoire standardisée, le directeur du LNS m
annonce quune sommede 150 000 francs me sera allouée, ce qui m
est confirmé par une lettre de BernardKouchner. Des responsables du LNS se déplacent à nouveau dans mon laboratoire,
puis plus de nouvelles. J
apprendrai par la suite que lenquête a étéconfiée au professeur Mercadier de l
hôpital Marie-Lannelongue en région parisienneet à mon ami Alfred Spira qui n
a pas jugé opportun de men avertir. Jene verrai évidemment jamais la couleur de l
allocation promise par écrit par leministère, et dont l
envoi imminent ma été annoncé plusieurs fois par des responsablesdu Réseau national de la santé publique.
Je continue pour ma part à constater régulièrement des effets inquiétants des
solutions témoins de sérum physiologique, ce dont j
avertis en novembre 1993le ministère de la Santé, désormais dirigé par Philippe Douste-Blazy.
Mais ce n
est quen été 1995, presque trois ans après mes premières mises engarde, que j
apprends lexistence dun rapport sur ce sujet remis à lAgence dumédicament (dans laquelle a été fondu le Laboratoire national de la santé). Je
demande communication du rapport, daté de décembre 1994. Le protocole
1
Voir plus loin, chapitre 8.80
d
expérimentation utilisé est largement inspiré de la Procédure opératoirestandardisée que j
ai mise au point et communiquée au LNS sur sa demande.Cependant, quelques aménagements ont été apportés. Ils sont tous susceptibles
de diminuer la sensibilité de la méthode et les effets de la perfusion de sérum.
L
une de ces modifications consiste à installer la perfusion plus en amont ducur que je ne le préconise. Cela a pour effet de donner au sérum plus de
chemin à parcourir avant d
atteindre lorgane, donc de favoriser sa dilutiondans la solution qui le véhicule et d
affaiblir léventuelle activité des endotoxines.Autre différence de taille, la pression du liquide de perfusion, fixée à 40 cm
dans le protocole que j
ai élaboré (une colonne de liquide de 40 cm surplombele cur), est portée dans le nouveau protocole à 80 cm. Or, primo, le " cahier
des charges " du système de Langendorff précise que cette pression doit être de
40 cm. Deuxio, une étude publiée par un groupe américain
1 montre quuneaugmentation de la pression à 80 cm peut avoir comme effet d
inverser les résultatsobtenus par la perfusion sous une pression de 40 cm d
un produit " vasoactif" (ayant un effet sur le système circulatoire), en l
occurrence lhistamine.Ensuite, les curs ont été testés par une solution de chlorure de cadmium, absente
de mon protocole.
En résumé, dans cette étude, tout semble avoir été mis en uvre pour ne pas
trouver ce que l
on était censé chercher.L
examen des données brutes montre cependant que le sérum, même dansces conditions, produit une variation moyenne de 8,4 % du flux coronaire des
curs étudiés, quinze minutes après la fin de l
injection. À titre de comparaison,le sérum témoin produit une variation de moins de 3,6 % ; la solution de
chlorure de cadmium un réactif qui ralentit le débit coronaire entraîne
quant à elle une variation de 14,2 %. Cette dernière variation semble très faible
pour un produit aussi toxique, ce qui atteste le manque de sensibilité du système
2.L
effet sur un cur isolé du sérum physiologique que jai supposé contaminépar des endotoxines de type électromagnétique (non moléculaire) se situe
donc à mi-chemin entre l
effet dune solution témoin neutre et celui dunesolution contrôle hautement toxique. De plus, ces chiffres sont présentés par le
rapport comme hautement significatifs en termes statistiques, c
est-à-dire que laprobabilité qu
ils résultent du hasard est extrêmement faible (inférieure à 1/1000).
1
G. F. Merrill, Y. H. Kang, H. M. Wei and H. Fisher, " Pressure-dependent vasoactive effects of histamine in thecoronary circulation
", FASEB Journal, 1987, 1, pp. 308-311.2
À l'automne 1997, dans mon laboratoire, j'ai perfusé à un cur de cobaye sous un système de Langendorff duchlorure de cadmium à la même dose que celle indiquée dans le rapport. La réaction a été immédiate : arrêt du
cur.
81
En dépit de cela, le rapport conclut :
" Au total, le sérum physiologique (...) que nous avons étudié ne contient pas
d
agents contaminants entraînant une altération significative des performancescontractiles du cur de rat sur la période d
observation retenue, dans une configurationexpérimentale reproduisant aussi fidèlement que possible, et aux deux réserves
près détaillées au début de ce rapport, la Procédure opératoire standardisée.
Compte tenu de la petite diminution de moins de 10 % du débit coronaire quinze
minutes après la fin de l
injection, un effet minime de ce sérum sur le débit coronairene peut être totalement exclu. De nouvelles séries d
expériences seraient nécessairespour confirmer ou infirmer cet effet sur des périodes d
observation pluslongues. Néanmoins, dans l
état actuel de lexpérimentation, une diminution dudébit coronaire inférieure à 10 % ne peut être considérée a priori comme présentant
un caractère de gravité particulier. "
La lecture du rapport et de ses conclusions, qui sont en totale contradiction
avec son contenu, laisse pantois. Certes, je ne peux me prononcer sur ce qu
impliqueen termes de santé publique une diminution de 8,4 % du débit coronaire
d
un cur de rat. Je considère en revanche que ces résultats obtenus, jele rappelle, à l
aide dune méthodologie qui ne correspond pas à celle que jairecommandée sont tout sauf " minimes ". Au souvenir de l
affaire du sangcontaminé, selon mon devoir de médecin et en fonction du " principe de précaution
" dont on parle désormais beaucoup en matière de santé publique, je
ne peux me résoudre à cesser mes mises en garde. Je saisis donc par courrier la
présidence de la République et finis par obtenir une entrevue avec le ministre
de la Santé Élisabeth Hubert, grâce à une intervention du conseiller du président
Mitterrand pour les affaires sociales, René Lenoir (dont je tiens ici à souligner
l
honnêteté et la constante clairvoyance). La rencontre avec le ministre alieu le 3 octobre 1995. Mme Hubert m
explique en substance quelle nagiraque lorsque les résultats de mes recherches seront reconnus par la communauté
scientifique internationale.
Autrement dit, les décisions d
un ministre de la République pouvant concernerla santé publique dépendent des manuvres initiales d
un trio d" enquêteurs" et ne pourront être révisées qu
avec laimable autorisation de la revueNature
. Hal-lu-cinant !Depuis le milieu des années 90, je n
emploie plus que rarement du sérumphysiologique (eau désionisée + chlorure de sodium) pour mes expériences car
il est moins efficace que l
eau désionisée en termes de qualité de transmissionélectromagnétique. Mais lorsque j
en utilise, il marrive encore assez régulière-82
ment de voir des débits coronaires chuter, des curs de cobayes perdre leur
force de contraction ou encore s
arrêter totalement. Il nest pas à exclure quece sérum puisse provoquer sur le cur d
un patient affaibli des effets catastrophiques.Après que je lui ai adressé un dossier sur ce sujet, le professeur de chirurgie
cardiovasculaire Christian Cabrol m
a dailleurs expliqué : " Nous observonsparfois des chocs postopératoires d
allure toxique, sans explication apparente,et celle que vous donnez pourrait être la bonne. Il faut absolument creuser
ce problème, désigner un comité d
experts et tirer la solution au clair1. " Jen
ai pas eu loccasion de demander à Christian Cabrol si les curieuses conclusionsdu rapport du Laboratoire national de la santé lui ont donné satisfaction.
Autre champ de recherche possible parmi d
autres, la mort subite du nourrisson.Il est établi que ces accidents surviennent souvent quelques jours après que
les bébés ont subi une légère infection ou une petite fièvre. Il serait peut-être
utile de vérifier si certaines victimes n
ont pas subi dinjection de sérum physiologiquedans les moments précédant leur décès.
Je ne fais là que poser quelques problèmes de santé publique qui ne me paraissent
pas négligeables. Je dispose de données qui pourraient être utilisées
pour répondre à ces questions. Mais j
ai la très désagréable impression que toutle monde s
en fout. Ou, pire, que la communauté scientifique ne souhaite passe pencher sur ce dossier au cas où cela confirmerait la validité de mes hypothèses
sur l
empreinte électromagnétique que peut laisser une molécule dans leau.Si cette affaire sort un jour, il faudra bien que ceux qui n
ont pas voulu voirce qui leur était montré rendent des comptes, sur les plans scientifique et judiciaire.
1
Courrier du 12 février 1993.83
CHAPITRE 8
La tête sur le billot
L
année 1993 débute par une mauvaise nouvelle : la dotation budgétaire accordéepar l
Inserm à lunité 200 est en diminution de 42 % par rapport à cellede 1992. Mon unité n
est dailleurs quen sursis puisque la réglementation miseen place par Philippe Lazar en 1982 implique que toute unité Inserm aura une
durée de vie maximale de douze ans, au terme desquels il est procédé à une évaluation
de la qualité de sa production scientifique. Cette évaluation débouche
sur la fermeture de l
unité ou sur son renouvellement sous une forme procheou réorganisée. L
idée de départ nest dailleurs pas mauvaise car, contrepartiede la fonctionnarisation des chercheurs, elle est censée éviter la reconduction
ad vitam æternam d
unités improductives, dirigées et peuplées par dinamoviblesnon-chercheurs coulant des jours paisibles jusqu
à une retraite bien peuméritée. En réalité, la réforme a été le plus souvent détournée et utilisée comme
un instrument de normalisation scientifique par les groupes de pression. Lorsque
les unités sont dirigées par des membres des lobbies les plus puissants ou
consacrées à des thématiques dominantes, elles sont reconduites " par acclamation
", voire multipliées comme les pains en d
autres temps. Pour les unités quine sont pas dans la ligne, c
est la fermeture définitive.Dans le cas de l
unité 200, la procédure dévaluation ne nous laissera aucunechance. Tout d
abord, la reconduction dune unité suppose la présence en sonsein d
au moins quatre chercheurs titulaires, dont deux Inserm. Or, en 1992,nous n
étions plus que deux chercheurs titulaires, Yolène Thomas, immunologistequi n
appartient pas à lInserm mais au CNRS, et moi-même. Dans les années80, l
unité a compté jusquà dix chercheurs titulaires. Les raisons de cettefuite des cerveaux sont fort simples : un certain nombre de chercheurs ont déserté
l
unité par crainte que leur nom et leur travail soient associés aux miens.Plusieurs candidats au concours de l
Inserm ont été victimes de pratiques étonnantes.Au début des années 90, un étudiant vétérinaire, qui avait effectué ses
recherches de thèse en immunologie à l
unité 200 puis était parti deux ans àHarvard, a passé le concours d
entrée à lInserm. Classé " par mégarde " dansles premiers à l
examen de son dossier, il a ensuite été déclassé juste sous la bar-84
re (huitième alors que seuls sept postulants étaient admis). Coïncidence : il demandait
son affectation à l
unité 200. Au concours de lannée suivante, il a demandéà rejoindre une unité Inserm de Marseille située dans l
orbite du groupede Saint-Louis et a obtenu, comme par hasard, son admission. Trois autres de
mes étudiants ont été ainsi recrutés à l
Inserm dans ces mêmes années, témoignageéclatant de la qualité de la formation dispensée à l
unité 200. Recrutés,certes... mais affectés ailleurs que dans l
unité.En 1992, un directeur de recherche au CNRS, membre d
une équipe toulousainespécialisée en toxicologie, demande à rejoindre notre unité. Le directeur
du secteur Sciences de la vie du CNRS lui répond clairement : " Vous pouvez
aller où vous voulez, mais pas à l
unité 200 ! " Et voilà pourquoi votre fille estmuette ! Ou pourquoi votre unité manque de chercheurs titulaires. On lui a
coupé les cordes vocales, cousu les lèvres, et mis un bâillon triple épaisseur.
Quelques mois avant la date butoir de 1993, il n
est donc pas envisageablepour nous de solliciter une reconduction de l
unité, même avec un programmede recherche renouvelé. Ceci permettra à la direction de l
Inserm daffirmeraux journalistes, le regard candide et la main sur le cur, qu
elle ne peut à songrand regret reconduire l
unité 200 parce que je ne lai pas demandé... Puredésinformation.
Pour préserver au moins la part de nos recherches qui relève de la pharmacologie
classique, nous décidons, Yolène Thomas et moi-même, de pousser l
administrationdans ses derniers retranchements en formulant un autre type de
demande. Avec des chercheurs du CNRS spécialisés dans l
environnement, Yolèneadresse à la direction générale de l
Inserm une demande de contrat jeuneformation (CJF). Cette procédure est en général utilisée par de jeunes chercheurs,
travaillant sur des thématiques nouvelles, qui savent que la création
d
une véritable unité de recherche ne peut leur être accordée. Lobtentiond
un CJF permet loctroi dune subvention de fonctionnement de 250 000francs. Le contrat s
étend sur une durée de trois ans et peut être prolongé. Dansle cadre de son projet de recherche pour ce contrat jeune formation, Yolène
Thomas développe une double thématique articulée d
une part autour del
immunologie classique (le PAF, médiateur de lallergie), dautre part autourdes agressions produites par l
environnement sur lêtre humain : la pollutionengendrée par les métaux comme le plomb, mais aussi les effets des expositions
aux champs magnétiques de basse fréquence. Ce dernier point nous permettrait
de réintroduire par la bande nos études sur la transmission électronique des signaux
moléculaires.
Pour l
examen de cette demande de CJF, lInserm décide quune délégationse rendra à l
unité 200 afin destimer la valeur du nouveau programme de recherche.Comme une partie de l
évaluation concerne les phénomènes de85
transmission, phénomènes physiques et non biologiques, l
Inserm demande autout nouveau lauréat du prix Nobel de physique Georges Charpak de se joindre
à la délégation.
L
annonce de la venue de Charpak dans le laboratoire constitue pour nousune excellente nouvelle. Nous allons enfin pouvoir présenter nos travaux à un
scientifique de renom, qui a par ailleurs la réputation d
une certaine ouvertured
esprit.En préparant la visite de la délégation, j
ai lidée de solliciter la présence deschercheurs Del Giudice et Preparata, physiciens comme Charpak et auteurs de
la théorie des domaines cohérents
1. Je souhaite quà cette occasion ils puissentexposer leurs hypothèses sur les propriétés électromagnétiques de l
eau quifournissent un début d
explication aux phénomènes constatés dans mes expériences.Je demande au directeur général de l
Inserm lautorisation de les inviter.Philippe Lazar, dans un courrier tout ce qu
il y a de plus officiel, minformeque les règles administratives interdisent formellement ce type d
invitation2. Incompréhensible! Pour une fois que des scientifiques autres qu
homéopathes seraient disposés à exprimer des thèses compatibles avec mes expériences,
l
Inserm refuse de les entendre. Je prends soin de faire parvenir à Charpakquelques éléments concernant les travaux des physiciens italiens et me réjouis
d
apprendre que le lauréat Nobel accepte de contacter Giuliano Preparata pourdiscuter avec lui de la théorie des domaines cohérents.
Le 21 avril 1993, jour de la visite de la délégation de l
Inserm, la théorie deschercheurs de Milan fait seulement l
objet dun court exposé délivré par MichelSchiff. Il est physicien de formation et ancien élève de l
école où officie Charpak.La réaction de Charpak me déçoit. Il explique avoir demandé à Pierre-
Gilles de Gennes son avis sur la théorie en question. Celui-ci aurait consulté un
autre physicien français qui lui aurait répondu que cette théorie " ne valait
rien ". Fermez le ban !
À mon grand désappointement, je constate dès cet instant chez Charpak une
grande condescendance à notre égard. Et lors de la brève discussion au cours
de laquelle les hypothèses des physiciens italiens sont balayées d
un revers demain, je ne peux m
empêcher de rappeler à Charpak quau début des années20 la Société française de physique a refusé de recevoir Einstein (sa théorie de
la relativité était jugée trop hétérodoxe, pour ne pas dire hérétique).
Une partie de la matinée est consacrée à l
examen des travaux de lunité et àdifférentes questions administratives. À un moment, Yolène Thomas échange
avec Charpak quelques propos qu
elle me rapportera par la suite :1
Voir chapitre 6, p. 69.2
Dans le même courrier, Lazar m'interdit de mentionner devant les immunologistes membres de la délégationles résultats de mes recherches sur le sérum physiologique contaminé aux endotoxines " électromagnétiques ".
86
" Vous pensez que cette fameuse expérience de "transmission" va fonctionner
? lui demande le prix Nobel.
Oui, je pense. Sauf accident, ça fonctionne très bien d
habitude, répondYolène.
Vous avez intérêt, parce que sinon, vous êtes morts. "
Dans la journée, la délégation et Georges Charpak se livrent à une expérience
de transmission. Nous mettons à leur disposition vingt tubes d
eau. Enfermésdans une pièce, ils en choisissent quatre. L
un deux reçoit les informationsd
un tube source contenant une solution dovalbumine (la manipulationde transmission est effectuée par Charpak et la délégation, en notre absence).
Les trois autres contiennent de l
eau témoin. Puis Charpak code les tubes.Grâce à l
action de leau informée sur les curs, je reconnais sans erreur letube receveur actif et les contrôles. Les curs les produits sont testés sur quatre
organes réagissent de façon excellente : les flux coronaires varient de 20 %
à pratiquement 100 % pendant les périodes où l
eau informée leur est perfusée.La réaction des curs à l
ovalbumine " vraie ", perfusée en fin dexpérience, està peu près identique. Cette excellente réactivité des organes est sans doute due
à la période du printemps, pendant laquelle la sensibilisation des animaux fonctionne
très bien.
Je sens que Charpak, qui a jusqu
ici gardé une attitude hautaine et sarcastique,est fortement ébranlé par les résultats. À la fin du décodage, son visage pâlit
et il sort quelques instants du bâtiment dans lequel nous nous trouvons. J
aimême peur qu
il fasse un malaise et jimagine les manchettes des journaux :" Benveniste a tué Charpak. " Nous verrons que c
est plutôt linverse qui va seproduire.
" Si cela est vrai, il s
agit de la plus grande découverte depuis Newton ",m
avait confié en riant Georges Charpak lors dune conversation téléphoniquequelque temps avant sa venue à Clamart. Cette phrase ne reflète pas autre chose
qu
une évidence absolue, mais elle me vaudra bien des ennuis, peut-être parcequ
elle a été prononcée par un lauréat du prix Nobel. Car, lorsquon me demandeles résultats de la visite de Charpak à l
unité 200, je raconte le succès del
expérience et le relie à ces propos (replacés dans le contexte de la conversationau téléphone). Le physicien a le sentiment que, ce faisant, je me targue
d
un soutien absolu de sa part. Sa réaction aurait été légitime si javais clamé surles toits : " Charpak vient de me confirmer que c
était la plus grande découvertedepuis Newton. " Mais ce n
est pas le cas. Jai toujours mentionné " son " conditionnelet précisé qu
il avait assisté à une seule expérience.Dans son rapport à l
Inserm, Charpak évoque les résultats positifs de la manipulationde transmission à laquelle il a assisté et propose une collaboration entre
l
École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris87
et l
unité 200 pour approfondir létude du phénomène. Je saisis la balle aubond, conscient que l
appui dun scientifique de cette réputation, physicien desurcroît, me serait précieux pour obtenir la reconnaissance du sérieux de mes
recherches. Mais au moment de concrétiser cette coopération, peut-être à cause
de notre petit contentieux sur sa fameuse allusion à Newton, j
ai toutes les peinesdu monde à obtenir la possibilité de reproduire mes expériences devant lui
et son équipe. Sans doute les pressions de la communauté scientifique, par
exemple celles de l
Académie des sciences, font-elles également comprendre àCharpak à quel point il est téméraire et déplacé de se compromettre avec le
marginal que je suis devenu.
Peu après, une série d
expériences de transmission est organisée dans desunités Inserm de l
hôpital Cochin. Charpak refuse dy assister. Il y envoie toutde même certains de ses collaborateurs physiciens. À Cochin, les expériences
auxquelles assistent ces derniers donnent des résultats satisfaisants, mais un incident
éclate entre les collaborateurs de Charpak et le physicien Michel Schiff
qui dirige les expériences. Ce dernier supporte mal que, tandis que se déroule
la seule expérience à laquelle ils assistent dans son intégralité, les physiciens
tournent parfois le dos à la machine pour discuter, avec moi et avec d
autres, dequestions générales relatives à la fraude en matière scientifique. Il en résulte un
malentendu dont je n
ai jamais compris exactement la nature. Les représentantsde Charpak auraient évoqué dans leur rapport au prix Nobel l
hypothèseselon laquelle des fraudeurs, présents dans mon entourage, " arrangeaient " les
résultats des expériences. Michel Schiff, qui dirigeait les opérations, a le sentiment
d
être désigné comme agent de cette fraude. En réponse à un courrierindigné adressé à Charpak, il recevra une sorte de lettre d
excuses des collaborateursdu prix Nobel.
Cette péripétie contribue à renforcer la tension qui préside à mes relations
avec Charpak. Les discussions s
échelonnent sur plusieurs mois. Il faudra attendreplus d
un an après la venue du prix Nobel à Clamart pour que de nouvellesexpériences puissent être lancées. Entre-temps Charpak a affirmé qu
il neconsentirait à se livrer à une vérification de mes travaux que si j
acceptais de" mettre [ma] tête sur le billot, c
est-à-dire consentir à effectuer [les expériences]dans des conditions de contrôle satisfaisantes pour un physicien ". Le lecteur
a bien lu : la " tête sur le billot ". Le bûcher de l
Inquisition nest pas loin.J
aimerais voir la réaction de Charpak si on lui annonçait que les travaux qui luiont valu son prix Nobel devaient être vérifiés de telle façon.
Le protocole sur lequel nous nous mettons d
accord est le suivant : des tubesd
eau distillée et des tubes contenant des dilutions dacétylcholine (neuromédiateurqui modifie le rythme cardiaque) et d
ovalbumine seront déposés àl
École supérieure de physique et de chimie, rue Vauquelin à Paris. Les opéra-88
tions de transmission par amplificateur seront effectuées par les physiciens sur
un ou deux tubes par série. Charpak et ses collaborateurs procéderont ensuite
au codage de la numérotation des tubes receveurs de liquides actifs et témoins.
Je récupérerai alors les tubes et les transporterai à Clamart pour tenter de les
identifier grâce au système des curs isolés. Puis je faxerai les données obtenues
à l
équipe de Charpak.Les expériences en aveugle ne débutent réellement qu
en mars 1994. La miseau point des appareils est laborieuse. Le réglage de l
appareil de transmissionque j
ai installé à lESCPI savère délicat. Il semble que lenvironnement électromagnétiquede l
école perturbe le fonctionnement de notre appareil. Lesmachines électriques y sont nombreuses et font intervenir des champs électromagnétiques
nettement plus puissants que ceux que j
étudie.L
ambiance qui règne lors de cette phase de préparation, puis pendant lesexpériences, est extrêmement pénible. Les collaborateurs de Charpak font
preuve d
honnêteté et de bienveillance à notre égard, mais le prix Nobel secomporte de façon toujours aussi méprisante. À tel point qu
à aucun moment jen
ai eu loccasion de masseoir en sa compagnie autour dune table pour discuterdu protocole ou obtenir ses lumières sur des questions de physique. J
aiconscience en outre de me plier à nouveau à des règles du jeu qui sortent du
cadre des usages scientifiques : alors que des expériences en aveugle ont déjà
été réalisées avec le concours d
autres équipes que la mienne, jen suis réduit àsolliciter une énième reproduction de ces expériences sous le contrôle d
uneautorité scientifique extérieure. Il est vrai que je n
ai guère le choix dagir autrement.Autre handicap, le codage est réalisé par la seule équipe de Charpak. Je ne
dispose d
aucun contrôle, daucune protection contre une éventuelle faute decodage. Si une erreur de ce type est commise, la distorsion constatée entre la
nature du liquide ayant reçu une information en provenance d
une solutionactive et son effet sur le cur de cobaye sera automatiquement interprétée
comme une défaillance de mes hypothèses.
Charpak n
assistera que rarement aux opérations de transmission. Lors del
une des rares occasions où le prix Nobel est présent, un statisticien directeurde recherche à l
Inserm est également sur les lieux. Je ne connais pas ce chercheuret n
ai eu avec lui quun bref contact téléphonique. Cest lui qui doit réaliserl
opération de codage des tubes. Soupçonnant sans doute que le statisticienpourrait être de mèche avec moi, Charpak intercepte une secrétaire qui
passe dans le couloir et lui fait refaire le codage. Encore une source de confusion.
Un codage est une opération qui paraît simple : il s
agit " seulement " defaire correspondre une série de chiffres à une série de lettres, de prénoms ou à
des noms d
animaux. Pourtant, les exemples derreurs dues à linexpérience ou89
à la nervosité de la personne chargée d
attribuer les numéros et les codes sontnombreux, même de la part de scientifiques. Dans le cadre précis de ces expériences
de transmission, où ma tête est, rappelons-le, " sur le billot ", le risque
d
une erreur due à la tension nen est que plus grand. En déchargeant le chercheurde l
Inserm du codage, Charpak agit en conformité avec ses préjugés. Il afait savoir que la transmission et le codage des tubes ne sauraient être réalisés en
ma présence. Il a également récusé par avance la participation d
Alfred Spira,comme celle " de toute personne ayant serré la main " du lépreux Benveniste
" depuis moins de trois mois ". Ambiance !
Entre mars et juillet 1994, dix-huit expériences sont réalisées. À chaque fois,
les physiciens de l
ESPCI me confient de trois à six tubes que jemporte en voitureà Clamart où je dois identifier le ou les tubes ayant fait l
objet dune transmission.Dès les premières expériences, dont les décodages me sont communiqués au
fur et à mesure, je me rends compte que quelque chose cloche. Tout d
abord, àplusieurs reprises, les résultats sont illisibles ou non utilisables parce que les
curs ne réagissent pas, ou seulement à des niveaux non significatifs, à des doses
pondérales de réactifs. Ce genre de résultats n
est pas rarissime car la sensibilitédes organes peut varier selon les périodes. Mais il y a beaucoup plus surprenant
: dans plusieurs expériences, certaines solutions contrôles font réagir
les curs alors que les contenus de tubes receveurs informés à l
acétylcholineou à l
ovalbumine sont sans effet.Par le passé, ce type de phénomène d
" inversion " des résultats sest déjàproduit de façon marginale lors d
expériences menées à Clamart. Je ny ai pasprêté grande attention car cela me semblait relever principalement d
erreurs decodage. Mais cette fois-ci la fréquence des inversions est plus forte. En outre,
elle tombe mal, et même très mal, car je place beaucoup d
espoir dans cette collaborationavec Charpak, malgré le caractère glacial de nos relations.
L
information transmise aux tubes receveurs étant par hypothèse de natureélectromagnétique, je m
interroge donc sur une possible " contamination "électromagnétique entre les tubes, une transmission sauvage, ou plus exactement
spontanée, du signal émis par les molécules depuis les tubes receveurs informés
vers les tubes témoins. Certes, on pourrait me reprocher Charpak ne
s
en privera pas de retenir les résultats positifs et de chercher à tout prix uneexplication de type parasitage à l
échec des autres expériences. Ce nest pas lecas. Lorsque, de façon répétée et régulière, des tubes actifs produisent des effets
nuls et des tubes contrôles des effets positifs, on ne peut parler de résultats
90
" faux " ou d
un simple " échec " de lexpérimentation. Or, sur les dix-huit sériesd
expériences, ce transfert sauvage se produira onze fois.Pour les besoins de ces expériences menées en coopération avec l
ESPCI, lestubes à essais sont transportés entre la rue Vauquelin et Clamart en voiture, les
uns à côté des autres, sans protection spécifique. Ils peuvent faire l
objet derayonnements divers, y compris lumineux. Ces conditions peuvent favoriser les
transmissions incontrôlées d
activité. Pour pallier ce phénomène, jélabore dessystèmes d
isolement et de protection. Pendant la phase de transport, je disposeles tubes dans des cylindres composés d
un alliage appelé mumétal qui isole desbasses fréquences, ou je les enveloppe dans des feuilles d
aluminium très épaisses.Je tente également de les transporter dans un bac d
eau, qui constitue aussiun isolant contre certains champs électromagnétiques. Malgré ces mesures, les
résultats inversés se perpétuent jusqu
à la fin de la série dexpériences, cest-àdireen juillet 1994.
Sur l
ensemble des dix-huit décodages, trois tubes sont correctement identifiés,deux fournissent des résultats incertains (les pourcentages de variation du
débit coronaire ne sont pas significatifs), deux autres ne livrent aucun résultat,
et un tube sera perdu. Les onze autres expériences révèlent des résultats inversés
: les solutions informées restent sans influence sur les organes testés, tandis
que des solutions témoins provoquent un effet semblable à celui que produirait
une solution informée à l
acétylcholine ou à lovalbumine. Conclusion del
équipe de Charpak : trois bons décodages sur dix-neuf lune des dix-huit sériesde tubes contenait deux tubes informés , c
est le fruit du hasard. Donc lesexpériences de transmission ne marchent pas. À première vue, pour un nonscientifique,
l
analyse peut paraître logique. En réalité, je le répète, elle est aberrante.Onze fois sur dix-huit, de l
eau aurait fait varier de façon significative ledébit d
un cur de cobaye. Deux ou trois fois sur dix-huit aurait été un nombred
erreurs acceptable, mais onze fois (près de deux expériences sur trois), cesttrop. La proportion est trop élevée pour résulter du hasard ou d
erreurs de manipulation.Un scientifique sérieux devrait plutôt conclure qu
un phénomènenon identifié, connu ou inconnu, se cache derrière ces résultats. Un scientifique
moins sérieux, mais soucieux de la santé de la population sujette à problèmes
cardiovasculaires, devrait exiger qu
une piscine pour cardiaques soit immédiatementinstallée dans l
enceinte de lÉcole supérieure de physique et de chimieindustrielles, unique lieu au monde où l
eau fait varier les flux coronaires.Pour ma part, je ne peux me résoudre à passer par profits et pertes des résultats
aussi étranges. Je reprends donc les expériences en cherchant le moyen
d
éliminer ces transferts spontanés. Ces nouvelles séries se déroulent intégralementà Clamart (transmission et perfusion-identification). Tout d
abord, jeprends garde d
effectuer les opérations de transmission tube par tube et non en91
série ; j
isole les uns des autres les tubes deau informée et massure quils necôtoient pas les tubes contrôles.
L
observation attentive dincidents opératoires permet également didentifierd
autres causes de transfert non contrôlé. Ainsi, lors dune expérience sur leshautes dilutions (expériences que nous n
avons jamais totalement abandonnées),un technicien remplit deux seringues destinées à la perfusion de solutions
sur des curs isolés : l
une contient des granules homéopathiques doncen haute dilution d
acétylcholine en solution dans de leau, lautre de leautémoin. L
opérateur sabsente du laboratoire pour le déjeuner et ninjecte lesliquides dans le système de Langendorff (cur isolé) qu
à son retour. Les donnéesrelevées à l
issue des deux perfusions indiquent que leau fait varier le fluxcoronarien, alors que la solution d
acétylcholine en haute dilution nentraînepas d
effet. A la première inversion des données, nous estimons que le techniciena confondu les deux seringues à cause de l
interruption du déjeuner. Maiscomme les faits se répètent en dépit de précautions accrues, nous sommes amenés
à envisager d
autres explications. Pour les besoins de lexpérience, les deuxseringues sont disposées sur un injecteur électronique en métal, équipé d
unélectroaimant et d
un moteur électrique. Cest ce qui nous conduit à envisagerl
hypothèse dun transfert dactivité dune seringue à lautre par le biais dusupport. Une vérification complémentaire permet de confirmer l
hypothèse decette transmission spontanée : à une solution que nous supposons informée par
transfert sauvage du signal de l
acétylcholine, nous ajoutons un autre réactif,l
atropine, qui inhibe de façon spécifique les effets de lacétylcholine. Résultatsconcluants : lorsque l
atropine est présente dans la solution, les curs ne réagissentpas ; la même solution exempte d
atropine fait varier les débits coronaires.Depuis cette période, nous avons constaté des transferts spontanés d
activitédans d
autres systèmes. Il sagit probablement dun phénomène intrinsèque del
activité moléculaire : la propagation de proche en proche dun signal par moléculesd
eau interposées. Nous savons aujourdhui que ce signal est composéd
ondes kilo-hertziennes, de même type que les ondes radio dont personne neconteste qu
elles traversent les murs.Au deuxième semestre 1994, les résultats redeviennent conformes à ce qu
ilsétaient avant. Je tiens Charpak et ses collaborateurs informés de l
évolution deces données et leur propose un nouveau protocole prenant en compte les problèmes
rencontrés précédemment. J
envisage même linstallation dun systèmede Langendorff dans les locaux de l
ESPCI pour éviter la phase de transport destubes et simplifier les échanges de résultats.
En décembre 1994, Georges Charpak m
adresse une lettre dans laquelle ilconfirme qu
à son avis les résultats obtenus entre mars et juillet 1994 " sontcompatibles avec ceux que l
on pouvait attendre dun effet dû au pur hasard ".92
Il évoque également l
hypothèse dune fraude parmi mes collaborateurs et celled
un artefact entachant lensemble de mes recherches sur les hautes dilutions etla transmission. Il conclut en me demandant " de ne jamais mentionner une
collaboration quelconque avec [son] équipe ".
Comme les expériences que je continue à réaliser à Clamart sont de plus en
plus satisfaisantes, je persiste malgré tout à en informer l
ESCPI, mais Charpaket son équipe ne répondent pas à mes sollicitations ou seulement de façon désobligeante,
comme dans un courrier de juillet 1995 qui marque la fin de nos
relations :
" Il est intéressant de noter également que vous accordez foi à des publications
qui vont dans votre sens et que vous trouvez les raisons les plus baroques pour expliquer
les échecs.
Vous accordez de l
importance à des publications grotesques, par exemple larticleintitulé "Human Consciousness Influence on Water Structure" écrit par deux
Russes dans le
Journal of Scientific Exploration (...). Ils démontreraient linfluence dela présence de certains individus sur des paramètres physiques de l
eau. Et vous invitezla communauté scientifique à se passionner pour cela !
Vous nous avez également donné les textes d
un théoricien italien, professeurd
université. Nous avons donné son texte à analyser aux meilleurs théoriciens français.Ils ont dit que c
était truffé dhypothèses grossièrement fausses. Mais commec
est écrit dans un langage opaque à 99 % des physiciens, nous comprenons quilpuisse vous leurrer par ses encouragements amicaux. "
Ces considérations de Georges Charpak appellent quelques commentaires.
Tout d
abord, jadmets bien volontiers mappuyer de préférence sur des publicationsqui vont dans mon sens. Il me semble difficile de trouver un seul exemple
d
un chercheur qui mettrait fin à des travaux engagés depuis plus de dix ansau motif qu
un article vient les contredire. Quant aux publications qui ont prisle contre-pied de mes travaux, j
ai pris la peine de les lire et même dy répondre.J
aimerais ensuite que lon mexplique ce quest une raison " baroque ". Personnellement,je ne connais pas d
acception scientifique à ce terme.Autre mot qui ne paraît pas relever de la terminologie scientifique : " grotesque
". Il est employé pour réfuter d
un trait de plume un article publié dans leJournal of Scientific Exploration
. Comme son nom lindique, cette publication apour objet d
explorer des avenues nouvelles, parfois farfelues, en matière scientifique.Elle est dirigée par Peter Sturrock, titulaire de la chaire d
astrophysiquede l
université de Stanford (et esprit ouvert). Lobjet de larticle1 est une série1
L. N. Pyanitsky et V. A. Fonkin, " Human Consciousness Influence on Water Structure ", Journal of ScientificExploration
, 1995, 32, pp. 3-10.93
d
expériences menées entre autres par un membre de lAcadémie des sciencesde Russie. L
expérimentation consistait à montrer que leau à travers laquellepasse un rayon laser peut être soumise à des variations induites par la présence,
près du dispositif, de certaines personnes. Par des mesures informatisées et automatisées,
les chercheurs sont même parvenus à identifier la personne qui se
trouvait près du bac à tel instant, à partir du type de perturbations que sa présence
induisait. On a le droit d
être surpris à la lecture dun tel article. Je le suismoi-même. Mais comment un scientifique peut-il en balayer les conclusions
d
un simple revers de main ? Cette attitude totalitaire, pétrie darrogance incontrôlée,signifie à long terme la fin de la science, ou en tout cas celle de la
recherche.
Enfin, Georges Charpak porte sur l
article du physicien italien Giuliano Preparatarelatif à la théorie des domaines cohérents les molécules exerceraient
les unes sur les autres des forces électromagnétiques des appréciations définitivement
négatives, inspirées des remarques que lui ont communiquées les collègues
auxquels il a fait lire le texte. Car il semblerait que le lauréat du prix Nobel
de physique 1992 ne possède pas personnellement les connaissances théoriques
nécessaires à la lecture d
un article de physique quantique. À ce sujet, jerelève une contradiction : comment les physiciens qui ont lu cet article se sontils
aperçus que les hypothèses qui le sous-tendent sont grossièrement fausses,
puisque le langage utilisé serait opaque pour 99 % de leurs confrères
1 ?Et j
observe également que, à deux ou trois exceptions près, la France na pasproduit de physiciens théoriciens comparables aux Planck, Schrödinger ou Heisenberg.
Elle n
a à son actif que peu ou pas dapports à la théorie quantique.Replacé dans ce contexte, que vaut l
avis de tel physicien (que Charpak auraitconsulté via Pierre-Gilles de Gennes) qui condamne sans débat contradictoire,
donc en violation des règles académiques, des théories publiées dans
PhysicalReviews Letters
, première revue de physique au monde, organe officiel de la Sociétéaméricaine de physique, dont les
referees et les éditeurs nont trouvé le textede Preparata et Del Giudice ni baroque, ni grotesque, ni opaque au point de
ne pouvoir être publié ? Tout ceci prête à sourire, ou plutôt à pleurer, tant cela
traduit la décadence évidente de la science française depuis le début du
XXe siècle.1
J'aimerais connaître la liste du 1 % de physiciens pour lesquels le texte n'est pas opaque. Quelques échangesscientifiques avec eux me seraient fort utiles pour la suite de mes recherches.
94
Pour en terminer sur cette malheureuse " collaboration " avec Georges
Charpak, je dirais qu
au fil de nos rapports, il est passé dune certaine condescendanceau début, au mépris, puis à une attitude franchement hostile. Nos
échanges, dont je me réjouissais, n
ont jamais atteint le niveau de la coopérationvéritablement scientifique que j
aurais souhaitée. Et la réputation douverturequi était celle du physicien n
a pas résisté, ce nest que mon opinion, àl
épreuve des faits.95
CHAPITRE 9
La biologie numérique
L
unité 200 a été officiellement fermée en décembre 1993. La demande decontrat jeune formation (CJF) formulée par ma collaboratrice Yolène Thomas
auprès de l
Inserm a été repoussée. Le rapport de la commission scientifiquechargée de l
évaluation réalisée au printemps 1993 (visite de Charpak) nétaitpas totalement hostile au projet de CJF et suggérait une dissociation entre sa
composante " immunologie classique " et les recherches sur les agressions environnementales
(qui comprennent les champs électromagnétiques, donc les expériences
de transmission). Mais le conseil scientifique, instance suprême de
l
Inserm, a tranché : pas de contrat jeune formation pour la bande de Benveniste.En 1993 toujours, Yolène Thomas a adressé au CNRS secteur Sciences de la
vie, auquel elle appartient une demande de création d
une unité de rechercheassociée, basée sur le même programme de recherche que celui du CJF.
Cette demande a également été refusée.
À la fin de l
année, nous savons donc que nous allons devoir quitter les locauxde l
unité 200. Lusage veut quune équipe puisse se maintenir dans seslocaux pendant une période de dix-huit mois. Jusqu
en été 1995, nous percevronségalement de la part de l
Inserm des crédits de fonctionnement réduits,qui permettent la liquidation progressive de l
unité, mais certainement pas lapoursuite des travaux en cours, contrairement à ce que prétend le directeur général
de l
Inserm1.Nous profitons le plus longtemps possible de ces facilités, avant de nous replier
dans un local en préfabriqué édifié sur le parking du bâtiment principal.
Ce préfabriqué a été installé à la fin des années 80. A l
origine, il constituait uneextension des locaux de l
unité 200, consacrée à la physiologie in vivo (expériencespharmacologiques sur animaux). À partir de 1995, l
Inserm ne met plusà ma disposition que ce local d
une centaine de mètres carrés (quatre à cinqfois moins que le bâtiment principal), dans lequel je dois entasser le matériel de
la défunte unité.
1
Le Monde, 11 décembre 1993.96
Depuis 1994, faute de crédits suffisants, je suis donc contraint de consacrer
une large partie de mon temps et de mon énergie à la recherche de contrats
destinés à financer le fonctionnement de mon équipe, ou plutôt de ce qu
il enreste : deux techniciens chercheurs et quelques bénévoles. Pour 1995 et 1996,
j
ai obtenu des subsides de quelques centaines de milliers de francs de la partdu groupe Bouygues, par l
intermédiaire de sa filiale de distribution deau, ainsique du fabricant de médicaments homéopathiques Dolisos. En 1997, ces
contrats n
ont pas été renouvelés.Mes relations avec le milieu de l
homéopathie se résument désormais à descontacts individuels avec quelques médecins américains, belges et brésiliens
notamment. Les firmes pharmaceutiques spécialisées se sont éloignées.
Actuellement, de nouveaux investisseurs soutiennent mes recherches, notamment
des sociétés américaines d
agroalimentaire et de distribution deau etune entreprise française d
informatique, intéressées par les perspectives quouvrentmes études dans le domaine de la transmission électronique des signaux
moléculaires. Ces entreprises ont saisi l
intérêt que peut présenter la détection àdistance (par un transfert provoqué) de toute activité biologique, par exemple
celle des bactéries le long d
une chaîne de fabrication alimentaire.Un ami banquier suisse, physicien à ses heures, continue lui aussi, depuis plusieurs
années, à m
accorder son soutien. Enfin, la petite association Science innovante,créée à mon initiative, composée de quelques centaines de médecins
et de chercheurs, contribue dans la mesure de ses modestes moyens à la survie
de l
équipe.La fermeture administrative de l
unité 200 ne ma pas empêché de continuermes recherches dans le domaine de la transmission électromagnétique du signal
moléculaire entre des tubes à essais. À partir de 1995, j
ai même perfectionné cesystème. Quelques mois auparavant, j
avais appris que des chercheurs autrichiensuvrant dans le domaine de l
homéopathie avaient réussi, en collaborationavec une firme d
électronique, à enregistrer sur un CD les propriétés électromagnétiquesde la thyroxine (hormone sécrétée par la glande thyroïde qui
remplit une fonction essentielle dans les processus de croissance). Par la suite,
en " jouant " cet enregistrement sur des têtards, ces chercheurs avaient réussi à
modifier le cours de leur métamorphose. Leurs travaux avaient été reproduits
par une équipe de chercheurs en biologie moléculaire de l
université dUtrechtaux Pays-Bas. Leur système avait le mérite de démontrer que les signaux électromagnétiques
de fréquences hertziennes et kilo-hertziennes émis par les molécules
peuvent être numérisés. Cela n
a dailleurs rien dinconcevable pour unesprit ouvert : les ondes sonores perceptibles par l
oreille humaine, qui se situentdans ces mêmes gammes de fréquences, sont couramment numérisées et
enregistrées sur les CD du commerce.
97
En été 1995, la livraison dans mon laboratoire d
un ordinateur muni dunecarte-son, comme on en trouve déjà sur les appareils destinés à une utilisation
multimédia, me permet de passer à l
action. Le dispositif est le suivant : un capteurest placé près d
un tube source recelant une solution dun principe actif(ovalbumine ou acétylcholine, réactifs cardiaques) à dose classique. Les signaux
émis par la solution sont amplifiés puis acheminés vers le disque dur de l
ordinateur.Celui-ci les transforme en données numériques et les enregistre. Pour la
suite des expériences, un tube receveur à informer est disposé près d
une bobineconnectée à l
ordinateur. Le signal informatique, de nouveau amplifié, reconvertien ondes grâce à la bobine, est transmis au tube receveur. L
eau extraitede ce tube receveur est ensuite perfusée sur un cur de cobaye isolé, afin
de tester ses effets.
Ce dispositif me permet de sophistiquer et de rationaliser mes expérimentations
en enregistrant à l
avance, et une fois pour toutes, les signaux émis par lesmolécules de chaque substance à tester.
C
est grâce à ce système également que je peux effectuer des expériences enaveugle avec la collaboration d
une immunologiste de Chicago1. Dans cet objectif,j
expédie dans son laboratoire le capteur ainsi que de leau purifiée, afin depermettre à son équipe d
effectuer lensemble des opérations denregistrementet de numérisation des signaux. À l
issue de cette manipulation, les chercheursdu laboratoire américain réalisent un codage des différents signaux (émanant
de solutions actives et contrôles) et me les transmettent, sur des disquettes, puis
par internet. Dans les locaux de Clamart, désormais rebaptisés Laboratoire de
biologie numérique, je dois identifier les différents signaux, après transfert vers
un tube receveur, perfusion de l
eau informée sur un cur isolé (système deLangendorff) et vérification des effets de la solution perfusée sur les flux coronaires.
En l
espace de quelques mois, durant lété 1996, nous réalisons en aveuglevingt-sept de ces expériences. Vingt-sept fois, je parviens à déterminer si le signal
provient d
un tube informé par lovalbumine ou lacétylcholine, ou duntube contrôle d
eau désionisée. La différence entre les effets sur les curs decobayes de l
ovalbumine et de lacétylcholine " numériques " par rapport àl
action de leau témoin est très hautement significative.Toutes les observations de ce type ne fonctionnent certes pas aussi bien. À
l
occasion dexpériences effectuées en collaboration avec des biologistes del
hôpital Cochin à la fin de lannée 1996 notamment, je relève des séries de résultatserratiques. Souvent, comme dans le cas des expériences réalisées avec
l
équipe de Georges Charpak, leau des tubes contrôles se révèle " active " alors1
Il s'agit de Hsuh Wei, dont je déciderai dans un premier temps de garder l'identité secrète, afin de ne pas nuireà sa carrière.
98
que celle des tubes actifs n
entraîne aucun effet. A lheure actuelle, ce type derésultats " inversés " est beaucoup moins fréquent car l
action du signal sexercedésormais par l
intermédiaire dune bobine électrique placée près des curs decobayes isolés, bobine dans laquelle le signal caractéristique de la molécule ou
le signal " blanc " du contrôle sont envoyés à partir de l
ordinateur. Ce dispositifdu signal numérisé transmis directement au cur par la bobine permet de
supprimer l
étape de linformation du tube receveur et celle de la perfusion.Cela élimine une des causes d
erreurs : les transferts électromagnétiques spontanésentre tubes et les effets parasites d
une eau insuffisamment pure.Mais des sources d
erreurs, il y en a bien dautres. Ces expérimentations nesont pas un chemin tapissé de pétales de roses. Il s
agit dune exploration parfoisaveugle, en
terra incognita, lexact opposé de ce que serait la recherche enFrance dans la conception des lobbies dominants : une activité dont les résultats
sont attendus en fonction d
un programme défini à lavance. Certes, nous constatonsparfois que des enregistrements témoins influencent le cur de cobaye.
Et alors ? Les effets des champs magnétiques sur la matière vivante ont donné
lieu à une littérature dont les volumes couvrent les rayons des bibliothèques. Je
ne les ai pas tous lus et je ne suis pas le seul ! Ce sont probablement des effets de
ce type que nous rencontrons de temps à autre à Clamart et qui ont perturbé
nos expériences dans une zone aussi polluée que l
ESCPI ou lhôpital Cochin.Comme souvent en matière d
expérimentation scientifique, lanalyse dune erreurest source de progression (sauf pour les obtus et les individus idéologiquement
prédéterminés). Peut-être tenons-nous là un système très sensible
d
analyse des effets des champs magnétiques sur les fonctions biologiques, thèmedéveloppé partout dans le monde, sauf en France, où accoler les termes
électromagnétisme et biologie est cause d
excommunication immédiate.Ces expériences ont été présentées dans des congrès scientifiques, mais elles
n
ont pas encore fait lobjet dune publication dans une revue de référence. Laraison en est simple : je n
ai pas encore proposé darticle sur ce thème. Monstatut de scientifique " à part " implique un traitement particulier (et outrageusement
dérogatoire) de mes recherches par la communauté scientifique. Je sais
par avance que, là encore, les revues m
imposeront comme préalable à la publicationune reproduction intégrale de ces travaux dans un autre labo. Je suis
d
ailleurs prêt à tenter à nouveau des expériences du type de celles réaliséesavec l
équipe de Chicago. Mais, tout comme il ne devrait venir à lidée daucunindividu sensé de demander la reproduction à Romorantin d
un décollage defusée Ariane, je ne souhaite pas que ces expériences de biologie numérique
soient reproduites n
importe comment et par nimporte qui. Il est indispensa-99
ble que les conditions d
enregistrement et de numérisation soient effectuéespar des procédés compatibles avec le système que j
ai mis au point, cest-à-direque l
environnement électromagnétique du laboratoire ne soit pas perturbé pard
autres appareillages. Il faudrait également que ces observations se déroulentdans un climat de sérénité et de grande disponibilité de la part de l
équipe extérieure.En d
autres termes, je ne remettrai plus " ma tête sur le billot ".Si ces recherches sur le transfert de données numériques (par ordinateur)
n
ont pas encore été synthétisées sous forme darticle, il nen est pas de mêmedes expérimentations de transfert électronique du signal moléculaire grâce au
système de l
amplificateur1. Mon ex-collaboratrice Yolène Thomas, directeur derecherche au CNRS qui a rejoint cette institution depuis la fermeture de l
unité200, a réalisé sur plusieurs années de multiples expériences d
activation de globulesblancs appelés polynucléaires neutrophiles par transfert électronique. Cette
catégorie de globules blancs du sang a pour mission de détruire tous les intrus
(parasites, bactéries) en libérant sur eux des radicaux libres (des dérivés de
l
oxygène). Lexpérience consistait à transmettre par voie électronique lactivitéd
une substance appelée PMA (activateur classique des neutrophiles), contenuedans un tube source, vers un tube receveur contenant les globules blancs. De
façon systématique, Yolène Thomas a constaté que les neutrophiles exposés à ce
signal électromagnétique du PMA libéraient des radicaux libres. La réaction est
comparable en intensité à celle que provoque une dose pondérale relativement
faible. Cette expérience a été reproduite en aveugle à l
Institut de génétiquemoléculaire (Inserm-Hôpital Cochin), ainsi que dans le laboratoire d
immunologiede Chicago, au prix de grosses difficultés techniques. Les expérimentations
ont fait l
objet dun projet darticle, dont je suis un des cosignataires, quenous avons proposé au
Journal of Immunology, revue de référence en immunologie.Les
referees de cette revue, dans laquelle Yolène Thomas et moi-même avionspublié précédemment une trentaine d
articles, ont demandé à plusieurs reprisesdes précisions, notamment sur la machine de transmission et sur les caractéristiques
du signal électromagnétique. Nous avons répondu à ces questions grâce
à la coopération de physiciens du Laboratoire de physique des solides du
CNRS de Meudon-Bellevue. A l
été 1997, la rédaction en chef donne une premièreréponse : le protocole et les expériences sont parfaits, mais l
article nepeut être publié, sauf à préciser la nature physique exacte du signal. Une telle
exigence, exorbitante, relève d
une véritable censure éditoriale et scientifique.C
est comme si on refusait tout article sur un nouveau corps céleste sous le prétexteque l
on ne sait pas comment lUnivers fonctionne (ce qui est le cas). Celarevient à exiger des années de recherches supplémentaires, dont nous n
avonsles moyens ni sur le plan matériel ni sur le plan théorique, car l
électrophysique1
Voir chapitre 6.100
n
est pas notre domaine, comme lun des referees de la revue lui-même la reconnu.En outre, la publication d
un article dans une revue de référence a justementpour objectif d
informer les chercheurs de nos résultats et de susciter lesréactions d
équipes spécialisées dans telle ou telle discipline dont relève le phénomène.En mars 1998, la revue a définitivement signifié son refus de publier le
texte.
Mon laboratoire, ainsi que quelques équipes proches, peuvent donc aligner
des résultats expérimentaux qui démontrent l
existence de signaux électromagnétiquesémis par les molécules. Et pourtant, à l
instar des expériences de dégranulationdes basophiles, ces travaux ne sont pas reconnus par la Science officielle.
La biologie numérique, dénomination que j
ai créée pour désignerl
ensemble de ces recherches, reste donc pour linstant une discipline en marge.Comment définir en quelques mots cette nouvelle branche de la biologie ?
Et en quoi bouscule-t-elle apparemment tout au moins les paradigmes de la
science ?
Il est admis que la vie dépend des signaux que les molécules échangent entre
elles. Exemple : lorsqu
on se met en colère, ladrénaline " commande " à sonrécepteur, c
est-à-dire la partie dun organe sensible au message de cette hormone,de faire battre le cur plus vite, de contracter les vaisseaux cutanés, etc.
Le message est adressé à ce récepteur et à lui seul. Les termes " message moléculaire
" sont très fréquemment utilisés en biologie, mais lorsqu
on demandeaux biologistes (même les plus éminents) quelle est la nature de ce message, ils
ne comprennent même pas la question et ouvrent des yeux ronds. C
est quilsse sont mitonné une physique bien à eux, strictement descartienne, aux antipodes
de la physique moderne. En effet, selon la théorie mécaniste de Descartes
(qui sera très vite contredite par les idées du physicien et astronome hollandais
Huygens), il n
y a pas de mouvement sans choc physique initial. Extrapolant àpartir de cette théorie dépassée, les biologistes en ont déduit que seul le contact
entre deux structures crée de l
énergie et permet un échange dinformations.Moi-même, j
ai longtemps accepté et récité ce credo, sans me rendre compte del
absurdité de la chose, comme pendant des milliers dannées les hommes ontcru que le Soleil tournait autour de la Terre. Ma position a évolué : les molécules
vibrent, on le sait depuis des décennies ; mais chaque atome de chaque molécule
et chacune des liaisons chimiques (les " ponts " qui relient les atomes)
émettent un ensemble de vibrations d
une fréquence qui leur est propre. Cesfréquences spécifiques de molécules simples ou complexes sont détectées à des
milliards d
années-lumière grâce à des radiotélescopes. Les biophysiciens lesdécrivent comme une caractéristique essentielle physique de la matière, mais les
101
biologistes n
envisagent pas que des rayonnements électromagnétiques puissentjouer un rôle dans les fonctions moléculaires elles-mêmes. En conséquence, on
ne trouvera les mots " fréquence " ou " signal " (au sens physique des termes)
dans aucun traité de biologie ; encore moins le vocable " électromagnétique ",
qui, comme on l
a vu, est à lui seul un motif de condamnation définitive du biologistequi en ferait usage par le Saint-Office scientifique.
Il faut rappeler que le processus qui m
a conduit à cette théorie du signalélectromagnétique de la molécule résulte d
une démarche purement expérimentaleet non d
une illumination qui maurait fait mécrier : " Eurêka, les vibrationsdes molécules sont l
outil de travail qui leur permet dadresser leursinstructions à la molécule suivante dans la cascade d
événements qui présidentaux fonctions biologiques et, dans une large mesure, chimiques. " Le processus
logique que j
ai suivi peut être défini selon trois moments : De 1983 à 1991, mes travaux ont été axés sur l
action des hautes dilutionsde principes actifs dans l
eau. À partir de 1991, mes recherches ont porté sur la transmission du signal par
un amplificateur et des bobines électromagnétiques.
En juillet 1995, nous sommes parvenus à enregistrer et à " rejouer " ce signal
grâce à un ordinateur multimédia. Lors de plusieurs milliers d
expériences,nous avons, avec succès, fait " croire " à un récepteur spécifique d
unemolécule simple ou complexe qu
il était en présence de sa molécule préféréeen lui jouant l
enregistrement du signal spécifique de cette molécule. Il y adonc tout lieu de penser que lorsque c
est la molécule elle-même qui est enprésence du récepteur, elle agit de même : elle envoie vers ce récepteur les fréquences
qu
il est capable de reconnaître.Le succès des expériences réalisées à l
aide dun ordinateur, dont la carte-sonn
enregistre que les fréquences inférieures à 20 000 hertz, atteste donc que lessignaux électromagnétiques émis par les molécules ressortissent à cette gamme
des basses fréquences (la même que celle de la voix humaine et de la musique).
Le parallèle avec la musique pourrait d
ailleurs être poussé plus loin : pourconter fleurette à une jeune fille, on ne fait pas donner
la Marseillaise ; pour fairesortir les soldats des tranchées, on ne leur joue pas de berceuse. Les sons aigus
et rapides engendrent la gaieté, les sons aigus et lents la douceur, les harmonies
graves et rapides réveillent l
ardeur guerrière, les sonorités graves et lentessuggèrent le sérieux, la tristesse, le deuil. Ces sensations résultent d
une miseen uvre de phénomènes physicochimiques cérébraux déclenchés par des fréquences
définies. Nous ne faisons pas autre chose lorsque nous transmettons à
des modèles biologiques des activités moléculaires enregistrées.
Cependant, il est certain que l
enregistrement du signal dune molécule dunprincipe actif tel que nous le pratiquons suppose la présence d
un " bruit de102
fond ", produit par les signaux de toutes les molécules environnantes de celle
qui nous intéresse. Comment, dès lors, expliquer que cette molécule puisse
communiquer avec les molécules du récepteur qui lui correspond, et, à un niveau
plus global, qu
une modification chimique infime (dans lorganisme humainpar exemple) puisse entraîner des conséquences fonctionnelles considérables
? Selon mon interprétation, lors de leur interaction, les molécules communiqueraient
par un système de corésonance, c
est-à-dire quelles vibreraientselon la même fréquence, tout comme l
émetteur qui diffuse le signal radio deFrance Inter et le poste récepteur réglé pour capter cette station. Mais cela, les
biologistes classiques, " structurels ", sont incapables de l
expliquer ou de ladmettre.Ou plutôt, ils sont dans l
impossibilité de ladmettre parce quils nepeuvent pas l
expliquer. En décidant que ce sont les structures seules qui agissent(" la physique et la chimie officielles
disent que pour quil y ait un effet biologique,il faut des molécules "), ces biologistes se complaisent et se prélassent
dans un univers conceptuel prénewtonien, dans lequel, selon Ptolémée (100-
170 apr. J.-C.), les astres sont reliés entre eux par des engrenages. D
où limpuissancede la biologie actuelle à répondre aux grandes pathologies de cette
fin de siècle.
Précisons le point de vue : la théorie en vogue depuis plusieurs décennies est
que l
information passe dune molécule à lautre lorsquelles sont en étroitcontact l
une avec lautre. Il ny a aucun autre exemple en physique de créationd
énergie et/ou de passage dinformation par simple coalescence de deux surfacesde même forme. En biologie, le phénomène se complique car une molécule
donnée ne communique pas avec n
importe quelle molécule mais, parexemple, avec son récepteur ou, s
il sagit dun antigène, avec son anticorps etavec lui seul. Les biologistes utilisent pour décrire ce phénomène une analogie
clé-serrure. Cela leur permet de faire l
économie de comprendre comment laclé trouve la serrure et, une fois qu
elle y est miraculeusement introduite (parqui ?), ce qu
elle " dit " à la serrure pour que celle-ci fonctionne. Aucune desforces décrites actuellement dans l
univers moléculaire (charges électrostatiques,liaisons hydrophobes, etc.) ne permet d
analyser cette spécificité, ni latransmission d
informations. Par contre, lhypothèse électromagnétique, aveccorésonance des champs de deux molécules, pourrait apporter une explication.
Chacun le vérifie quotidiennement : une variation de quelques fractions de mégahertz
sur la bande FM suffit à ce que le poste récepteur ne reconnaisse plus
du tout telle station, mais complètement telle autre. De même, la modulation
de cette fréquence permet de différencier la voix de Johnny Hallyday de celle
de Jacques Chirac. La spécificité d
un tel système devient absolue, ses variationspermettent une infinité de combinaisons et les mécanismes qu
elle engendresont extrêmement puissants. Certains phénomènes biologiques sont probable-
103
ment beaucoup plus complexes que les trains d
ondes artificiellement créés parl
homme, mais il sagit dun principe heuristique, dune théorie qui permetd
avancer et, de plus, peut être vérifiée pas à pas grâce aux méthodes et moyensmodernes d
enregistrement, de traitement et de diffusion des ondes sonores.Tout ceci rentre parfaitement dans le cadre de la physique et de la biologie modernes.
En effet, pour passer de cette biologie figée des structures à celle de
l
information moléculaire circulant à la vitesse de la lumière, point nest besoind
une révolution théorique absolue, à condition que lon se penche sur la questionavec un esprit scientifique et ouvert. Contrairement à ce qui a été fort stupidement
répandu par mes détracteurs, enregistrer l
activité des moléculesn
implique nullement de nier la loi daction de masse (plus il y a de molécules,plus fort est l
effet), ni lexistence de ces molécules (elles sont bien à loriginedes messages électromagnétiques qui leur permettent d
agir). Comme si enregistrerla voix d
un chanteur le faisait disparaître ! En réalité, si les expériencessur les hautes dilutions réalisées dans les années 80 ont pu apparaître comme
révolutionnaires, destructrices du paradigme théorique en vigueur jusque-là, les
dernières avancées produites par mon équipe impliquent plutôt une évolution
qu
une révolution théorique. Lhypothèse selon laquelle les molécules communiquentpar des signaux électromagnétiques spécifiques n
est pas contradictoireavec les principes de la biologie structurelle, elle est complémentaire. Elle explique
tout autant le mécanisme des réactions biologiques classiques (les molécules
s
adressent entre elles des messages électromagnétiques sans que lecontact physique soit nécessaire) que l
action des hautes dilutions (le seul signal,stocké dans l
eau puis restitué, peut suffire à déclencher un processuschimique et biologique). Nous ne nous plaçons donc pas dans un Autre Monde,
électromagnétique, que nous substituons à l
ancien, moléculaire1. Nous captons,dupliquons, transférons et bientôt nous serons en mesure de modifier
les signaux électromagnétiques émis par les molécules exerçant normalement
leurs fonctions.
Et l
eau dans tout ça ? Elle nest que le transporteur dinformation. Rien derévolutionnaire d
ailleurs : cest par des ondes hertziennes de basses fréquencesque les sous-marins en plongée communiquent avec la surface. Mais la " mémoire
de l
eau " ? Cest un peu plus mystérieux, mais pas plus que lexistencemême de l
eau, un mélange liquide (à température et à pression ordinaires) dedeux gaz (oxygène et hydrogène), mélange qui se dilate et se solidifie en refroidissant
!
1
Mes découvertes représenteraient donc une évolution plutôt qu'une révolution des paradigmes dominantsde la biologie, ai-je précisé, mais quand bien même elles constitueraient une véritable subversion de ces dogmes,
cela ne devrait pas empêcher qu'elles soient examinées et discutées sans préjugés hostiles et ascientifiques.
104
CHAPITRE 10
Scientistes, intégristes,
rigolades et diffamation
Le 22 mai 1996,
Le Monde publie une tribune libre que je lui ai adresséequelques jours auparavant. Ce texte intitulé " L
ARC, les vaches et la recherchefolles " dresse un bilan critique de l
état de la recherche française en biologie, àpartir de deux affaires de santé publique récentes, le scandale de l
ARC et ledossier de la vache folle. J
y avance lidée que la recherche fondamentale enbiologie de cette fin de siècle n
a apporté que très peu de réponses aux grandespathologies modernes, qu
aucune découverte fondamentale na influé sur letraitement des cancers, affections cardiovasculaires, infectieuses et parasitaires,
rhumatismales, dégénératives, mentales. Des progrès ont été réalisés, mais seulement
par empirisme comme pour les antibiotiques, ou grâce aux apports de la
technologie. Sur la biologie en particulier, dont la crise est patente au niveau
mondial, mais plus prononcée en France, je pose quelques questions qui agacent
: " Combien de prix Nobel français depuis vingt ans ? " J
indique enfin cequi me semble pouvoir mettre fin au surplace de la recherche en biologie : une
évolution de la biologie classique, structurale, vers la biologie numérique, c
està-dire la détection et le traitement numérique des signaux hertziens de basse
fréquence de chaque substance biologique. Et je conclus par ces mots : " En attendant
le peuple paye, les malades sont malades, les vaches s
affolent. Le présidentde la République s
impatiente. Tant quon élit les bonnes élites à lAcadémiedes sciences, donnez, bonnes gens, tout est en ordre. Nous rachèterons nos
brevets aux Américains. "
Le texte déclenche de nombreuses réactions : textes de chercheurs courroucés
(voire hystériques) ou approbateurs, courriers de lecteurs, dont certains
morceaux choisis sont publiés dans les éditions suivantes du
Monde. Je suis pris àpartie par certains de ces lecteurs, mais le quotidien l
est également pourm
avoir donné la parole, notamment par un directeur de recherche au CNRSqui m
est totalement inconnu1. Ce chercheur mattaque abondamment (mes1
" Alexandre Ghazi, M. Benveniste, la science et Le Monde ", Le Monde, 29 mai 1996.105
travaux sur la biologie numérique sont ravalés au rang d
" ébouriffant scénariode science-fiction "). Cependant, il ne parvient pas à donner d
exemples davancéesmédicales issues de la recherche fondamentale en biologie, excepté les traitements
contre le sida (exemple à double tranchant : le retard, et les raisons du
retard, de la France en ce domaine sont désormais bien connus). En revanche,
il exprime l
idée selon laquelle les thèses scientifiques, par opposition aux idéespolitiques, ne devraient pas pouvoir faire l
objet de tribunes libres dans la presse.En d
autres termes, ce scientifique prend sa plume pour expliquer dans unelettre manifestement destinée à la publication que les libres opinions émanant
de scientifiques ne devraient pas être publiées par les journaux ! La conclusion
de son texte est assez révélatrice des obstacles que la communauté scientifique
française a mis sur mon chemin depuis dix ans et de la nature des arguments
qui m
ont été opposés :" On aura compris que, dans cette affaire,
Le Monde est plus coupable en acceptantde publier cet article que M. Benveniste en l
écrivant. Car la généralisation dece procédé serait détestable. Elle signifierait que, demain, le premier gourou venu,
fort simplement de l
appui dune rédaction, peut attaquer dans lesprit du public lecrédit attaché à tel ou tel champ scientifique. Il n
aura pas besoin dapporter lespreuves des critiques qu
il avancera. Et les protestations des chercheurs "officiels"ne seront prises que pour des tentatives d
étouffer la vérité. Certains historiens révisionnistesont commencé, ailleurs, ce procédé. M. Benveniste et
Le Mondel
inaugurent en biologie. Espérons quon en restera là. "Les termes insultants n
ont certainement pas été choisis par hasard. On parlede " gourou " et l
on assimile mes recherches à celles des historiens négationnistes.Cela revient peu ou prou à me traiter de nazi. Position politique, disons...
spéciale, à l
encontre du Juif de gauche que je suis. A mon tour, je ne puisqu
espérer " quon en restera là ".Le Monde
publie également une tribune du généticien Axel Kahn aimablementintitulée " Entre savoir et pouvoir, les gourous
1 ". Au titre des grandesavancées thérapeutiques concrètes issues de la biologie, Kahn ne peut citer que
le traitement du diabète par l
insuline (découverte en 1920 par trois Canadiens)et des espoirs futurs. Pour la petite histoire, les chercheurs qui ont découvert
l
insuline ont été dans un premier temps copieusement insultés par la communautéscientifique, au motif qu
une substance aussi toxique ne pourrait circulerdans le sang sans dégâts. Deux d
entre eux ont par la suite reçu le prix Nobelpour cette découverte.
1
Le Monde, 29 mai 1996.106
Au passage, cher Axel, je te rappelle les rapports d
amitié et de respect réciproquesqui sont les nôtres. Et je te trouve un peu gonflé d
employer à monpropos le terme de " gourou ". Car s
il est un archétype absolu du gourou enbiologie, c
est bien toi. Tu es de tous les comités et lon te voit ou lon tentendt
exprimer partout, dès que le préfixe " bio " est prononcé en quelque endroitde la planète médiatique. Que tu me traites de gourou, moi le réprouvé, le " lépreux
" marginalisé, enfermé dans son préfabriqué à Clamart, ne peut que me
faire sourire.
" Les prix Nobel Georges Charpak et François Jacob ont ainsi manifesté leur
surprise de lire dans
Le Monde ce quils estiment être des élucubrations ", pourra-t-on lire dans le quotidien du soir huit mois plus tard, alors que paraît le
premier volet d
une série darticles dEric Fottorino1. On eût préféré de la partd
aussi éminents scientifiques une liste même modeste, des bénéfices apportés àla santé par la recherche en biologie.
Les trois papiers ont été rédigés à l
issue des longues investigations dont Fottorinoa été chargé par son journal à la suite des remous provoqués par la publication
de mon diagnostic sur l
état de la recherche française. Lexceptionnellelongueur de la série d
articles, six pleines pages plus les nombreux courriersde réaction reproduits par la suite, témoigne de l
importance que le quotidienentend donner à cette enquête.
Dans ses articles, le journaliste retrace le déroulement des événements :
l
article de Nature de juin 1988 sur la dégranulation des basophiles, qui a déclenchél
affaire ; la contre-enquête de Nature, point de départ de la contreattaquede la Science officielle ; mes démêlés administratifs avec l
Inserm ; lesexpériences réalisées avec l
équipe de Georges Charpak ; les dernières expériencesde biologie numérique effectuées en liaison avec le laboratoire de Chicago.
Pour les besoins de son enquête, il m
a longuement interviewé et aconfronté ma version des faits aux points de vue d
autres scientifiques qui sontintervenus à un moment ou à un autre de l
affaire.Huit ans après le début de l
affaire, les personnalités du monde scientifiquequi me soutiennent, ou refusent de condamner en bloc mes recherches, sont
fort peu nombreuses. Jean-Paul Lévy, spécialiste du sida, explique à propos de
mes recherches : " Il faut le laisser fouiller. Ce n
est pas le diable. Je nai pas besoind
exorciser les lieux quand il part2. " Jacques Testart, lun des pères dupremier bébé-éprouvette français, se dit scandalisé par l
attitude de la recherche1
" La mémoire de l'eau ", Le Monde, 21, 22 et 23 janvier 1997.2
Le Monde, 21 janvier 1997.107
officielle à mon égard : " Ce serait tellement énorme s
il avait raison quil estanormal de ne pas l
aider. On ne cherche que la faille1. "D
autres refusent de répondre aux sollicitations du Monde, comme JohnMaddox, ancien rédacteur en chef de
Nature, ou réagissent seulement par écrit,tel le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux, professeur à l
Institut Pasteur et auCollège de France, qui affirme que " compte tenu de [ses] responsabilités
comme président du Comité consultatif national d
éthique, [il est] tenu à undevoir de réserve au sujet de l
affaire Benveniste et de la mémoire de leau2 ". Jene vois pas le rapport, mais passons. Par ailleurs, Changeux parle volontiers de
tout et de rien dans les médias les plus variés. Je sais également que lorsqu
ils
exprime en privé devant des personnes qui ne me connaissent pas (ou ne sontpas censées me connaître), la " réserve " de Changeux s
évanouit : il vocifère àjet continu contre l
hérésie scientifique que représente à ses yeux la mémoirede l
eau.Enfin, certains de mes détracteurs acceptent d
apporter leur témoignage aujournaliste du
Monde. Lorsque Éric Fottorino leur donne la parole, cest un véritablefestival d
inepties. Dans toute la série darticles, je nai pu relever de leurpart une seule critique formulée à l
aide de raisonnements scientifiques, oumême seulement dans un langage scientifique.
À tout seigneur, tout honneur, commençons par Georges Charpak. Selon lui,
les expériences de transmission d
un signal moléculaire électromagnétique sont" une franche rigolade. C
est tellement débile que cen est écurant3 ". Le lecteurpeut apprécier la profondeur de l
argumentation. Le physicien poursuit enexpliquant, au mépris de la vérité, qu
" aucun laboratoire ne retrouve [mes]résultats ", alors que, dès avant la publication de l
article de Nature de juin 1988,trois laboratoires les confirment. C
est donc une contre-vérité.Selon Charpak encore, les enregistrements numériques de signaux moléculaires
et leur transmission par l
internet ne sont pas possibles car " les bandespassantes sont trop étroites pour restituer la complexité d
une molécule. Cest"hénaurme"
4 ". Cette appréciation ne relève pas du débat scientifique. Charpaka-t-il déjà pris connaissance du moindre détail de ces expériences de transfertnumérisation
? Comment peut-il affirmer que les signaux électromagnétiques
numérisés des molécules sont trop complexes pour la bande passante des réseaux
informatiques, c
est-à-dire léventail des fréquences que peuvent transporterces réseaux ? Pourtant, comme je l
ai expliqué, une équipe dimmunologis-1
Le Monde, 21 janvier 1997.2
Ibid.3
Le Monde, 22 janvier 1997.4
Le Monde, 23 janvier 1997.108
tes de Chicago collabore à ces recherches et me permet de réaliser des expériences
en aveugle grâce à un échange de données numériques par internet.
Dans un premier temps, comme je l
ai indiqué, je nai pas voulu révéler lidentitéde la responsable de ce laboratoire pour ne pas la compromettre et l
exposerinutilement à des critiques péremptoires. A en juger par la réaction de Charpak,
la précaution n
était pas vaine : on ne peut avoir affaire quà des marginaux dela science, des complices, explique-t-il cité indirectement par le journal, à propos
des immunologistes de Chicago
1.On ne peut que se frotter les yeux : un scientifique, lauréat du prix Nobel, se
permet d
attaquer une équipe de chercheurs quil ne connaît pas et del
accuser de complicité de fraude. Pas de chance pour Charpak, Éric Fottorino arencontré la responsable du laboratoire de Chicago : Hsueh Wei, dont le nom a
été rendu public depuis, est professeur à la prestigieuse Northern University de
Chicago, auteur de nombreuses publications dans des revues du plus haut niveau.
Elle a été chargée par le
National Institute of Health2 de plusieurs missionsde recherche et a siégé pendant quatre ans en tant que
referee dans une importantecommission de ce même NIH. Tel est le pedigree de celle que Charpak
qualifie avec légèreté de chercheur " marginal ".
En outre, Charpak et son collaborateur Claude Hennion, délégué aux expériences
effectuées conjointement entre l
unité 200 et lÉcole supérieure de physiqueet de chimie industrielles en 1994, ont exprimé à plusieurs reprises au
journaliste du
Monde lidée que mes travaux sont entachés de fraude, sans jamaisen apporter la moindre preuve.
À la suite de la publication de l
article, je demande par écrit à MM. Charpaket Hennion de se rétracter sur ce point, ce à quoi ils se refusent. En été 1997,
j
intente une action en justice devant le tribunal de grande instance de Paris.Par des arguments de pure procédure, les avocats de la défense ont obtenu que
le tribunal se déclare incompétent pour trancher l
affaire au fond. Selon ce tribunal,et à la faveur d
un revirement de la jurisprudence, laction aurait dû êtreintentée au pénal et non au civil comme je l
avais fait. Mais pour laction pénale,le délai est dépassé. L
affaire ne sera donc jamais examinée par la justicepour une question de pure forme. Dommage. Le défenseur de Charpak déclarera,
à propos des accusations de fraude formulées par son client à mon égard,
que " le terme (employé par Charpak) a sans doute dépassé sa pensée, c
est unhomme rigide
3 ". Rigide ! Si cest son avocat qui le dit...Pour conclure sur ce point, je tiens enfin à faire remarquer que Charpak a
été mandaté par l
Inserm en 1993 pour donner son avis sur le fonctionnement1
Le Monde, 23 janvier 1997.2
Équivalent américain de l'Inserm.3
Le Quotidien du médecin, 23 février 1998.109
de mon unité de recherche. S
il a constaté, de la part du fonctionnaire que jesuis, une fraude, une quelconque manipulation de résultats d
expériences financéespar les fonds publics alloués à l
unité 200, il aurait dû la dénoncer àl
Inserm.Un autre lauréat du prix Nobel interrogé par
Le Monde développe également,et sans plus de preuves que Charpak, le thème de la fraude. Il s
agit de FrançoisJacob. Parlant de la reproduction des expériences de dégranulation des basophiles
réalisées par un laboratoire israélien, en 1986 et 1987, il affirme : " Il fallait
toujours la présence de sa technicienne (le docteur Davenas) pour que ça
marche. C
est le cas typique de la fraude1. " Elisabeth Davenas a effectivementséjourné à Tel-Aviv pour perfectionner la formation de l
équipe israélienne à lapratique des expérimentations de dégranulation. Mais des expériences positives
(et à signification statistique satisfaisante) ont eu lieu avant son séjour et après
celui-ci. L
accusation portée par François Jacob est insupportable. Jai donc décidéqu
il serait lui aussi visé par laction en justice engagée contre GeorgesCharpak et son collaborateur, Claude Hennion. Comme dans le cas de ces derniers,
ma plainte en diffamation contre Jacob n
a pas été examinée par le tribunalpour des motifs de procédure.
L
enquête du Monde rappelle également que Jacob mavait reçu en 1988, justeavant la publication de l
article de Nature. Le lauréat du Nobel 1965 mavaitquasiment mis à la porte de son bureau. Son opinion sur la mémoire de l
eaun
est pas exprimée en termes plus scientifiques que celle de Charpak. " Une dilution10 puissance 50 fait disparaître les molécules. Or la physique et la chimie
disent qu
il faut des molécules2 ", explique-t-il. François Jacob, prix Nobel, ditque la physique et la chimie
disent quelque chose. Les mêmes mots que Torquemada: Dieu et la Sainte Église disent... On sent bien que, dans l
esprit deJacob, la question des hautes dilutions ne vaut pas la peine d
être posée,qu
aucune expérience contraire à ce que dit létat actuel des connaissances nepourra le faire changer d
avis ou même seulement sintéresser au phénomène.Son mode d
évaluation de la valeur de mes expériences est révélateur : " Lacourbe que m
a montrée Benveniste dénotait un personnage incroyable3 ". Lelecteur ne rêve pas : François Jacob peut appréhender la personnalité d
un individuau simple examen d
une courbe relative à ses expériences de biologie. Leparoxysme est atteint lorsque Jacob indique au journaliste ce que devrait être
une courbe représentant l
activité des hautes dilutions. On se demande bien1
Le Monde, 23 janvier 1997.2
Ibid.3
Ibid.110
comment il peut l
imaginer puisque, selon ses termes, la biologie dit que cetteactivité est impossible, mais admettons. Il s
agirait dune courbe montante suivied
un palier. François Jacob nest certes pas immunologiste, mais la culture généraleou la mémoire d
un lauréat du prix Nobel de médecine devraient luipermettre de savoir que les courbes retraçant les réactions de type immunologique
comme la dégranulation des basophiles revêtent dans l
immense majoritédes cas une forme de cloche. Car, en raison d
un effet de saturation des récepteurssitués sur les cellules, l
activité de lanticorps (du réactif) ne stagne pasmais diminue après avoir atteint son maximum. L
activité de lanti-Immunoglobuline E au fil des dilutions se traduit donc par une succession de
pics ou de cloches, ce qui, au regard des rudiments de la biologie, et si l
on posel
hypothèse dune activité des hautes dilutions, est tout à fait logique1. Ce sontselon moi les bases de l
immunologie.Autre scientifique interrogé, le rhumatologue Marcel-Francis Kahn, un collègue
d
internat. Le ton est moins virulent, mais le fond du discours nen est paspour autant plus ouvert. Kahn se dit mon ami (de trente ans ?) mais parle du
" délire psychotique de Benveniste " et de " fraude inconsciente
2 ". Je noseimaginer quelle pourrait être son appréciation s
il ne sagissait dun ami ! Son" diagnostic " appelle par ailleurs quelques remarques :
1) Il n
est pas psychiatre, mais rhumatologue ;2) De deux choses l
une : soit il a effectivement détecté la supposée " psychose", et il s
agit dune grave infraction à la déontologie la plus intangible : lesecret médical ; soit il n
a pas constaté la maladie, et le professeur Kahn ment,diffame, pour des raisons idéologiques. C
est le procédé infâme des Grands Inquisiteurs!
Selon Marcel-Francis Kahn, " le désir d
un expérimentateur darriver à prouverses hypothèses peut amener à une distorsion de sa perception du réel
3 ".Mais alors pourquoi cette distorsion ne s
est-elle pas manifestée lors de mes recherchesantérieures en allergologie classique ? (le médiateur PAF-acether, la
dégranulation des basophiles à doses pondérales). Ces travaux ont été commencés
longtemps avant mes études sur les hautes dilutions, puis menés de
front avec ces dernières pendant dix ans. Des expériences utilisant le test de dégranulation
des basophiles avec doses pondérales de réactif ont fait l
objet denouvelles publications en 1990 (par mon équipe), et 1994 (par l
équipe italiennequi a collaboré avec nous pour l
article de juin 1988 de Nature) dans unerevue de référence, le
Journal of Immunology.1
La première courbe en cloche a été publiée par le biologiste Von Pirquet en 1904 : ce type de courbe est décritdans le traité de B. Benacerraf et E. R. Unanue,
Textbook of Immunology, Baltimore, éd. Williams & Wilkins, 1980,p. 55.
2
Le Monde, 21 janvier 1997.3
Ibid.111
Marcel-Francis Kahn estime également que mes recherches sur les hautes dilutions
et la mémoire électromagnétique de l
eau ne satisfont pas aux critèresde reproductibilité qu
exige la biologie actuelle. Or, je le répète encore unefois, les équipes qui ont essayé de reproduire ce type d
expériences avec un minimumde rigueur et de bonne volonté y sont parvenues : trois laboratoires
étrangers pour la dégranulation des basophiles en 1987 ; quatre laboratoires
que je ne connais pas pour les expériences menées par le professeur Roberfroid
1; une équipe de Cochin et celle de Chicago pour les expérimentations de
transfert d
activité sur les globules blancs polynucléaires neutrophiles dirigéespar Yolène Thomas.
Quand bien même une découverte de biologie issue d
une expérience complexene pourrait faire, au début du processus de sa mise au point, l
objet dunereproductibilité générale et absolue, cela ne signifie pas que le phénomène
constaté n
existe pas. La reproductibilité doit pouvoir être atteinte, cest certain.Mais contrairement à ce que déclare Kahn,
tous les travaux présentés en biologiene font pas l
objet " dune reproductibilité serrée2 ". Un exemple : la transmissionchimique de l
influx nerveux dans les synapses, décrite en 1921 parl
Autrichien Otto Loewi. Les synapses forment des relais entre les neurones.Comme c
est un courant électrique qui véhicule linflux nerveux à travers lesneurones, la logique laissait penser pour paraphraser François Jacob, les
connaissances en médecine
disaient que les synapses étaient également parcouruspar un courant électrique. Par des expériences consistant à connecter les
curs de deux grenouilles, Loewi est arrivé à la conclusion que la transmission
de l
influx dans les synapses sopère par un processus chimique (par le biaisd
une molécule) et non électrique. Pendant plusieurs années, dautres chercheursont tenté de répéter son expérience, sur des mammifères et non sur des
grenouilles. Ce n
est quà la fin des années 40 quun Britannique, John Eccles,chef de file des opposants à Loewi sur cette découverte, a réussi à reproduire
l
expérience sur des mammifères. Par la suite, Eccles a développé ses travaux, àpartir de cette expérience dont il avait ardemment combattu le principe pendant
des années. Il a fini par obtenir le prix Nobel. Loewi avait entre-temps reçu
cette récompense pour d
autres recherches.Marcel-Francis Kahn possède la réputation d
une certaine ouverture desprit.Nonobstant, il a choisi dès 1985 de combattre mes travaux ou, comme il l
expliquedans
Le Monde, de me " détourner de cette voie funeste ". Pourquoi ? Paramitié ? J
en doute. La spécialité médicale de Marcel-Francis Kahn fournit undébut d
explication : la rhumatologie est une discipline médicale immobiliste,dans laquelle aucune découverte de recherche fondamentale d
importance na1
Voir chapitre 5, p. 61.2
Le Monde, 22 janvier 1997.112
récemment vu le jour. Les techniques et les médicaments disponibles sont exactement
les mêmes que ceux que j
utilisais il y a trente-cinq ans, lorsque jai uvrédans ce domaine en tant qu
interne des hôpitaux : cortisone et antiinflammatoires.Les traitements des maladies auto-immunes comme la polyarthrite
évolutive ou le lupus érythémateux n
ont fait aucun progrès sensible.Marcel-Francis Kahn, sans doute compétent en rhumatologie, n
a de sa vie jamaisréalisé la moindre expérience de biologie. Cela ne l
empêche nullementde donner, avec autorité, hauteur et componction, son point de vue (défavorable)
sur des procédés qu
il ne peut comprendre. Que dirait-on si je déclaraisque le diamètre des boulons de la tour Eiffel a été mal calculé ?
Autre raison de l
engagement de Marcel-Francis Kahn : son appartenance aumouvement ultrarationaliste, que j
appelle les " intégristes scientistes ", pourlesquels tout ce qui s
éloigne de la Science officielle nest quune manifestationde l
obscurantisme. Ce courant ultrarationaliste est logiquement représentédans les milieux scientifiques, donc parmi les hospitalo-universitaires comme le
professeur Kahn. Il compte aussi des soutiens plus inattendus, par exemple chez
les adeptes d
un intégrisme laïcard à la fois anti-establishment et politiquementcorrect (les bouffeurs de curés de
Charlie Hebdo). Cest donc encore pour desraisons idéologiques que Marcel-Francis Kahn a choisi de pourfendre mes recherches,
en les classant dans la catégorie de la " patamédecine " (selon ses
termes), qui recouvre tout ce qu
il ne comprend pas (selon les miens).Pour son enquête, Éric Fottorino a également rencontré des collègues qui
ont pendant un temps participé ou collaboré à mes recherches. Parmi ceux-ci,
deux des signataires de l
article de Nature de juin 1988 sur la dégranulation desbasophiles : Bernard Poitevin, qui a commencé ses recherches sur les hautes dilutions
dans l
unité 200 au début des années 80, et Philippe Belon, directeurscientifique des laboratoires homéopathiques Boiron, avec lesquels mon unité
était sous contrat à l
époque. Ni Poitevin ni Belon nont publié darticle de biologiedans des revues de référence depuis le texte paru dans
Nature. Ils ont uneautorité scientifique limitée en ce domaine, mais se permettent des jugements
qui ne résistent pas à l
examen. De surcroît, par peur du scandale, ils renientleurs engagements à mes côtés et les signatures qu
ils ont apposées près de lamienne au bas de plusieurs articles.
Selon Bernard Poitevin, j
aurais commis lerreur dune trop grande précipitationen publiant dans
Nature. " Mais les courbes dactivité nétaient pas imaginaires.Il fallait juste finir de mettre au point la reproductibilité du système et
dire qu
il était difficile à répéter tant que tous les paramètres nétaient pas maî-113
trisés
1 ", explique Poitevin. Reproduire avant de publier, dit-il. Mais alors pourquoia-t-il accepté de signer avec moi tous les articles sur les hautes dilutions parus
avant celui de
Nature ? Les résultats de certaines expériences, il est vrai, sontparus dans des revues de faible influence ou ont seulement fait l
objet de présentationsdans des congrès d
homéopathie ; mais dautres ont été publiés dansles
meilleures revues. Que na-t-il protesté (ou demandé le retrait de sa signature)à ce moment-là ? Quant à la maîtrise de tous les paramètres, c
est purement etsimplement impossible. Maîtriser tous les paramètres d
une seule expérience debiologie pourrait nécessiter la totalité du budget de l
État français pendant unan. Faut-il utiliser une aiguille de seringue en zinc ou en acier ? Des tubes à essais
en matière plastique ou minérale ? Combien de temps faut-il ou ne faut-il
pas entreposer les cellules au réfrigérateur avant la réaction ? Maîtriser " tous les
paramètres " revient à poser cent ou mille questions de ce type. Et, plus fort, à y
répondre.
Bernard Poitevin met également en cause le rôle de l
expérimentatrice ÉlisabethDavenas, estimant que des " erreurs techniques pouvaient augmenter les
chances d
obtenir des résultats positifs2 ". Cest désolant, sauf à sous-entendreune fraude, donc des " erreurs techniques " allant toutes dans le même sens. De
véritables erreurs techniques ne peuvent qu
influencer des résultats dexpériencesdans les deux sens, en positif et en négatif. C
est la raison dêtre dune expérienceen aveugle, pendant laquelle l
expérimentateur ne sait pas sil manipuleun tube actif ou un tube témoin et ne peut donc " favoriser " tel tube,
consciemment ou inconsciemment. Enfin, Bernard Poitevin se dit en désaccord
avec l
article publié en 1991 dans les Comptes rendus de lAcadémie des sciences encollaboration avec le statisticien Alfred Spira. Or Poitevin a également signé cet
article.
Philippe Belon, directeur scientifique de Boiron, développe quant à lui les
arguments suivants :
" [Benveniste] a coincé son modèle. Les pics d
activité ne sont pas stables. (...)Élisabeth Davenas avait poussé trop loin. Benveniste s
est appuyé sur une seule expériencequi a marché. S
il lavait refaite mille fois, il ny aurait eu aucun problème.Mais justement, ce qu
il a publié dans Nature, il ne sait pas le reproduire, mêmechez lui. Et personne ne sait
3. "Que veut dire " coincer son modèle " ? À part faire une cour pressante à
Claudia Schiffer, je ne sais pas. " Les pics d
activité ne sont pas stables ", explique-t-il à propos des courbes retraçant l
effet dactivation des hautes dilutions1
Le Monde, 21 janvier 1997.2
Ibid.3
Ibid.114
sur la réaction de dégranulation. Oui, et alors ? Nous l
avons écrit dans larticlede
Nature de juin 1988. Belon devrait savoir que deux échantillons de sang neréagissent pas de la même façon à la même dose pondérale d
allergène, et, àplus forte raison, à un réactif hautement dilué. " Elisabeth Davenas a poussé
trop loin. " Poussé quoi ? Mystère. Quant à la non-reproduction des expériences,
c
est dabord une contrevérité primaire : que la personne qui a connaissanced
un seul article scientifique pour lequel la même expérience a été répétéemille fois avant d
être publiée vienne me voir. Elle aura droit à mille caissesde champagne électromagnétique. Il y aurait certes un exemple : celui des trois
mille six cents expériences d
inhibition de la dégranulation des basophiles réaliséesdans quatre laboratoires, coordonnées par le professeur Roberfroid et
financées par les laboratoires Boiron
1. Mais elles nont fait lobjet daucune publicationdans une revue de référence. À partir du moment où l
on atteint unesignificativité statistique satisfaisante, refaire l
expérience mille fois na mêmeaucun sens. Les Anglo-Saxons ont une expression pour cela : 1
overkill. Cela revient,pour l
exécution dun condamné à mort, à le pendre, lempoisonner, lefusiller, puis le passer à la chaise électrique.
En outre, c
est un comble de retrouver cet argument de la nonreproductibilitédans la bouche d
un responsable de Boiron. Mon unité étaitsous contrat avec le laboratoire pharmaceutique, avant et après la publication
de l
article de Nature. Les laboratoires Boiron étaient nécessairement tenus aucourant des activités de l
unité 200, et donc des centaines dexpériences de dégranulationdont une bonne partie a été réalisée
en aveugle. Le directeur scientifiquede Boiron a même disposé pendant une période d
un observateur privilégiéde mes activités : une technicienne, que j
ai fini par virer pour insuffisancede production, travaillait à mi-temps dans mon labo et à mi-temps pour Boiron
sans que j
en sois informé.Enfin, Philippe Belon a cosigné l
article de Nature mais il semble se désolidariserde ce texte qui ne lui aurait pas été soumis avant publication. Il se dit en
accord avec les deux premières versions du manuscrit, qui s
appuyaient sur desexpériences d
inhibition de la dégranulation des basophiles, mais pas avec ladernière mouture, fondée sur l
activation de la réaction. Belon semble avoiroublié un épisode comique de nos relations, qui contredit la thèse de son désaccord
avec le texte. En 1987, il m
a plusieurs fois soumis lidée de faire publiernotre article non pas dans
Nature mais dans la revue Homéopathie française, publicationsans aucun impact, lue exclusivement par des homéopathes. Par plaisanterie,
je lui ai adressé le 1
er avril de cette année-là une lettre au ton ironique,dans laquelle je lui indiquais que, respectant son choix, je demanderais à
Naturede ne pas faire figurer son nom parmi ceux des signataires en cas de publica-
1
Voir chapitre 5, p. 61.115
tion. Sans relever le poisson d
avril, le responsable du service recherche de Boirona immédiatement réagi en exigeant que son nom soit maintenu dans la liste
des auteurs
1. Dix ans plus tard, il ose exprimer des réserves par rapport à un articlequ
il a, par écrit, exigé de signer. Pourquoi na-t-il pas annoncé son désaccordà l
époque ? lui a demandé le journaliste du Monde : " Jétais en porte-àfaux.J
ai préféré me taire et continuer à travailler sur notre modèle initial2. " Jesuis content d
apprendre que Belon a continué à travailler sur le " modèle initial", c
est-à-dire linhibition de la dégranulation des basophiles par de hautesdilutions d
histamine. Je suis même impatient de voir la publication de ses résultats.Des milliers d
expériences financées par Boiron ont été réalisées ces dernièresannées sous la coordination d
un biochimiste belge3. Elles confirmentl
activité des hautes dilutions. Philippe Belon annonce quelles feront lobjetd
une publication officielle4. A lheure actuelle, je lattends toujours. Maisl
existence de ces milliers dexpériences portant sur de hautes dilutions, réaliséessous la responsabilité d
un universitaire reconnu (Roberfroid), démontre àquel point est injustifié l
ostracisme dont je suis victime en France, qui a eupour conséquence directe la mort de l
unité 200.Parmi les scientifiques qui ont fait un bout de chemin avec moi, Alfred Spira,
directeur d
une unité de biostatistique de lInserm, a également donné sonpoint de vue. Aujourd
hui, alors quil na plus mis les pieds dans mon laboratoiredepuis des années, il affirme à propos des expériences sur les hautes dilutions
: " Je reste persuadé qu
il y a un artefact. La procédure expérimentale aune faiblesse
5. " En 1990, nous avons pourtant travaillé ensemble pendant delongs mois à traquer les artefacts et à rationaliser mes protocoles. L
article paruen 1991 dans les
Compte rendus de lAcadémie des sciences6 na été proposé à la publicationqu
après que mon équipe et celle de Spira furent tout à fait en mesurede reproduire les expériences en question. Courageusement, Spira s
est battuavec moi pour obtenir cette publication. En cette occasion et par la suite, il a
subi de fortes pressions pour se désolidariser de moi. Il a tenu bon, un temps,
puis a sans doute estimé avec raison je crois qu
il avait fait son maximum etqu
il ne devait pas risquer sa carrière et celle de son équipe pour cette affairequi n
était pas véritablement son combat. Je suis désolé et déçu, mais pas amer,de le voir aujourd
hui en retrait. Je lui garde mon estime, voire mon respect,pour son courage. Je suis persuadé qu
il reviendra quand la tempête se seraapaisée.
1
Le Monde a reproduit les lettres échangées dans son édition du 22 janvier 1997.2
Le Monde, 21 janvier 1997.3
Voir chapitre 5, p. 61.4
Le Monde, 23 janvier 1997.5
Le Monde, 21 janvier 1997.6
Voir chapitre 5, p. 57.116
Conclusion
Dix ans après l
article de Nature sur la dégranulation des basophiles, malgréles embûches et au grand dam de ceux qui souhaitaient ma chute, je continue
mes recherches. À partir des études sur les hautes dilutions, mes travaux ont
évolué vers la transmission électronique des signaux moléculaires, puis vers le
travail sur ordinateur grâce à la numérisation de ces signaux. Vérifier l
hypothèsed
une mémoire de leau nest plus au centre de mes préoccupations. À mesyeux, l
enjeu a changé : ce sont les capacités de leau à transmettre le signal moléculairequi m
intéressent désormais, plus que ses propriétés de stockage ou demémorisation.
Certes, je suis pour l
instant un des rares chercheurs à poursuivre des travauxsur la " biologie numérique ". Mon isolement personnel et matériel se double
d
un isolement théorique : jai adopté lhypothèse de la nature électromagnétiquedu signal moléculaire et pour tenter de comprendre le fonctionnement de
ce signal et les voies qu
il emprunte, je suis contraint de sortir de mon domaine,celui de la biologie, pour explorer celui de la physique. Si le monde de la recherche
était réellement ouvert aux innovations, comme le prétendent ses responsables,
je pourrais me borner à constater grâce à mes observations que l
eautransmet les signaux moléculaires de basses fréquences, à développer ces expériences
et à en tirer des applications. Et je pourrais laisser aux physiciens le soin
de définir la nature exacte du signal, tout comme la plupart des mélomanes se
moquent totalement de connaître le fonctionnement de leur lecteur CD et se
gardent bien de le bricoler.
À partir de juin 1988, date de publication des études sur les hautes dilutions
dans
Nature, je me suis heurté à des considérations non pas scientifiques maisidéologiques. Une remarque de Georges Charpak illustre de la façon la plus
éclatante l
aveuglement dorigine dogmatique dont mes recherches ont fait lesfrais. " Vos expériences défient les lois élémentaires de la physique et du simple
bon sens ", m
écrit-il dans une lettre de décembre 1994. " Bon sens ", le mot estlâché. Dans un essai consacré aux paradoxes dans le domaine de la physique, le
physicien Étienne Klein explique ce qu
il faut penser du bon sens :117
" Au
XIXe siècle, Ernest Renan disait déjà qu"en science, tout est fécond, sauf lebon sens". Le
XXe siècle lui a donné dix mille fois raison. À partir de lannée 1900,les physiciens ont dû casser beaucoup d
ufs dans le poulailler des intuitions pourexpliquer les faits nouveaux qui s
imposaient à eux. De ces cassures sont nées desomelettes aux parfums étranges et pas toujours très digestes. Découvrant qu
il ny aplus d
évidences aux confins de linvisible, la physique a dû épurer ses saveurs ancienneset renoncer à bien des recettes fondées sur ce qui était devenu le bon sens.
La plupart de ses acquisitions sont autant de victoires, non pas du bon sens mais
surcelui-ci. (...) En science, le bon sens attire les cartons rouges.
Nietzsche disait que tout ce qui est décisif ne naît que
malgré. Toute vérité nouvellenaît
malgré lévidence, toute expérience nouvelle naît malgré lexpérience immédiate.Cela est encore plus vrai pour la science. On peut à juste titre parler d
uneopposition opinion-science. Un énoncé célèbre de Bachelard affirme d
ailleurs que"la science s
oppose absolument à lopinion. Sil lui arrive, sur un point particulier,de légitimer l
opinion, cest pour dautres raisons que celles qui fondent lopinion ;de sorte que l
opinion a, en droit, toujours tort. Lopinion pense mal ; elle ne pensepas ; elle traduit des besoins en connaissances (...). On ne peut rien fonder sur
l
opinion : il faut dabord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter"1. "(
La Formation de lesprit scientifique.)Ce bon sens tel que le manient Georges Charpak et François Jacob est en fait
une arme pour exclure sans discussion, et même sans combat, toute innovation
dès qu
elle bouscule le paradigme dominant : pour quil y ait activité moléculaire,il faut des molécules. La révolution paradigmatique (réelle ou apparente)
qu
induisent laction des hautes dilutions et lexistence de signaux électromagnétiquesspécifiques émis par les molécules s
est donc heurtée de plein fouetau conservatisme de la " classe dirigeante " détentrice du pouvoir scientifique.
Mais les mandarins ne font pas seulement appel au " bon sens " de notre
époque. Ils peuvent parfois évoquer un " bon sens " plus ancien, comme le généticien
Axel Kahn. Dans sa réponse à une " libre opinion " publiée par
LeMonde
2 dans laquelle jexpliquais que la biologie numérique me semblait représenterune porte de sortie pour la crise de la biologie structurale, Axel Kahn
concluait : " La proposition n
est pas très originale : sous Louis XVI, un certainMesmer proposait déjà le magnétisme comme traitement de tous les maux
3. "L
invocation du bon sens se conjugue ici à lamalgame avec le charlatanisme.C
est dailleurs assez courant : la simple utilisation du mot " électromagnétique" conduit irrémédiablement à un procès en sémantique. S
il est admis queles atomes et les molécules exercent les uns et les unes sur les autres des forces
électrostatiques
, il ne saurait être toléré de parler à leur propos de forces électroma-1
Étienne Klein, Conversations avec le Sphinx, Les paradoxes en physique, Albin Michel, 1991, pp. 54-55.2
" L'ARC, les vaches et la recherche folles ", Le Monde, 22 mai 1996.3
" Entre savoir et pouvoir, les gourous ", Le Monde, 29 mai 1996.118
gnétiques
. Ce dernier mot est tabou car il décrit le signal moléculaire en termesdynamiques et non plus statiques. Or la Science officielle, on l
a compris, naimepas le mouvement.
Face aux transgressions des paradigmes dominants, le pouvoir scientifique
dispose d
une autre arme, que jappellerai la règle du special laws for special results: parce que des résultats de recherche bouleversent les dogmes, on leur applique
des critères d
évaluation spécifiques. Cest tout le sens des exigences dela revue
Nature : la reproduction des expériences dans dautres laboratoiresavant publication de l
article de juin 1988, publication elle-même subordonnéeà une visite de contre-enquête. Plusieurs laboratoires dans le monde ont donc
reproduit avec succès mes expériences sur la dégranulation des basophiles par
de hautes dilutions de réactif anti-IgE : d
une part une équipe française qui, unefois la polémique lancée, n
a pas voulu confirmer les résultats positifs quelleavait obtenus ; d
autre part, des équipes israélienne, canadienne et italienne,dont les membres font partie des signataires de l
article de Nature. Il est remarquableque, dans la controverse qui a suivi, ces laboratoires étrangers n
ont éténi sollicités ni expertisés. Pour tous ceux qui avaient décidé une fois pour toutes
de réfuter ces résultats, il était évidemment gênant d
en faire état.Cette exigence de reproduction préalable à la publication, condition imposée
par
Nature, je ne lai acceptée que contraint et forcé par les circonstances, maisje maintiens qu
elle était illégitime puisque contraire à des pratiques scientifiquestellement établies qu
elles font désormais partie de la déontologie de larecherche. Selon ce système de
peer-review (examen par les pairs), un article quia été soumis à l
analyse de plusieurs experts scientifiques et dont les faits paraissentscientifiquement établis selon les règles de l
art doit être publié. Les résultatsprésentés sont
ensuite reproduits ou non par dautres selon un protocoleidentique. Or ceux que nous avons publiés dans
Nature en juin 1988 ont faitl
objet dune polémique dune telle ampleur que très peu déquipes se sontspontanément risquées à les reproduire. Les soi-disant tentatives de reproduction
de mes expériences réalisées (sabotées, devrais-je dire) par des opposants
ont échoué, " grâce " aux entorses introduites dans le protocole initial. Lorsqu
endépit des efforts de leurs auteurs, elles ont produit des résultats positifs,
ces derniers ont torturé le texte de leurs propres articles pour leur faire dire le
contraire
1.À l
inverse, lorsque des chercheurs ont participé sans a priori à des tentativesde reproduction des expériences de hautes dilutions, cela a marché. Mais j
aitellement souvent lu ou entendu dire que " les expériences de Benveniste ne
sont pas reproductibles " que j
oserai un ultime rappel : outre les travaux1
Voir chapitre 6, p. 64, l'analyse de l'article de Nature intitulé " La dégranulation des basophiles n'est pas induitepar de hautes dilutions d'antisérum anti-IgE ".
119
conduits par des équipes canadienne, israélienne et italienne avant la parution
de l
article de Nature : En 1990-91, des expériences concluantes d
activation et dinhibition de ladégranulation des basophiles ont été réalisées en aveugle à l
unité 200 sous lasupervision directe d
une équipe de biostatisticiens parmi les plus réputés deFrance. Ces résultats ont été publiés en 1991 dans les
Comptes rendus de lAcadémiedes sciences de Paris
1. Au cours des années 90, des expériences voisines des miennes (inhibition
de la dégranulation des basophiles) ont été effectuées dans quatre laboratoires
européens sous la direction du professeur Roberfroid. Ce dernier a déclaré au
Monde
2 que les conditions techniques étaient telles quaucun artefact ni tricherien
étaient possibles. Trois mille six cents expériences confirment de manièreincontestable la validité des effets à hautes dilutions. Ces expériences ne sont
pas encore publiées sous forme d
article scientifique pour des raisons quim
échappent. Mais la déclaration au Monde du professeur Roberfroid lengagepersonnellement et nul n
a mis en doute sa valeur et son éthique scientifiques.Par ailleurs, de nombreuses équipes travaillent dans le monde entier sur des
expériences de hautes dilutions et leurs travaux font l
objet de publicationsdans des revues à comité de lecture.
La reproductibilité existe donc bel et bien, à condition d
accepter de la voir.Comment alors expliquer que les lobbies scientifiques dominants aient manifesté
la volonté concertée d
anéantir mes travaux sur la mémoire de leau ? Jai déjàexprimé l
idée selon laquelle la découverte dont jétais lauteur a été appréciéenon pas en tant que telle mais en fonction de ses conséquences, jugées déstabilisatrices
par le pouvoir scientifique. C
est en soi une faute méthodologiqueet épistémologique. Les scientifiques anglo-saxons, plus pragmatiques que leurs
condisciples français, estiment que
a result is a result (cest-à-dire quun résultatdoit être jugé en tant que tel et non en fonction de ses répercussions éventuelles).
Mais en France, dès lors que le caractère potentiellement subversif d
une découverteest établi, tous les procédés sont bons pour la combattre.
1
Voir chapitre 5.2
Le Monde, 23 janvier 1997.120
Postface
par Jérôme, Laurent et Vincent Benveniste
Jusqu
à sa disparition, Jacques Benveniste a fait progresser ses recherches, entouréd
une équipe restreinte mais pluridisciplinaire et dynamique. Nous souhaitonsici rendre hommage à Françoise Lamarre, Jamal Aïssa et Larbi Kahhak
et à tous ceux qui l
ont côtoyé loyalement, à tous ceux qui ont eu le courage des
approcher de ses observations " incroyables ".Quotidiennement, Jacques Benveniste déployait des trésors d
enthousiasmeet d
énergie afin de convaincre de nouveaux partenaires quil a trouvés principalementà l
étranger et de recueillir les crédits nécessaires à la poursuite deses travaux. Tout ce temps et toute cette énergie auraient pu auraient dû
être consacrés aux recherches elles-mêmes et non à leur financement. Il est vrai
que lors de son départ en retraite en 2002, la direction générale de l
Inserm luiavait accordé le statut de directeur de recherche émérite (confirmant ainsi sa
contribution à la recherche française). Cela lui a, certes, permis de continuer à
faire fonctionner son laboratoire quoique à un régime restreint, mais certainement
pas d
assurer le développement de recherches aussi ambitieuses que lessiennes.
Jacques Benveniste a pourtant ouvert un champ de recherche de première
importance, la biologie numérique. Depuis la disparition de notre père, beaucoup
de ceux qui nous ont adressé leur témoignage ont invoqué le décalage entre
son uvre et la faible reconnaissance dont il a bénéficié en France de son
vivant. Pour avoir été aux premières loges de l
aventure de sa vie et lavoir aidédans la mesure de nos moyens, nous partageons ce sentiment. Quant à l
importancede ses découvertes et leurs conséquences pour l
humanité, lHistoire, souveraine,jugera.
Jacques Benveniste n
avait de cesse de maintenir le dialogue avec ses collègues,de rechercher l
échange danalyses scientifiques, de remettre inlassablementl
ouvrage sur le métier, en sefforçant de débusquer les faits, de tenter deles expliquer, de confirmer des hypothèses de recherche par des observations.
Nous estimons, comme lui, que l
état des connaissances savantes doit être uneréférence pour la recherche et non un couperet qui élimine tout fait nouveau
121
dès lors qu
on ne lexplique pas. Luvre de notre père nous apparaît exemplaireà double titre : d
abord, par ses découvertes majeures et les nombreuxarticles (plus de trois cents) publiés dans des revues scientifiques à comité de
lecture ; ensuite par le modèle de ténacité, de rigueur dans le débat scientifique,
de respect total des observations, sans a priori théorique ou dogmatique,
qu
il a toujours incarné. Nous avons décidé de perpétuer la mémoire de notrepère et d
encourager la recherche, grâce à la création de lAssociation JacquesBenveniste pour la Recherche. Celle-ci aura pour objet principal de susciter des
vocations et de favoriser le développement de nouveaux champs d
observationen matière de sciences du vivant. L
association soutiendra particulièrement lesdomaines de recherche ouverts par Jacques Benveniste : les interfaces disciplinaires
entre la biologie, la physique et la chimie ; les signaux intra- et intercellulaires.
Elle apportera également son assistance aux innovations de la recherche
qui lui paraîtront mériter une attention particulière et ne font pas l
objet desoutiens institutionnels importants. Par ailleurs, elle soutiendra, dans la mesure
de ses possibilités, les recherches de qualité menées dans les domaines de la biologie
numérique, les études sur le PAF-acether (le médiateur de l
allergie découvertpar Jacques Benveniste en 1970) et plus généralement sur l
allergie etsur l
asthme.Concrètement, l
association soutiendra des jeunes chercheurs grâce à loctroide bourses postdoctorales et de subventions.
Elle assurera enfin la conservation de la mémoire de Jacques Benveniste, et
s
appuiera sur son uvre et sur sa démarche scientifique pour réunir des ressourceset des moyens.
Un comité scientifique garantira l
éthique et la déontologie de lassociation,instruira les dossiers de bourses et de subventions, et en assurera le suivi. Ce
comité organisera également une veille scientifique et éditoriale quant aux publications
relatives aux recherches de Jacques Benveniste et à la biologie numérique.
Cette association devra mobiliser toutes les ressources possibles : le bénévolat,
les subventions publiques, les cotisations privées, les dons et les legs. La cause
qu
elle entend servir, la recherche scientifique et médicale, est dintérêt général.Son but est strictement non lucratif. Elle est en ordre de marche pour recueillir
votre soutien.
122
Association Jacques Benveniste pour la Recherche
81, rue Aristide-Briand
78130 Les Mureaux
France
tél. : (33) (0)1 34 74 06 44
téléfax : (33) (0)1 30 22 22 62
courriel : association@benveniste.org
site internet : http ://jacques.benveniste.org